4. L’importance des morts d’accompagnement dans les tombes de prestige

Au travers de ces différents horizons culturels, il apparaît que les rituels sacrificiels sont pratiqués pour accompagner un chef dans la mort. Les modalités sont spécifiques de la représentation de la royauté mais elles s’accompagnent d’une grande richesse et d’une pompe funèbre développée. Ces pratiques s’étendent sur des périodes relativement courtes de l’histoire des civilisations.

Le contexte de développement social semble déterminant dans l’apparition de ces pratiques : les sociétés qui produisent des « sacrifices humains » ont atteint un niveau élevé de développement et traversent une période de transition, par le renforcement de l’autorité centrale, qui éprouve le besoin d’exalter sa supériorité et d’affirmer son pouvoir602. À Kerma, les pratiques sacrificielles apparaissent à la période moyenne qui correspond à un changement dans la distribution hiérarchique des individus dans la nécropole, reflet d’une évolution sociale. Dans ce cas il s’agit d’une phase « transitoire » qui trouve son expression pleine et majestueuse dans la période classique. La période de transition à Ur se situerait à la fin du DA II et au début du DA III avec la transformation du pouvoir603. L’ostentation des Tombes Royales valorise une élite, voire la survalorise, qui a établi des relations de fortes dépendances604. On souligne, cependant, une évolution de la pratique,  sur un temps très court, qui est sans doute significative d’une évolution dans la représentation du pouvoir peu notée jusqu’alors : en effet, dans les premières tombes il y a quelques accompagnants, surtout placés dans la chambre principale, puis leur nombre augmente dans la dernière phase du DA IIIA sous la forme de cortèges605

Par ailleurs, en Chine, bien qu’il y ait eu des variations dans la pratique sacrificielle, il s’agit bien d’une tradition liée au pouvoir qui perpétue la place de ces individus aux yeux des hommes et des dieux, puisqu’en Chine ancienne les textes prouvent que ce sont des « sacrifices » humains. Le pouvoir n’est pas dans une phase de transition dans laquelle il est nécessaire de pratiquer des rites exceptionnels. La pratique se justifie intrinsèquement dans la position de l’empereur dans la société chinoise. L’empereur est une personne sacrée.

Il y a une justification idéologique sociale dans des rites sacrificiels. L’Afrique présente une source très intéressante du contexte sacrificiel : le position du roi dans la société en fait un être socialement dominant mais isolé, craint, assimilé à un magicien, donc un individu en relation avec les forces supra naturelles. Comme le souligne Testart, dans le cas africain, les « morts d’accompagnement » ne correspondent pas à un système politique particulier ; la prédominance de la royauté « sacrée » et le pouvoir du roi impliquent l’ampleur du massacre.

La phase de développement social dans laquelle se pratiquent les « morts d’accompagnement » dans le Cimetière d’Ur, est une des orientations majeures dans l’ensemble des hypothèses que l’on peut apporter actuellement de l’interprétation des pratiques du Cimetière d’Ur. Cependant, la nature du pouvoir et la place des personnalités inhumées ont joué un rôle, selon nous, dans l’apparition et la disparition de cette pratique.

Les rites sont liés au pouvoir ; ils ont une fonction centrale dans la transmission de l’idéologie de l’élite et la représentation du pouvoir auprès de la communauté. Comprendre la relation entre les rites, l’idéologie et le pouvoir permet de comprendre la place des pratiques funéraires de prestige, dans la société et pour le pouvoir. Les « sacrifices » ou les « morts d’accompagnement » sont particulièrement liés à la royauté, même si dans le contexte mésopotamien ils sont restreints dans le temps et l’espace : ils sont néanmoins associés à une institution royale et à des rapports hiérarchiques nouveaux qui s’établissaient entre les membres de la communauté.

Notes
602.

Xella 1976 : 194-195 ; Forest 2000 : 84 ; Parker Pearson 2002 : 17-19, l’auteur cite Childe, qui statuait sur les sacrifices de masses comme caractéristique des funérailles de chefs autocratiques dans des états émergents.

603.

Cf. supra p. 47, Edzard 1974, Oates 1977, Charvát 1982 : 47, « the […] conspicuous feature of the « Royal Cemetery » period is the extensive militarization of the society ». Nous verrons que la fonction militaire n’est pas la principale fonction représentée dans le matériel des tombes royales ; les armes y sont peu nombreuses.

604.

Forest 2000 : 84 ; cf. supra n. 564 (Testart 2004a : 202-209).

605.

Cf. infra pp. 220-225. Dans la séquence chronologique des Tombes Royales, les cortèges funèbres des tombes 789, 800, 1237 se situent dans la phase II (cf. infra p. 133).