Les problématiques

Les problématiques de cette étude sont axées sur le funéraire et le pouvoir. Plusieurs orientations complémentaires ont été suivies. La première, certainement la plus évidente qui s’imposait à nous, concerne l’expression matérielle et symbolique du pouvoir et de la royauté au travers des pratiques funéraires. La seconde est de mettre en évidence le rôle joué par les tombes royales et de prestige dans la société mésopotamienne et syrienne et dans la représentation de la royauté.

Nous tenterons de démontrer au fil de notre analyse que les tombes royales et de prestige sont un instrument institutionnel de manipulation idéologique, c’est-à-dire qu’elles sont intégrées dans un discours social et politique structuré, qui, par l’intermédiaire de rites, permet de reproduire et de maintenir l’équilibre social et de justifier le pouvoir des dites élites. Le rôle physique des monuments funéraires dans l’environnement urbain ou territorial est primordial dans l’élaboration de cette représentation idéologique et rituelle de la royauté et du prestige24. Les monuments funéraires ont un impact d’autant plus fort qu’ils sont des marqueurs visuels dans l’espace et dans le temps, légitimant l’emprise du pouvoir des élites, de leurs prédécesseurs et de leurs successeurs, sur le territoire et ses occupants ; ils sont par ailleurs des référents symboliques dans l’espace. Les archives d’Ebla établissent comment les cultes royaux utilisent des monuments dédiés aux ancêtres situés sur le territoire pour légimer le pouvoir25.

La place symbolique et sociale des monuments funéraires dans les constructions mentales humaines a déjà fait l’objet de nombreuses études anthropologiques26 et archéologiques27 concernant l’Europe occidentale et méditerranéenne pour des périodes néolithiques et protohistoriques. Les données récentes en Syrie et en Mésopotamie, avec l’apparition des monuments de Tell Banat par exemple ou Jerablus-Tahtani, ont permis d’approfondir les orientations concernant les pratiques funéraires de prestige et les pratiques sociales et idéologiques dont elles étaient l’instrument.

Pour cerner l’ensemble des problématiques complexes liées aux pratiques funéraires royales et leurs implications sociales, nous nous sommes orientés vers l’anthropologie qui s’est interessée aux représentations de la royauté et du pouvoir dans des sociétés diverses28. Il nous semblait nécessaire de saisir les fonctionnements d’autres structures complexes pour établir des relations avec notre aire de recherche. L’anthropologie et la sociologie, dans leur méthodologie d’investigation, s’attachent avec plus d’attention aux comportements humains et décryptent avec plus d’acuité les processus sociétaux intervenant notamment dans des évènements communautaires spécifiques tels les funérailles29 : l’observation directe et les témoignages montre souvent la longueur des processus d’enterrement et de deuil ainsi que la complexité des implications des rites sociaux et religieux imposés aux membres des familles pour tenter de rétablir la cohésion de la communauté30. Par ailleurs, la sociologie nous a permis d’envisager d’autres axes de recherche, concernant, par exemple, la problématique du don qui apparaît fondamentale dans plusieurs sociétés lors d’évènements sociaux similaires à celui qui nous occupe31. Cette forme d’échanges de biens et de relations sociales est apparue comme une perspective significative dans l’interprétation des objets déposés dans les tombes : différentes hypothèses ont été abordées dans d’autres études sur la relation entre des offrandes funéraires et des divinités32. Nous avons élargi le champ des recherches concernant les relations sociales et politiques qui se manifestaient au moment des funérailles et qui impliquaient des échanges de biens (dont il faudra définir la nature) et des échanges de nourriture entre les convives, mais possiblement avec le mort et les divinités. Ces échanges sont apparus comme fondamentaux pour les funérailles. Nous avons voulu également mettre en évidence par le biais de recherches pluridisciplinaires (matériel, échanges, sociétale) que les tombes de prestige et les tombes royales sont un concentré de manifestations socio-idéologiques : elles sont une représentation de la « société globale ».

La recherche archéologique est restée la base de notre documentation et de nos recherches. Cependant nous avons toujours souhaité enrichir nos analyses en puisant, dans les conclusions et les perspectives sociales des études anthropologiques, des éléments susceptibles d’interprétations dans les pratiques funéraires des élites.

Notes
24.

Cf. infra pp. 103-110.

25.

Cf. infra pp. 107-108.

26.

Bloch 1981, 1987 ; Parker Pearson, Ramilisonina 1998.

27.

Bradley 1988 ; Barrett 1990 ; Tilley 1996 ; Richards 1996 ; Bickler 2006.

28.

Cannadine, Price 1987 ; Bloch 1981, 1987.

29.

Thomas 1975.

30.

Hertz 1970 [1905] ; Van Gennep 1981[1909] ; Damon, Wagner 1989. 

31.

Damon, Wagner 1989 ; Godelier 1989 ; Mauss 1998 ; Caillé 1998.

32.

Bonogovsky 1994.