En Mésopotamie, l’espace et de temps sont des bornes construisant la réalité sociale606. Ils entrent en compte dans l’élaboration de la représentation du pouvoir et des pratiques funéraires de prestige : l’idéologie du pouvoir se construit sur des représentations spatio-temporelles du passé, de la société, de l’environnement et des rapports entre divins et humains. Il a été répété supra que l’idéologie a pour objectif de préserver les fondements de l’organisation sociétale et de reproduire un temps historique « idéalisé » au travers des rituels. Le rappel des morts est une façon de connecter temps présent et temps achevé. D’autre part, l’idéologie perçoit et interprète l’univers pour l’intégrer dans les croyances. L’aménagement de l’espace de la ville peut être transformé pour servir l’idéologie : l’histoire de la communauté s’inscrit alors dans l’espace proche et le territoire. Dans l’espace, la tombe est une marque physique ostensible de la présence du mort, et de l’appartenance de la communauté à ce territoire607 ; les rites funéraires à proximité reproduisent et maintiennent la mémoire collective, ainsi que les liens de l’ensemble de la communauté608.
Le territoire et les pratiques funéraires sont intrinsèquement liés : les monuments ont pour fonction de légitimer un lignage ou une dynastie, sur un territoire et leur droit sur les ressources de ce territoire609. Le territoire est souvent associé aux ancêtres, dans les cultures traditionnelles, par la présence de structures funéraires visibles610. Il est un lieu de pratique cultuelle, marquant des temps idéologiquement importants du pouvoir, comme infra à Ebla, ou à Ur, au moment de la succession, du mariage et des funérailles. Les rites funéraires sont des rites de transformation du statut social du mort de prestige. Après les avoir séparés des vivants, les rites d’agrégation ont pour but de « réintégrer » les morts dans le monde des vivants comme des forces actives des relations sociales611. Les morts sont transformés en « ancêtres », ils ont une influence sur les relations sociales des vivants -même s’ils ne sont pas l’objet d’un culte ou de vénération particulière612- ils font partie des forces vitales de la société et de sa construction613.
Cette dernière partie abordera la place des morts dans la société des vivants, en d’autres termes, comment les défunts sont-ils intégrés dans la communauté ? Les cultes accordés aux défunts sont essentiels dans la reconnaissance du fonctionnement de la société. Il a été établi que les cultes privés et publics sont des moyens idéologiques pour favoriser la royauté comme nous l’avons abordé dans les textes d’Ebla et de Mari.
Nous souhaitons orienter cette réflexion, non pas sur la pratique, mais sur les modalités de l’intégration du défunt dans la communauté des morts et des ancêtres. C’est dans cette perspective que nous aborderons les relations au territoire, comment se définit-il ? Quel est son rôle ? Quel est celui des individus vivant sur le territoire ? Par ailleurs, nous nous interrogerons sur les pratiques et la spatialité.
Jonker 1995 : 35.
Porter 2000 : 46.
Jonker 1995 ; De Cesari 2001.
Saxe 1970, hypothèse 8 ; Goldstein 1980 ; Morris 1991 : 150 ; Porter 2000.
Barrett 1990 : 185 ; Parker Pearson, Ramilisonina 1998.
Porter 2000 : 231.
Parker Pearson 2002 : 26.
Morris 1991 : 150 ; Porter 2000 : 229-230 ; Porter 2002 : 4. Le culte des Ancêtres est un culte du lignage, et la parenté est la relation entre les vivants et les morts. Le culte des morts concerne la mort en générale ; ce sont des rites de passage qui « séparent » les défunts des vivants. Définition de Glukman cité dans Morris 1991.