2. Les références aux sacrifices « humains » dans les textes mésopotamiens

Les «sacrifices humains» sont une pratique étrangère à la religion mésopotamienne ; les textes passent sous silence l’existence de telles pratiques531. Cependant des passages de textes littéraires ont été interprétés comme des références à des pratiques de morts d’accompagnement.

Dans « Gilgameš  et la mort», (annexe 1-Ba) le héros fait deux rêves. Au cours du second rêve, il lui est révélé le lieu de son tombeau532  et qu’il serait accompagné de ses proches, « couchés à ses côtés, à la place même qu’ils avaient dans le palais exemplaire au centre d’Uruk » (v. 268)533. Xella réfute l’interprétation de l’accompagnement et suppose que les personnes citées sont une liste de choses chères que le héros laisse derrière lui. Marchesi remarque que les interprétations ont pu être influencées par les découvertes d’Ur534. En revanche, Cavigneaux et Al-Rawi ne réfutent pas la pratique des « morts d’accompagnement », ils s’interrogent sur la relation entre mythe et réalité : dans quelle mesure le mythe peut-il refléter une coutume funèbre où famille et personnel suivaient le défunt dans sa tombe ?535

La « Descente aux Enfers d’Ur Nammu » (annexe 1-Bb) est un autre exemple possible de référence à des morts d’accompagnement. Le roi est accompagné par les soldats : Ur Nammu est mort à la guerre, ses soldats sont décédés avec lui et le suivent dans sa tombe536. Selon Moorey la pratique des morts d’accompagnement est mentionnée dans un texte en relation avec la grande prêtresse de Nanna, mais la traduction de Hallo sur laquelle se fonde cette interprétation, est remise en cause par Marchesi537.

‘« En accord avec la parole d’Ereškigal,
Les soldats autant qu’il en a été tué par les armes,
Les « hommes de la faute » autant qu’ils ont conduit
140. Ils donnent dans les mains du roi
Ur Nammu … à leurs places,538
/…/’

L’accompagnement d’un roi ou d’un chef par sa cour indiquerait une croyance dans une vie post- mortem,semblable à la vie terrestre ; le souverain garde ses privilèges et son autorité sur ses sujets. Par ce traitement particulier, il semble que l’on pourrait influencer le sort des défunts dans l’au-delà. Selon Xella, les rites funéraires des tombes d’Ur contrastent avec une vision pessimiste de la vie post-mortem. Une évolution dans les croyances conduisit à la disparition de ces pratiques539. Le rite sacrificiel est lié à la société dans laquelle il est pratiqué, et aux modes de représentations religieuses, et donc sociales, dans lesquelles se reconnaissent les individus, l’élite, et par lesquelles on reconnaît un statut différent à cette élite540 . Pollock interprète la présence de « victimes »: « As an extreme form of display of the power of certain individuals […] over the lives of others”. Les “morts d’accompagnement” seraient un acte social de reconnaissance du pouvoir d’un individu sur d’autres destinés à mourir avec lui. Pour Testart, aucune croyance en l’au-delà ne justifie la pratique de morts massives541. L’auteur pose le problème, évoqué auparavant par l’anthropologie biologique, de l’interprétation de gestes par des croyances que l’on ne connaît pas ou peu par l’absence de références textuelles claires :

‘« Mais elle (tendance) se manifeste de façon plus insidieuse peut être encore et persistante dans cette idée que les croyances religieuses expliqueraient, et expliqueraient seules (notre insistance) les pratiques funéraires. La forme la plus courante de cette idée préconçue réside dans le lien que l’on croit voir entre le dépôt funéraire et la croyance dans l’au-delà. […] »542.’

Nous sommes conscientes de la difficulté et surtout de la fragilité des arguments pour interpréter des pratiques par des croyances. Mais les arguments apportés par Testart pour justifier que la pratique de l’accompagnement est à rechercher dans l’ordre social uniquement ne sauraient cautionnés en totalité, selon nous, (l’absence de croyances en une vie d’outre tombe, les « tabous » marquant les objets de la vie de mort, l’apparition de fantôme)543, dans le cas mésopotamien tout d’abord mais également dans les autres cas historiques que nous allons développer. Dans le cas d’Ur si les textes ne font référence à une pratique qui, jusqu’à présent reste confidentielle, il ne fait aucun doute que la civilisation a élaboré une cosmogonie et une perception d’un monde des Enfers.

Notes
531.

Xella 1976 : 185.

532.

Cavigneaux, Al-Rawi 2000 : 5, v. 239-240.

533.

Kramer 1944 : 6 ; Xella 1976: 189-190 ; Chiodi 1994 : 14 ; Tinney 1998 : 24-25 ; Cavigneaux, Al-Rawi 2000 ; Marchesi 2004: 156-161.

534.

Marchesi  2004 : 158.

535.

Cavigneaux, Al Rawi 2000  : 7.

536.

Kramer 1967 ; Xella 1976 : 190 ; Chiodi 1994 : 14-15.

537.

Marchesi 2004 : 173-174, le vers en cause traduit par Hallo «au son de mon chant sacré ils sont prêts à mourir », est retraduit par : « Dois-je mourir à cause de mes chants sacrés ? ».

538.

Kramer 1967.

539.

Xella 1976 : 191-192.

540.

Albert, Duday, Midant Reynes 2000 : 12, 13. « Il y a tout lieu de penser qu’il nous place au cœur du religieux et, par conséquent, de sa signification sociale (…) ». Forest 2000 : 85.

541.

Testart 2004a : 40, « […] la croyance en un monde post mortem organisé sur le modèle de celui-ci n’est une condition ni nécessaire ni suffisante pour que le défunt se fasse accompagner de biens ou de serviteurs.(…) ».

542.

Testart 2004a : 34.

543.

Testart 2004a : 34-39.