1. Le rôle de l’idéologie dans la dialectique sociale

L’idéologie retrouve une nouvelle place dans la compréhension des pratiques funéraires, après avoir été quelque peu ignorée par la « Nouvelle Archéologie » et les tendances marxisantes de l’archéologie476. Une assimilation, rapide parfois, est souvent faite entre idéologie et croyances ; il s’agit aussi d’un ensemble d’idées caractéristique d’un système politique. Cette dernière acception est centrale dans la compréhension des sociétés complexes, et des relations de pouvoir et de l’État477. L’idéologie est une forme constituante et régulatrice des sociétés dans leurs systèmes de relation. La mise en place d’un système d’idées par un groupe ou un individu, dans lequel se reconnaissent d’autres individus, légitime une forme de relation sociale ou de pratique sociale qui peut être considérée comme une idéologie. La définition proposée par Max Weber est celle-ci :

‘« L’idéologie est un système d’idées lié sociologiquement à un groupement économique, politique, ethnique ou autre, exprimant sans réciprocité les intérêts plus ou moins conscient de ce groupe, sous la forme d’anhistorisme, de résistance au changement ou dissociation des totalités. Elle constitue donc la cristallisation théorique d’une forme de fausse conscience. » ’

Cette représentation est conforme à la vision marxiste considérant que les représentations idéologiques sont illusoires et légitiment les rapports sociaux au profit de la classe dominante478, il faut donc abolir les classes sociales et les conflits en mettant fin à l’idéologie. Sans prôner le conflit de classes, l’idéologie est perçue comme un moyen, pour le pouvoir et la classe dominante, de maintenir la cohésion sociale par la reproduction de la structure sociale479 et de légitimer son pouvoir :

‘« Shared ideas or beliefs which serve to justify the interest of dominant groups. Ideologies are found in all societies in which there are inequalities between groups. The concept of ideology connects closely with that of power, since ideological systems serve to legitimise the differential power which groups hold.”480

L’idéologie est donc un moyen de contenir le conflit et de maintenir une société figée, dans le temps, dans ses fondements et dans ses structures au profit de l’élite481 :

‘« A mode(s) of intervention in social relations, carried on through practice, which secures the reproduction, rather than the transformation of the social formation in the presence of contradictions between structural principles at the level of structure and of clashes of interests between actors and groups at the levels of system.”482

Le pouvoir est un intermédiaire de cohésion sociale lié à des individus charismatiques ou des institutions comme la royauté483.

De la même façon, l’idéologie est l’ensemble des croyances « philosophico-religieuses »484 d’un groupe reflétant sa perception et sa conception de l’univers qui l’entoure485. Cette perception de l’univers est une façon d’interpréter et de justifier le système social :

‘« While elements of this social ideology may form a system of beliefs which a group manipulate to reinforce its social position, the underlying set of values on which the group has built their own will not represent or reflect the interests of one section of society but it will be equally powerful in directing and defining a society’s approach to their world. […] Although an ideology is built from individual perceptions of the universe, shared systems may only be visible at a social level.”486

En somme, l’idéologie a pour but de signifier, d’apporter un sens, aux fondements d’un système social. Ce sont des systèmes de symboles ou de codes établis selon les « stratégies sociales »487, dépendant de concepts et d’attitudes historiquement et contextuellement appropriés488. L’idéologie et le système symbolique qui la constitue, sont le produit de la société qui les utilise ; les symboles sont polysémiques, ils peuvent avoir plusieurs sens selon les sociétés dans lesquelles ils sont observés, et peuvent varier de sens dans le temps et l’espace489. Morris met en évidence toute la difficulté de l’interprétation des rituels et des symboles qui ne peuvent pas être totalement éclairés par les textes dans les sociétés historiques490. Hodder, Morris et d’autres auteurs ont insisté, pour l’analyse des pratiques funéraires en particulier, sur le contexte historique, « le temps », et le contexte géographique, « l’espace » ; la société et la culture sont des facteurs déterminants dans la variation des symboles et de leur signification491.

Notes
476.

Shank, Tilley 1982 : 129-153 ; Miller, Tilley 1984 ; Carr 1993 ; Porter 2000 ; Collins 2000.

477.

Pollock 1999 : 173 ; Porter 2000 : 156-157.

478.

Miller, Tilley 1984 : 10 ; Godelier 1973 : 16-19, 39.

479.

O’Shea 1981 ; Giddens 1987 ; Godelier 1999 ; Parker Pearson 2002.

480.

Giddens (Sociology, Oxford, 1989, p. 727) cité dansCollins 2000 : 3 ; Porter 2000 : 154-158.

481.

Shanks, Tilley 1982 : 131 ; Pollock 1993 : 194.

482.

Shanks, Tilley 1982 : 129-154.

483.

Porter 2000 : 85-89.

484.

Carr 1993.

485.

Parker Pearson 1982 :100 ; Althusser cité dans Parker Pearson 1982 et Collins 2000 (Althusser L., Form Marx, London, 1977).

486.

Collins 2000 : 3.

487.

Salzmann cité dans Porter 2000 : 105 (Salzmann P., « Ideology and change in Middle eastern tribal societies”, Man 13/4, 1978 [pp. 618-637], p. 622). Salzmann établit que l’idéologie est aussi (en même temps que servir les intérêts d’un groupe) un système de symboles fournissant un fil conducteur dans l’organisation et l’action dans les problèmes sociaux - politiques. Le pas entre croyances et idéologie sociale est marqué.

488.

Hodder 1982 : 10. Cf. Giddens 1987 : 82.

489.

Binford 1971 : 223-224 ; Morris 1992 : 17-18.

490.

Morris 1992 : 21.

491.

Hodder 1982 : 9 ; Morris 1992 : 24-27 ; Giddens 1987.