B. Les Tombes Royales d’Ur : interrogations sur des rites royaux

1. Identification des personnages inhumés

Dès leur découverte, Woolley interpréta les Tombes Royales comme celles de rois et de reines inhumés accompagnés de leur cour : “The king or the queen goes to the grave accompanied by the court which attended them in life. […]”. Les morts d’accompagnement dans les Tombes Royales, et les cortèges des tombes 789, 800, 1237 ont frappé l’imaginaire ; les discussions sur leurs interprétations sont encore d’actualité544 et l’identification des personnages inhumés, fait encore débat après soixante-dix ans de découverte545.

L’une des premières difficultés a été d’interpréter les termes de Lugal et de Nin ; à l’heure actuelle l’interprétation semble faire consensus autour du titre de souverain546. Dès l’époque de Djemdet Nasr les textes font référence au Lugal dont la première attestation apparaît à Kish « ME-bara(-ge)-si), Lugal de Kish. »547. À l’époque d’Uruk, le signe Lugal est utilisé à Ur, à Abu Salabikh et Šurrupak ; cette titulature serait plus utilisée à Ur. Dans les textes archaïques, le Lugal est associé à la guerre, l’abondance et la justice ; au Dynastique Archaïque, cette image se confirme548 : l’Étendard d’Ur illustre un chef « idéal » victorieux et généreux549. Par ailleurs, le problème soulevé dans le chapitre précédent est d’associer les inscriptions découvertes dans les tombes aux cadavres ; seul Mesannepada est reconnu comme un roi d’Ur mais son nom n’est pas associé directement à une tombe.

Moorey s’accorde avec Woolley sur la corrélation entre la pratique de “sacrifice” et la personnalité exceptionnelle des défunts, mais il s’interroge sur le statut « royal » :

‘“The burial with human victims as well as the primary burial is clearly a special rite for special people -but what made them so? Not, it would appear the mere fact of “royalty” as we now understand it. […] For the men it may be a question of the extent to which in life they had assumed divine or semi-divine status (notre instance), like some the rulers of the Later Third Dynasty of Ur.”550. ’

L’hypothèse de Moorey repose sur la relation avec le temple de Nanna en raison de l’importance du culte à Ur551. Il ne désigne pas les individus en tant que prêtres ou prêtresses mais associe l’ostentation des rites au religieux. Il suppose une relation étroite entre pouvoir temporel et religieux et une royauté d’origine semi divine552.

Parmi les premières hypothèses émises, les personnages sont identifiés comme des prêtres ou des prêtresses sacrifiés lors d’un drame joué à l’occasion de fête du Nouvel An selon Moortgat, ou des fêtes liées au culte de la fertilité et au Mariage sacré selon l’interprétation de Smith553. Les hypothèses ont été rejetées par Woolley objectant, en outre, que le Mariage Sacré n’impliquait pas la mort des protagonistes et s’accomplissait entre des « substituts » vivants des dieux, le roi et la prêtresse, représentante de la déesse Inanna554.

La présence de hautes prêtresses dans les tombes est reprise dans la littérature récente ; notons, toutefois, que c’est sans doute l’inhumation de femmes de haut rang, plus nombreuses, qui orienta cette identification. Collon considère en effet : « […] although the large number of women might indicate that they were priestesses of Nanna, The Moon God of Ur. »555. Le culte de Nanna à Ur est important et la fonction cléricale associée à la divinité est prestigieuse, comme le montre l’exemple de la fille de Sargon, Enheduanna, prêtresse à Ur556. Pour Moorey, la question est plus complexe puisqu’elle repose sur le sens attribué au terme de « reine », soit dans son acception moderne, soit en tant que  « femme de Nanna »557. Dans la documentation épigraphique provenant des Tombes Royales, le titre faisant référence à la fonction de prêtresse de Nanna n’apparaît pas ; un sceau, associé à la tombe 580, est inscrit au nom d’une grande prêtresse du dieu Palbisag, Gan-kunsiga(k)558.

Les prêtresses, appartenant à la haute société d’Ur, seraient inhumées selon les rites dûs à leur fonction ou à leur appartenance sociale. Les hommes inhumés auprès d’elles sont inhumés avec les mêmes rituels. Cette suggestion est valable pour l’individu de la tombe 755, Meskalamdug. Le clergé à Ur, ou une partie des prêtres ou prêtresses, pouvait être inhumés dans le Giparu. Des tombes ont été retrouvées pour des périodes postérieures au DA I559, ce qui permet de supposer qu’il pouvait exister une tradition antérieure560. Marchesi mentionne un sceau provenant du puits 1237, « dumu-ğiparx (Kisal) » qui attesterait l’existence du giparu au Dynastique Archaïque, mais l’auteur remarque :

‘« […] One could speculate that the name implies some connection between the person so-named and the gipar. But, can it really be definitively concluded that Dumu-ğipara (k) was an attendant of the high priestess and, consequently, that the dead in the Great Death- Pit represented the retinue of the latter?»561.’

Rois ou prêtres, reines ou prêtresses ? Certains, comme Pollock, ne souhaitent pas trancher la question :

‘« People from the most elite social positions, whether these were kings and queens, high priests and priestesses, or other high status positions of which we are unaware.”562. ’

Pour d’autres, il ne fait aucun doute qu’il s’agit de rois et de reines, mais comme le constatait Woolley, il était si difficile de le faire accepter563. Cependant la résolution de cette identification passe par la compréhension de la société d’Ur au DA III et à l’attention particulière des inscriptions sigillaires des Tombes Royales.

Notes
544.

Sürenhagen 2002 : 324-338.

545.

Marchesi 2004 : 163-165.

546.

Marchesi 2004.

547.

Edzard 1974: 142.

548.

Selon Edzard (1974) à cette époque l’institution de la « royauté » se révèle sous sa forme évoluée. Le roi entretien les temples, fait la guerre et dirige les travaux agricoles. Oates suppose l’apparition des premières dynasties dirigeantes aux Dynastiques Archaïques II/III. Il reconnaît une influence relative du temple, bien que le spirituel et l’économique sont inextricables (notre insistance) (Cf. Oates 1977: 475).

549.

Hallo 1987. La dévotion et la générosité des rois sont également illustrées sur la plaque votive d’Ur Nanshé représentant le roi bâtissant un temple (Caubet, Pouyssegur 2001 : 64).

550.

Moorey 1977 : 40.

551.

Moorey 1977 : 39.

552.

Selon Glassner, les prêtres et les rois sont issus de la même élite ; cependant, le roi n’a pas de fonction religieuse avant la deuxième moitié du IIIème millénaire.

553.

Moortgat 1949: 50-79 ; Smith cité dans Contenau 1931 : 1851.

554.

Kramer 1983.

555.

Collon 1999 : 20 ; cf. Marchesi 2004 : 163, n. 73, 74.

556.

Enheduanna est représentée sur un disque, face à un édifice à degré (peut-être une ziggurat?). Elle est accompagnée par des prêtres, dont l’un verse une libation sur un autel. Cf. Winter 1995 : 189-201 ; Marchesi 2004 : 170-175. Selon Winter, le nombre de rôles publics reste limité pour les femmes en Mésopotamie au DA III, qui sont très peu représentées dans l’art et dans les textes, seulement à titre de témoins. Leur rôle resterait donc limité au domaine privé (cf. p. 201). Les rôles où les femmes apparaissent publiquement avec un certain pouvoir sont en tant que femmes d’ensi en tant que prêtresse de haut rang (cf. pp. 189-190).

557.

Moorey 1977 : 20 ; Marchesi 2004 : 169.

558.

Marchesi 2004 : 170.

559.

Weadock 1975 : 109-111.

560.

Weadock 1975 : 105-106.

561.

Marchesi 2004 : 174.

562.

Pollock 1991 : 177.

563.

Chiodi 1994 : 11-12 ; Reade 2002 : 17-24 ; Marchesi 2004 : 186.