Ière Partie : Présentation et historique du sujet

Cette première partie présente les données archéologiques, historiques et anthropologiques sur lesquelles s’est construit le travail sur les tombes royales et de prestige et s’est bâtie la réflexion pour comprendre les pratiques funéraires de prestige.

L’ensemble des sites se localise dans une région située le long de l’Euphrate, du Golfe Persique à la Mésopotamie du Nord, sur une période d’un millénaire. Parmi l’abondante documentation funéraire, les découvertes de tombes de prestige et royales concernaient peu le Bronze Ancien, à l’exception des tombes d’Ur et de Kish. Ces dernières années les recherches ont cependant permis de renouveler les approches des tombes de prestige et d’inscrire la dialectique funéraire dans la compréhension des sociétés antiques33. Les spécificités locales qui apparaissent selon les modalités d’inhumations des élites, à Tell Banat, Jerablus-Tahtani ou Umm el-Marra par exemple, témoignent de la force de l’identité locale exprimée dans les pratiques funéraires de prestige. Les besoins de représentation du pouvoir et d’une spécificité communautaire ne relèvent pas du hasard, mais résident dans la volonté des élites d’imposer une idéologie.

Pourtant, en Mésopotamie, l’interprétation des pratiques funéraires de prestige se limitait souvent à l’expression de croyances et d’une pompe funèbre en relation avec le pouvoir. L’évolution de la recherche et l’apport des études pluridisciplinaires ont mis en exergue l’importance des liens entre les pratiques funéraires et le pouvoir : le pouvoir se justifie au travers du domaine des morts selon des mécanismes précis et, comme nous l’avons souligné dans l’introduction, les pratiques funéraires sont un mode de représentation du pouvoir et des élites. Il s’établit ainsi une interdépendance triangulaire entre le funéraire, le pouvoir et les élites, qui justifie par ailleurs que les problématiques sociétales soient intégrées dans la dialectique du sujet. La mort est un phénomène sociétal34, et le moment de la mort engendre des comportements sociaux et des gestes rituels, tels que les échanges de biens et des banquets par exemple, qui ont des conséquences dans le fonctionnement structurel de la communauté35. L’intérêt de revenir sur les recherches antérieures et les débats qui en sont issus, est de constater les analyses différentielles sur le rapport entre les pratiques funéraires et le pouvoir. Les débats évoqués dans le second chapitre ont concerné, en premier lieu, l’expression du statut des individus dans les pratiques funéraires d’après les données matérielles : sont-elles révélatrices de la complexité sociale ? Ou est-ce une interprétation de la réalité par une construction symbolique élaborée par l’entourage du mort, dans un but sociétal de valorisation du statut du mort ? Au delà des divergences sur les statuts ou les représentations des morts, nous tenterons de montrer, au travers des études anthropologiques ou archéologiques antérieures, le phénomène global que représente l’interprétation des pratiques funéraires de prestige : dans leur spécificité et leur complexité intrinsèques, les pratiques funéraires sont révélatrices des systèmes sociaux et des relations sociales36.

Les pratiques associées à l’élite renvoient à d’autres problématiques historiques et sociétales concernant la nature des élites, la nature du pouvoir, en Mésopotamie et en Syrie, et, plus largement, les différences entre les types d’organisations sociétales et leurs manifestations possibles dans la société. La distinction terminologique met en évidence la difficulté de définir des systèmes sociétaux en tentant d’appliquer des modèles et des concepts modernes pour les sociétés anciennes proche-orientales37. Ces questions touchent particulièrement certains sites, en l’occurrence Ur et les Tombes Royales qui alimentent toujours notre imagination et des débats contradictoires. La présence de tombes de prestige confirme la mise en place d’un système original d’organisation sociale (politique, religieux, social) et quel que soit le niveau de complexité ; elles démontrent également le dynamisme économique et social nécessaire aux élites pour imposer une telle politique au sein de leur communauté, mais aussi dans un ensemble supra local et supra régional.

En outre, le troisième chapitre met en évidence la sémantique complexe élaborée autour des inhumations de prestige et à laquelle se réfèrent les communautés. Elle renvoie, en effet, à des perceptions humaines du monde environnant qui servent de fondement aux croyances et de justification aux structures sociales. Les systèmes de représentations des élites se construisent à partir des relations des individus à l’environnement, l’espace, le territoire structurant les relations individuelles ainsi que les relations aux mondes des morts38.

L’apport de l’anthropologie a été  primordial pour cette étude. Elle fournit des parallèles possibles à des gestes archéologiques observés mais pas toujours compris. C’est pourquoi les hypothèses émises par cette discipline constituent un terrain de réflexions intéressant pour la compréhension des pratiques funéraires de prestige. Ces hypothèses ont été utilisées dans l’étude de pratiques de « morts d’accompagnement » uniques à Ur, qui ne constituent pas, cependant, un exemple isolé, mais révèlent des pratiques réservées à une partie de la population. Elles ont permit également d’élargir les axes de recherches sur le rôle des tombes de prestige.

Notes
33.

Peltenburg 1999b ; Porter 2000 ; Schwartz et alii 2006.

34.

Cf. infra pp. 50-60.

35.

Hertz 1970 [1905] ; Van Gennep 1981[1909] ; Dietler 2001.

36.

Parker Pearson 2001 : 84.

37.

Stein 1994a ; Schwartz 1994 ; Porter 2000 ; Fowles 2002 ; Parkinson 2002.

38.

Cf. infra pp. 103-107.