IIème Partie : Topographie, architecture, inhumations

Dans cette première partie de l’étude des ensembles funéraires, trois facteurs sont considérés : la localisation des sépultures, le caractère architectural et les pratiques d’inhumations. Chaque facteur est reconnu comme déterminant dans une étude sur le funéraire et ils révèlent des caractères spécifiques aux tombes de prestige654.

Les tombes monumentales sont construites à une place spécifique dans l’organisation urbaine et symbolique de la communauté : qu’elles soient à l’intérieur des murs ou à l’extérieur, elles sont le lieu de rassemblement et de commémoration et sont donc symboliquement associées au pouvoir. Les gestes funéraires sont souvent plus complexes que dans les tombes ordinaires, comme en témoigne notamment le matériel abondant ; les pratiques d’inhumations sont également inhabituelles, tels les « morts d’accompagnement », et elles caractérisent les tombes royales en Mésopotamie, en Anatolie ou en Egypte.

La localisation des sépultures distingue les aires intra-muros et extra-muros : ces deux lieux de regroupements sont simultanés en Mésopotamie et en Syrie, ils indiquent une volonté de distinction sociale et de discrimination devant la mort (notamment concernant les prématurés ou les enfants en bas âge). Reconnue comme une variable sociétale signifiante intervenant dans les pratiques funéraires, la localisation a suscité des controverses. Selon Ucko, les aires d’inhumations, la typologie sépulcrale, ainsi que les inhumations, peuvent être des facteurs simplistes dans l’approche des communautés et de leur organisation sociale655. Binford, cependant, affirme que la structuration des pratiques funéraires, incluant la forme des structures et leur localisation, est déterminée par l’organisation du système sociétal. Parmi les « hypothèses » émises par Saxe pour interpréter les pratiques funéraires, la répartition spatiale des complexes funéraires dans une communauté (hypothèse 8) met en évidence l’organisation lignagère656. Goldstein ajoute à cette hypothèse le maintient du groupe par la ritualisation des pratiques et l’appropriation d’une aire sépulcrale spécifique657. Les critiques soulignent que tout modèle touchant à des pratiques à très forte variabilité culturelle est restrictif658. La première restriction concerne l’analyse des regroupements situés extra-muros, alors qu’elle peut être appliquée aux regroupements intra-muros. D’un point de vue chronologique, les cimetières peuvent être utilisés sur plusieurs générations et mettent en évidence des différences de pratique ; d’un point vue synchronique, l’ensemble des tombes permet d’évaluer les distinctions entre les individus selon les statuts sociaux (âge, sexe, statuts)659 . Mais dans le contexte proche-oriental, la simultanéité des lieux d’inhumations, des lieux préférentiels apparaissent pour l’inhumation de personnalités de prestiges. Il faut donc retenir que, selon les régions, la reconnaissance du prestige des individus est marquée différemment ; des pratiques identiques peuvent avoir une interprétation différente. Binford, Ucko, Saxe ont souligné avec pragmatisme que les symboles peuvent être similaires d’une société à une autre, mais leur sens être différent660.

D’autre part, la construction de structures funéraires monumentales, complexes, est un projet de grande ampleur, qui nécessite la mobilisation de forces humaines et des richesses, sur une longue période. Il nécessite donc une planification dans le temps : le roi lui-même peut l’organiser et choisir sa sépulture selon une volonté personnelle et une ligne idéologique. L’ampleur des constructions est un projet de société qui découle d’une série de choix pratiques et idéologiques comme le choix du site, de la forme monumentale, et des rituels. Ainsi que le soulignent D’Agostino et Schnapp : « L’apparition des tombes monumentales constitue aussi bien l’affirmation d’une appropriation symbolique de l’espace par certains groupes que l’émergence des liens familiaux à l’intérieur du rituel funéraire. »661. La relation entre les tombes monumentales et les contextes de localisation constitue l’un des cadres matériels à une construction de la mémoire royale et de la communauté662.

Enfin, les inhumations sont le facteur le plus variable. Certains caractères d’ordre de la pratique (position du corps, orientation de la tête), ne se révèlent pas -le plus souvent-signifiants, comme ont pu l’affirmer certains auteurs dans une distinction entre les individus663. Il est surtout difficile de déterminer si les variations dans un même ensemble ont des raisons pratiques, traditionnelles ou des raisons taphonomiques. Plus largement, les pratiques d’inhumation concernant l’ensemble des gestes pratiqués dans la tombe ou à proximité, permettent de mettre en évidence l’importance des cérémonies mortuaires, du moment de la mort jusqu’à l’enterrement. Les cérémonies funéraires jouent, par ailleurs, un rôle majeur dans la transmission du pouvoir et la diffusion du discours idéologique. De nombreux auteurs ont insisté sur la représentation de la permanence et de la continuité du temps et de l’histoire au travers du cérémoniel, pour maintenir le groupe et le pouvoir664. Les cérémonies se divisent en deux périodes : tout d’abord la procession, visible et marquante, puis les gestes rituels intervenant lors de l’inhumation, multiples et complexes.

La pertinence de l’étude et de la catégorisation typologique systématique à laquelle il a été procédé tient à la corrélation des trois variables établies. La topographie et l’architecture funéraires sont mises en perspective avec les regroupements de « tombes satellites ». Ainsi les trois facteurs sont développés successivement.

Notes
654.

Barrelet 1980.

655.

Ucko 1969.

656.

Saxe 1970 : hypothèse 8. Cf. O’Shea 1984 : 8-14, pour une présentation des travaux de Saxe.

657.

Goldstein 1981.

658.

Morris 1993 : 147-152. Voir Bloch 1981.

659.

Demoule 1982.

660.

Cf. supra pp. 51-53 ; voir également Forest 1992.

661.

D’Agostino, Schnapp 1982 : 21. Cf. Bloch 1981, même processus pour la royauté des Mérinas : 137-142. Barrett 1990 : 181.

662.

Jonker 1995 : chapitre 1, 7, voir 197-200, le texte šumma alu détermine la place du mort dans la ville.

663.

Pollock 1993 : 201. Côté droit pour les femmes, côté gauche pour les hommes. L’âge est souvent discriminatoire (Forest 1992).

664.

Humphreys, King 1981 ; Bloch 1981 ; Cannadine, Price 1987 ; Barrett 1990 ; Winter 1999 ; Cohen 2005.