A. La reconstitution historique : l’impact des croyances

1. L’impact des croyances et de l’origine des peuples dans l’interprétation des pratiques funéraires différentes

Les hypothèses sur l’émergence et l’existence d’un pouvoir royal se sont basées en premier lieu sur les textes, l’architecture monumentale, plus que sur l’interprétation des pratiques funéraires. Les pratiques funéraires, jusque dans les années soixante-dix, sont associées à des croyances, et les gestes pratiqués sont déterminés par la nécessité de l’entrée du mort dans le Monde d’En Bas182. Les changements dans les pratiques ou l’apparition de pratiques différentes sont interprétés en termes de filiation et de diffusion. Par exemple, l’apparition de la crémation dans certaines tombes isolées du Cimetière Royal183 , ainsi que le passage d’Obeid II à Obeid III dans le cimetière Obeid d’Ur184 sont reliées par Woolley à l’arrivée de nouvelles populations.

Des théories très différentes ont été développées au sujet des Tombes Royales d’Ur, elles révèlent cependant les points de vue de l’époque des découvertes. Nous pouvons ainsi mesurer l’impact des pratiques exceptionnelles et grandioses185. L’identification de rites similaires n’est pas unique au Proche-Orient, ils révèlent l’association au début du siècle entre croyances et pratiques religieuses. À Tepe Gawra, par exemple, des pratiques funéraires sont identifiées à des sacrifices puisqu’elles étaient en relation avec ce qui a été identifié comme des bâtiments religieux. Selon Rothman, les interprétations de Tobler sont symptomatiques du contexte culturel du début du XXème siècle : l’origine des populations qui ont amené avec elles des pratiques si différentes. Les hypothèses autour du problème sumérien186 est omniprésent dans les publications et la recherche du début du siècle comme le souligne Rothman :

‘“ Perhaps the most ubiquitous assumption is the attribution of many burials as being sacrificial in nature solely on the basis of their proximity to the structures interpreted as having a religious function. […] The nature of the question that were important during the first half of the 20th century has also determined the way in which the data were presented. Excavators were primarily interested in attributing the specific period occupation to particular « ethnic » groups. However, this « ethnic question» was itself a part of the « Sumerian problem ». As one of the earliest recorded civilisations in Mesopotamia, scholars were focused intensively on the origins of the Sumerian civilisation […].”187

Les pratiques importées par ces « envahisseurs », ne sont pas seulement des pratiques funéraires différentes mais révélatrices d’un système social distinct : des envahisseurs ou un groupe « d’une certaine classe d’homme de race étrangère » s’emparent du pouvoir188. Il a été suggéré que l’Egypte et la Mésopotamie ont subi l’arrivée d’un groupe identique ce qui expliquerait les parentés entre les pratiques « sacrificielles »189, les premiers pharaons seraient mêmes des envahisseurs190. L’influence exercée par l’Egypte sur les esprits met en parallèle constant les deux civilisations sur les caractères politiques de la forme de pouvoir191, les traits culturels192 et funéraires193. Cependant, d’autres hypothèses ont été évoquées dont des relations avec les populations centre asiatiques. Reinach, Contenau, Gadd, s’appuient, en effet, sur les similitudes avec les pratiques funéraires royales scythes, plus tardives, décrites par Hérodote ; ces positions ont été critiquées par Woolley lui-même194.

Notes
182.

Bottéro 1962, 1981.

183.

Woolley 1934 : 143.

184.

Woolley 1955 : 21-23 ; Forest 1983 : 11.

185.

Nous reviendrons sur la notion controversée de pratiques dites « sacrificielles » et leurs interprétations en tant que rituel royal dans le chapitre suivant.

186.

Frankfort 1932.

187.

Rothman 1999 : 172 ; Tobler 1950 : 3 ;Speiser 1935 : 187.

188.

Gadd 1960 : 53.

189.

Gadd 1960 : 53.

190.

Gadd 1960 : 53-54.

191.

Frankfort 1948.

192.

Contenau 1927 : 191. Contenau explique ainsi les parallèles entre la religion et les arts égyptien et mésopotamien (Contenau 1931 : 1586-93). « La période historique commence dans les deux pays vers 3200-3100 avant notre ère, c’est par définition avant elle que le contact a dû se produire […] Mais ce n’est qu’après que les sémites auront été intimement mélangés aux Sumériens, puisque les monuments de l’Egypte archaïque reflètent des influences sumériennes […] » (Contenau 1931 : 1595-1599). Contenau cite une conférence de Moret sur les ressemblances entre les tombes d’Ur et celle de l’Egypte archaïque (1931 : n.1, p. 1595).

193.

Gadd 1960 : 53.

194.

Contenau 1931 : 1556, 1852 ; Woolley 1934 : 40, “Contenau finds their isolated occurrence so strange that he would even invoke the Scythian invasion to explain them and M.S. Reinach adopts the same way of the difficulty.” ; Gadd 1960 : 55-56.