4. Umm el-Marra (pl. 11)

Le site d’Umm el-Marra a une superficie de 25 hectares. Le programme mené par l’équipe américano-hollandaise depuis 1994, a permis d’étudier l’histoire urbaine et son développement sur le site et dans la région709.

Les fouilles ont été menées sur plusieurs secteurs du site710 ; les plus importants se situent sur l’Acropole qui se divise en quatre secteurs : Acropole Nord, Est, Ouest et Centre (pl.11a). Les phases les plus anciennes du site correspondent au Bronze Ancien III et IV (Umm el-Marra VI-IV) ; la fondation du site est datée aux environs de 2700 av. J.-C., à la fin du Bronze Ancien II, début du Bronze Ancien III (phase VI). Des fortifications du Bronze Ancien ont été mises au jour dans le secteur Ouest A. La deuxième moitié du Bronze Ancien se divise en deux phases : la phase V (Bronze Ancien IVA), la phase IV (Bronze Ancien IVB). Après une période prospère caractérisée par des activités artisanales métallurgiques et céramique (phase IV)711, le site subit une crise urbaine et un abandon partiel durant le Bronze Moyen I, c’est-à-dire phase III (2000-1800 av. J.-C.). Il est de nouveau habité au Bronze Moyen II sous les Dynasties Amorrites.

Sur l’Acropole Centre, la «tombe 1» a été découverte dans un très bon état de conservation (pl. 11b)712. Elle est datée du début du IIIème millénaire. Elle est située dans un locus de 6 x 10 m, dans le niveau le plus haut du Bronze Ancien, directement sous une grande plate-forme en pierre du Bronze Moyen. Il semble que la tombe n’ait pas de tranchées de fondation, c’est-à-dire qu’elle repose directement sur le sol. Il est intéressant de noter ici qu’il n’y a pas de niveau du Bronze Ancien plus récent d’où la tombe ait pu être creusée. Il est probable, qu’elle ait été construite au-dessus du sol, c’est en effet l’hypothèse que les fouilleurs semblent retenir, ou que le niveau absent ait été complètement rasé.

Des murs, partant de la tombe dans plusieurs directions, sont mis en évidence ; les fouilleurs suggérèrent que la sépulture faisait partie d’un complexe plus grand713. Les saisons récentes l’ont confirmé : au moins cinq autres sépultures de même type ont été dégagées ; le matériel céramique indique qu’elles ont été utilisées sur une période de 300 ans environs (2500 à 2200 av. J.-C.). La tombe 1 est la dernière sépulture du complexe. La tombe 6, la plus grande, est probablement la première construite sur l’Acropole ; la tombe 7, ultérieure, plus petite, est construite sur le même emplacement. Les sépultures 2 à 5 ne sont pas construites simultanément, mais sur une période étalée dans le temps, ce qui suppose l’inhumation de plusieurs générations d’un groupe social, voire familial, sur un lieu réservé intra-muros. Des structures quadrangulaires inédites, construites en briques crues, contiennent des squelettes d’équidés (de un à quatre individus mâles âgés), associés à de la céramique et des inhumations d’enfants. Ces tombes d’équidés sont situées au centre du complexe funéraire, dans un axe Est-Ouest ; la structure C est recouverte par la tombe 1. Selon les observations de Schwartz, il est possible que les structures aient été construites simultanément aux tombes, pour des rites annexes aux funérailles ou complétant le cérémoniel funéraire. Les tombes 4 et 6 possèdent un mobilier important in situ ; les tombes 3 et 5, par contre, sont très perturbées. Des dépôts de céramiques suggèrent que les tombes ont été ré-ouvertes ; il est probable que les inhumations d’une même sépulture ne soient pas toutes simultanées. Le mobilier de ces tombes s’inscrit dans la même appartenance sociale.

Les tombes sont contiguës à des structures non funéraires714. Au Sud de la tombe 4, une chambre (numérotée 1 sur le plan), appartenant sans doute à un bâtiment constitué d’une autre salle au moins, de mêmes dimensions que la tombe, est située parallèlement à celle-ci. Le sol est recouvert de plâtre et un podium occupe le centre du mur Est. De même, une salle, ou une partie de bâtiment, est accolée au mur Nord de la tombe 3, suivant la même orientation ; cette pièce (numéroté 2 sur le plan) est ouverte à l’Est. Un couloir Est-Ouest, pavé, (dans le prolongement de l’entrée de la salle 2) mène à la structure A. À l’Ouest de la tombe 3 apparaît une portion de pièce qui n’appartiendrait pas au complexe funéraire.

Les fouilleurs interprètent le complexe comme un éventuel « cimetière royal ». La fin de l’utilisation de ce complexe, à la fin du Bronze Ancien, intervient parallèlement à une période de crise du site identifiée sur d’autres secteurs (l’Acropole Est). Au Bronze Moyen II, le complexe funéraire est recouvert d’un bâtiment circulaire M1, dont les fondations d’une partie du mur Ouest sont conservées715.

Le complexe funéraire d’Umm el-Marra est un ensemble tout à fait nouveau et particulièrement intéressant sur le plan de la construction idéologique des pratiques funéraires. La localisation des tombes sur le point le plus élevé du site, et le plus prestigieux, l’Acropole, n’est pas un trait nouveau : c’est le cas à Tell Ahmar, à Tell Banat par exemple716. Ce sont également des tombes construites de façon visible, au centre de l’Acropole, intégrées à l’ensemble urbain. C’est une situation très semblable aux hypogées de Tell Ahmar, de Jerablus-Tahtani717. Le cas de figure inédit réside dans le regroupement au centre même de la ville d’un ensemble important de sépultures de prestige, associées à des bâtiments dont la nature cultuelle est évoquée par les fouilleurs718. L’ensemble serait parfaitement délimité et séparé du reste des constructions environnantes, qui se situeraient à un niveau plus bas719. Ainsi, le complexe funéraire surplombe l’ensemble de la communauté.  L’Acropole étant le centre du pouvoir politique et religieux de la cité, la présence d’un complexe monumental de prestige sur cette position étaye l’hypothèse d’une légitimation du pouvoir de la dynastie locale, et du maintient de leur statut dans la communauté, en particulier par des manifestations rituelles de célébrations des morts720. Il y a une sélection parmi les individus inhumés dans cette partie de la ville ; la nature et la qualité du mobilier suggère également que nous sommes en présence d’individus appartenant à l’élite721.

Notes
709.

Schwartz et alii 2003.

710.

Schwartz et alii 2003 : 327, fig. 2 ; Schwartz et alii 2006 : 605, fig. 2.

711.

Schwartz et alli 2003 : 329. www.jdhu.edu/neareast/uem/. L’Acropole Ouest, Est, Nord, et le secteur Ouest sont concernés. Cf. chronologie 1, volume 3.

712.

Schwartz et alii 2003 : 330-340.

713.

Schwartz et alii 2006.

714.

Schwartz et alii 2006 : 606, fig. 3, 627.

715.

Schwartz et alii 2006 : 634-635, fig. 31.

716.

Les adultes se faisaient inhumer dans des cimetières situés à l’extérieur de la ville. Les tombes des individus de classe sociale inférieure sont creusées et non construites (Carter, Parker 1995 : 91-116).

717.

Schwartz et alii 2006. Le fouilleur désigne la tombe I sous l’appellation de « mausolée ». Nous préférons employer le terme d’« hypogée » dans la continuité des hypogées de Tell Ahmar et Jerablus-Tahtani.

718.

Schwartz et alii 2006 : 627.

719.

Schwartz et alii 2006 : 628. Environ 1 m (entre 0,7-1,5 m) entre les niveaux de sol des tombes et de ceux des constructions.

720.

Schwartz et alii 2006 : 627.

721.

Cf. infra IIIè Partie.