2. Le post processualisme et les analogies ethnographiques : le symbolisme des rites sociaux dans les rites funéraires de prestige

Il est possible de constater des permanences dans des comportements humains, en particulier aux moments de crises comme la mort306. Van Gennep, Hertz, et d’autres ethnologues, ont témoigné de l’importance des pratiques rituelles pour rétablir l’équilibre entre les morts et les vivants307. Les morts retrouvent alors un pouvoir dans la vie. L’importance du rituel est proportionnellement plus grande, et son impact social plus important, si le mort est détenteur d’un pouvoir.

Les cérémonies funéraires ont un rôle primordial dans la transformation sociale du mort, symbole de pouvoir : elles lui permettent éventuellement d’accéder à l’immortalité308. L’ouvrage pluridisciplinaire d’Humphreys et Kings met en avant les modalités variées et variables mises en œuvre lors de la mort. Le concept cérémoniel, dans le domaine funéraire, retrouve une place prépondérante dans les analyses sociales et la dialectique cérémonielle309. L’objectif n’est pas d’expliquer en fonction des croyances, mais de confronter des discours cérémoniels, ce qui donne l’apparence d’une juxtaposition d’études et de démarches anthropologiques et archéologiques très étendues. Bloch montre l’articulation complexe existant chez les Mérina, à Madagascar, entre l’organisation sociale hiérarchisée et les pratiques sociales310. Les tombes royales, dans leur morphologie et leur localisation311, reflètent la nature du pouvoir du souverain et son attachement au territoire du groupe. L’idéologie royale se réfère aux sépultures des chefs lors de cérémonies de régénération du pouvoir312. La place des tombes royales dans l’espace et le lien entre tombes et territoire est essentielle dans la pratique sociale et la pratique du pouvoir313. En Afrique, Saxe constate dans les rituels funéraires des rois Ashanti, l’inhumation et la localisation différentielle selon les « identités sociales », mais ne proposa aucune approche critique sur la signification du lien avec le reste de la population Ashanti314.

L’ouvrage essentiel, Rituals of Royalty 315, est entièrement consacré aux rites royaux : il montre pour des civilisations différentes, la nécessité de pratiquer des rites dont l’acteur et le personnage central est le roi -mort ou vivant- pour reproduire l’ensemble de la société et en maintenir la cohésion. Les définitions liminaires insistent sur les concepts de pouvoir et de cérémonie, celles-ci pourraient sans doute résumer les problématiques abordées auparavant :

‘“ How exactly […] does ceremonial convert systems of belief about celestial hierarchies into statement of fact about earthly? […] How exactly […] does ceremonial convert statements of fact about power on earth into statements of beliefs about power in heaven?”316

Ces objectifs sont peu développés encore dans l’archéologie funéraire puisque ces études sont fondées sur des interprétations de gestes dont on n’a pas la signification exacte. C’est d’ailleurs la raison du choix sémantique proposé par Leroi-Gourhan de « pratique » plutôt que de « rites ».

Notes
306.

Thomas 1978 : 15-39 ; Humphreys 1981 : 5.

307.

Van Gennep 1981 [1909] ; Thomas 1978 : 36-37 ; Thomas 2000 : 137-152. Dans le dernier article, l’auteur insiste sur les rites de réintégration de deuilleur dans le groupe social, après le temps des tabous ; les fêtes ostentatoires ont lieu et le corps du défunt rejoint sa « seconde sépulture » définitive (p. 142). Le sort du mort est fixé (p. 143).

308.

L’immortalité est acquise par la transformation du mort en ancêtre, puis les rites accomplis en mémoire du mort nommé ou intégré dans la famille ancestrale (cf. infra pp. 87-89). Thomas 1978 : 58, 138 (le mort déifié), 156-158 ; Humphreys, King 1981, voir introduction : 6 ; Cannadine 1987 : 17.

309.

Humphreys 1981 : 2.

310.

Bloch 1981 : 137-147 ; Bloch 1987 : 271-297.

311.

Bloch 1981 : 139, 140.

312.

Bloch 1987 : 79. Dans cet article l’auteur décrit un « rituel du bain » au cours duquel le roi se baigne dans de l’eau mélangée aux poussières récupérées dans la tombe. Le roi doit également se rendre avant « le bain » auprès de ses ancêtres.

313.

Cf. infra pp. 104-107. Bloch 1981 : 139, 142 ; Bloch 1987 : 279.

314.

Saxe 1971 : 163-165.

315.

Cannadine, Price 1987.

316.

Cannadine 1987 : 16-17.