L’étude sur l’origine de l’État en Mésopotamie a été négligée, selon Wright qui a du sans doute regretter que les hypothèses sur l’apparition du pouvoir soient fondées sur les textes, discutant le titre et la fonction des dirigeants, plus que sur les facteurs de l’évolution structurelle de la société. Néanmoins, cette documentation a révélé les évolutions des institutions publiques, politiques et religieuses, militaires et économiques avec l’essor des entrepreneurs privés dans la recherche de ces ressources317. Au début des années 1970, les chercheurs se concentrent sur les phénomènes d’urbanisation et de « civilisation »318.
Les différents facteurs recherchés dans les causes intervenant dans le processus d’émergence des Cités-État à l’époque d’Uruk sont de nature structurelle319. Tout d’abord, des structures administratives hiérarchisées320 sont mises en place par lesquelles s’exerce l’autorité de l’État ; celle-ci agit en tant que force régulatrice des conflits sociaux internes et externes321, et comme force économique dans le contrôle des échanges et de la redistribution. L’État permet ainsi d’étendre le système tributaire pour satisfaire le besoin ostentatoire des élites. Les institutions militaires, économiques322 et les activités artisanales323 se professionnalisent. Ce phénomène institutionnel favorise la segmentation de la société et la hiérarchisation sociale et, par conséquent, favorise les solidarités locales324. Les relations traditionnelles de type viager sont remplacées par des relations contractuelles325. Ces relations sont en effet dissoutes dans l’élargissement de la communauté et la croissance des centres urbains326. Le passage à l’urbanisation est lié à l’apparition de l’État et de la Cité-État en Mésopotamie327 qui permet la mise en place des structures de contrôle et de régularisation sociale. De fait, l’apparition de l’État est corrélée à une série de changements structurels en réponse à des modifications environnementales incitant au passage à une agriculture irriguée, à la croissance démographique328 et au développement des échanges supra régionaux329. Les échanges interculturels établis entre la Mésopotamie et ses voisins, aux ressources complémentaires et aux niveaux d’intégrations socio-économiques différents, constituent un « système monde » dans lequel la Mésopotamie a pu maintenir un système complexe mais également favoriser des développements économiques et technologiques330.
D’autres variables internes aux groupes sont traditionnellement prises en compte dans le processus étatique331. En premier lieu, la société332 constitue le cadre institutionnel, culturel et politique dans lequel s’opèrent les changements. Le temple et le palais contrôlent une partie de la production, mais ils ne monopolisent pas la production de biens utilitaires qui dépend d’entrepreneurs privés. L’accroissement de la richesse et la différence de répartition de ces richesses peuvent générer des conflits ; ces variables peuvent donc être corrélées au développement de systèmes politiques servant à protéger ces arrangements333. Certains facteurs peuvent déterminer la présence de structures étatiques : un programme architectural monumental, et l’apparition de spécialistes à plein temps dirigés par une élite. L’élite culturelle peut se reconnaître dans le raffinement technologique et l’apparition de style artistique sophistiqué et cohérent. Dans les sociétés dites complexes, la culture matérielle est associée à des groupes de haut rang ; elle peut être une preuve de la structure politique, depuis que le partage d’un style commun peut servir de reconnaissance d’une identité politique334.
La ville est, à la fois, un endroit stratégique et logistique de stockage, d’échanges et de redistribution de même que le centre de structures spécialisées-artisanales ou administratives-qui indiquent une forme d’organisation politique335. Selon Godelier le développement de centres urbains est une des conditions au développement des États pour accueillir les élites dirigeantes. Cette hypothèse se retrouve chez Forest qui voit dans l’apparition des villes la condition intrinsèque de l’apparition des Cité-États.
En somme, il a été peu question de pratiques funéraires dans la problématique de l’origine de l’État, en reprenant la remarque de Wright citée supra. Dans un premier temps, elles sont la matérialisation d’un pouvoir ostentatoire et de croyances associées à la fonction royales, comme l’illustrent les théories sur les Tombes Royales d’Ur. Par la suite, la nouvelle orientation place effectivement les pratiques funéraires au cœur de la complexification de la société et des distinctions de statuts dans les sociétés. L’archéologie cognitive prend en compte la symbolique sociale des pratiques funéraires, ainsi que la sémantique du matériel funéraire en tant que production socio-culturelle dans la reconnaissance du prestige.
Les découvertes de ces dernières années ont permis d’émettre des hypothèses sur l’impact environnemental et sociétal des tombes monumentales dans les systèmes de relations sociétales et politiques, en partie basées sur les textes d’Ebla. Les tombes de prestige sont le reflet de l’évolution étatique puisqu’elles se manifestent parallèlement à l’émergence d’une ville et d’une élite. Ce que nous souhaitons mettre en évidence dans le chapitre suivant et dans l’ensemble de ce travail, c’est que le phénomène funéraire de prestige ne doit pas être pris en compte en tant qu’élément parallèle justifiant d’un phénomène plus large, mais en tant que facteur culturel et politique.
Diakonoff 1974 : 6-16 ; Gelb 1965.
Wright 1977 : 386.
Algaze 1993 : 1
Service cité dans Wright 1977 : 379-397 ; Wright, Johnson 1975: 267-287, 267 : “ A state is defined as a society with specialised administrative activities […]”.
Trigger 1974 : 96.
Trigger 1974 ; Service
Wright 1977 : 385. Voir également Godelier 1999 : 26.
Wright1977 : 385.
Forest 1999 : 257.
Adams 1966 ; Forest 1996.
Forest 1996 : 257, « […] l’État primaire ne peut apparaître sans cette phase préalable d’urbanisation ».
Smith 1972 ; Trigger 1974 ; Wright, Johnson 1975 ; Forest 1999. Les adaptations en réponse à une modification du milieu génère des mouvements de populations, des modifications des implantations, des changements au niveau des modes de subsistances (passage à l’agriculture, l’apparition de l’irrigation [voir Forest 1999]), des innovations technologiques (outillage), et l’apparition de spécialisation au sein du groupe (Smith 1972 : 9 ; Binford 1962 : 217-225). Murdock en 1957 établit le World Ethnographic Sample (WES) qui consiste en une classification des concentrations d’individus donnés dans des systèmes sociaux spécifiques définis par leurs niveaux de complexité.
Khol 1987.
Algaze 1993 : 5 ; Khol 1987 ; Stein 1999.
Trigger 1974 : 97-104 ; Oates 1977 : 457.
La société est un concept utile, largement employé, sans que l’on s’interroge sur son sens intrinsèque. Le dictionnaire de sociologie (1998 : 734-748) définit une société comme un espace dans lequel s’inscrivent les pratiques individuelles et collectives et les représentations humaines. Il existe deux niveaux d’approches possibles : les réalités sociales, les systèmes de relations (politique, économique, religieux, culturel) et les groupes et les groupements (familles, clans, tribus) qui ont la cohésion et les contraintes de sous-sociétés. C’est également ce qui définit une « société globale » ou « totalité sociétale » pour Giddens ; ce dernier définit une société comme une « association sociale » (Giddens 1987 : 220). Dans le concept société que nous employons dans ce cas, nous comprenons comme un espace où se conjuguent des groupes, des institutions et des pratiques collectives, qui peuvent être matérialisé dans une « ville » mais dans un espace plus large, dans lequel des groupes partagent un ensemble de points communs.
Stein 1994a : 14-15.
Hodder 1982 ; Hodder 1985.
Giddens 1987 : 140.