1. La Nouvelle Archéologie 

Selon Binford, les variables intervenant dans les pratiques funéraires sont des variations dans l’organisation sociale233. Le statut social du cadavre est reconnu dans un ensemble de relations d’identités sociales, correspondant au niveau de complexité sociale, appelé « théorie des rôles » 234.

Trois concepts définissent les associations relationnelles des identités d’un individu dans la société.  Le premier, l’identité sociale, correspond au statut de l’individu ; lorsque plusieurs identités sont engagées dans des relations sociales, se sont des identités relationnelles. L’association de plusieurs identités sociales données dans une interaction donnée correspond à la « social persona » ou « l’être social ». Le type de « social persona » d’un individu est déterminé par l’organisation du système social et se trouve reproduit dans la mort235 : « (…) the social persona symbolically recognized in the mortuary ritual would shift with the levels of corporate participation in the ritual and hence vary directly with the relative rank of social position which the deceased occupied in life. »236.

Les deux composantes des variables dans les pratiques funéraires sont l’identité sociale, la taille et la composition de la société237. Selon Binford, le traitement différentiel du mort est lié aux variations de l’identité sociale du défunt selon l’âge, le sexe et le statut social dans le groupe238. La compréhension des pratiques funéraires repose en partie sur la complexité entre l’identité sociale et la relation d’identité à l’intérieur d’un système social : la diversité dans le traitement social peut refléter des différences entre l’être social dans le groupe ou des différences entre les groupes239. En somme, plus les relations sociales sont simples, moins les dimensions sociales seront marquées et inversement240. D’autre part, Saxe suggère que plus il y a de corrélation dans les traits funéraires (« degree of redundancy »), plus la société est complexe et hiérarchisée ; et plus elle est entropique (absence de corrélation) moins elle est complexe241. Il est possible également que plus le statut de l’individu est grand (roi, chef), plus il y a de chance pour que ce soient les identités signifiantes en relation avec ce statut privilégié qui soient représentées dans les funérailles plutôt que les moins importantes.

Les mécanismes qui devraient intervenir dans les variations des pratiques funéraires selon la structuration du système sont établis. Les traits matériels (ou symboles) pris en considération pour analyser ces variations sont : le traitement du mort, la disposition de la tombe et le matériel funéraire242. Concernant ce dernier trait, Binford souligne trois variables la qualité, la quantité et le rapport quantité/qualité. Pour Ucko, le matériel funéraire est « l’expression visible d’une partie de la personnalité sociale de la personne »243. Il nuance néanmoins l’utilisation des traits formels, tels la typologie sépulcrale, la richesse du mobilier et la disposition de la tombe, dans la distinction entre des individus de classes et de niveaux sociaux distincts car ils peuvent s’avérer « simplistes »244 : une société peut avoir plusieurs types de sépulture, associés à un même statut245. Cependant le croisement de plusieurs traits apparents dans un contexte donné (présence/absence par exemple) peut révéler les combinaisons utilisées pour différencier les statuts des individus246. Deux caractéristiques semblent pertinentes : la forme de la tombe, la disposition spatiale de la tombe et de l’aire sépulcrale. Concernant la forme, Saxe puis Tainter ont développé le facteur de « dépense d’énergie » engagée dans les pratiques funéraires. La méthode employée par Tainter reste néanmoins critiquable, car elle utilise des modèles mathématiques non appropriés à distinguer des différences de traitement à l’intérieur d’un même groupe social247. L’une des hypothèses de Saxe sur l’organisation spatiale permet d’envisager des analyses multiples sur les représentations sociales ; à partir de cette hypothèse, Goldstein, entre autre, a su développer l’impact d’une analyse méthodologique sur la spatialité funéraire248. La répartition spatiale des comportements sociaux est reconnue en anthropologie comme culturellement signifiante ; ainsi, l’étude des répartitions d’un ensemble funéraire peut fournir plusieurs niveaux d’informations :

‘“Examination of the spatial component can yield information on at two broad levels : (1) the degree of the structure and spatial separation and ordering of the disposal area itself may reflect organisational principles of the society as a whole ; and (2) the spatial relationship to each other of the individuals within a disposal area can represent status differentiation, family groups, descent groups, or special classes, depend upon the correction of these spatial relationships with other dimensions of study.”249

C’est un facteur d’analyse multidimensionnelle car différents types de relations spatiales peuvent être analysés séparément et croisés (disposition du matériel autour du corps, l’espace de la tombe, les relations entre les tombes,…).

Notes
233.

Binford 1971 : 236 ; 1984.

234.

Goodenough 1965 : 107 ; Saxe 1970 ; Binford 1971 : 225.Voir O’Shea 1984 : 10.

235.

Saxe 1970 : 6-9 ; Binford 1971 : 225, 232 ; O’Shea 1984 : 11. Ces sont les hypothèses 1-4 de Saxe, voir critique de Goldstein 1981.

236.

Binford 1971 : 226.

237.

Binford 1971 : 232.

238.

Binford 1971 : 221, 226, 230 . Discussion voir O’Shea 1984: 3-8 ; Parker Pearson 2002 : 28, 73-74.

239.

Saxe 1970 : 34.

240.

Binford 1971 : 226, « There should be a high degree of isomorphism between (a) the complexity of the status structure in a social system and (b) the complexity of mortuary ceremonialism as regard differential treatment of persons occupying different status positions.

241.

L’hypothèse 5 n’a pas été testée par Saxe, elle apporte cependant un axe de recherche dans la « mesure de complexité ». Voir Parker Pearson 2002 : 29

242.

Binford 1971 : 232-235.

243.

Ucko 1969 : 265.

244.

Ucko 1969 : 266.

245.

Ucko 1969 : 270.

246.

Saxe 1971: hypothèse 1.

247.

Goldstein 1981: 56 ; Parker Pearson 2002 : 75.

248.

Goldstein 1981 : 57-61, 59, hypothèse 8, “To the degree that corporate group rights to use and/or control crucial but restricted resources are attained and/or legitimised by means of lineal descent from the dead…, such groups will maintains formal disposal areas for the exclusive disposal of their dead, and conversely.”

249.

Goldstein 1981 : 57.