2. Les lieux d’inhumations contemporains

Plusieurs lieux d’inhumations ont fonctionné simultanément, parfois seulement sur une courte période ; ils sont situés autour de la tombe de prestige ou sur d’autres lieux de regroupements (tableau 4). Il n’est pas toujours possible d’évaluer l’extension maximum des lieux sépulcraux ou la présence de plusieurs localisations simultanées (Ur). Cependant, les différences entre intra-muros et extra-muros distinguent effectivement les statuts des individus, et en particulier, distinguent l’élite et le reste de la population. La localisation des tombes de prestige, souvent centrale, démontre qu’elles ont une fonction dans l’organisation du site. L’implantation de la tombe de prestige suggère des changements politiques et sociaux.

À Tell Banat, trois localisations sont distinguées, au moins, pour une même période (tableau 4)802 : le complexe central, les tombes 1 et 2 en périphérie et Tell Banat Nord. Dans le centre urbain, les sépultures sont intégrées dans l’organisation politique et religieuse du site, et elles influencent l’agencement du bâti. Les bâtiments, avec la succession en paliers des espaces ouverts et fermés, facilitent l’accès aux sépultures et les placent au cœur de l’espace public803. Des pratiques se déroulant dans l’espace public donnent lieu à l’ouverture des tombes du complexe funéraire. Porter démontre à ce propos les liens entre le centre urbain et les Monuments Blancs804. Les tombes situées à la limite de la ville témoignent d’une société segmentaire, avec un fondement familial fort, et d’une distinction sociale entre une population aisée et l’élite émergeante. Ce sont des tombes à inhumations collectives805 ; les individus sont de sexes et d’âges différents (adultes et enfants)806. Pour Fleming, la ville est le référent identitaire de la communauté, le centre de représentation du « corps collectif », et, par extension, le lieu où l’on se fait inhumer807. Il rejoint Porter sur ce point, pour qui la tombe (qu’elle soit visible ou non) est le monument structurant l’identité familiale et l’organisation sociale. La sépulture est intégrée dans l’espace urbain car il s’agit du marqueur visible temporel, dans l’espace du territoire808. Les Monuments Blancs, situés à l’extérieur de la ville, sont également un point de référence sur le territoire. Les propositions de Porter sont à discuter809, il apparaît néanmoins une dialectique funéraire propre à Tell Banat : les monuments funéraires intra-muros et extra-muros ont un rôle dans la structure sociale, politique de la ville ainsi que les tombes 1 et 2.

Par contre, deux regroupements de sépultures sont visibles dans l’enceinte de Jerablus-Tahtani (tableau 4) : sous le bâtiment B1000 et à proximité de la tombe 302810. La tombe monumentale est la plus ancienne ; elle est construite au début du Bronze Ancien III. Sa construction intervient dans une phase de changement dans l’organisation de la communauté811. Elle tient donc le rôle prédominant dans la reproduction de la communauté et, par conséquent, d’autres tombes se regroupent autour d’elle. Le bâtiment B1000 contemporain construit au centre du tell (secteur IV) est utilisé jusqu’à la fin du Bronze Ancien, alors que la tombe 302 est abandonnée à cause des inondations régulières. Il n’y a pas une volonté de déplacement de l’extérieur vers l’intérieur ; d’ailleurs, il ne semble pas qu’il y ait un changement dans les pratiques avec l’implantation d’une autre tombe monumentale. Des tombes construites non monumentales sont situées sous le bâtiment B1000 (tombes 787, 1518)812 ; les inhumations collectives sont également pratiquées (de deux à neuf individus dénombrés). Si l’utilisation de deux secteurs doit être prise en compte dans l’analyse du site, la distinction entre les deux n’est pas évidente car la fonction du bâtiment B1000 reste à préciser. Il faut souligner, comme pour Tell Banat, que les tombes de ces secteurs sont riches en matériel.

Les exemples cités illustrent la signification sociale dans la distinction des lieux d’inhumation. Les choix sont souvent interprétés comme discriminatoires, telle ou telle catégorie sociale étant exclue, mais le fonctionnement simultané des lieux d’inhumations est complémentaire même s’il insiste, dans certains cas, sur une dichotomique sociale ; chaque lieu, dans la ville ou l’extérieur, est signifiant pour chaque classe d’individus de la communauté.

C’est, en effet, ce qui apparaît à Ur. Une petite partie de la population et la plus riche est enterrée dans le Cimetière Royal. Le reste de la population devait se faire enterrer, soit en cimetière, soit sous les maisons813. Une partie de la population, spécialisée celle-ci, les prêtres et les prêtresses, se faisaient enterrer dans le Giparu, sous le bâtiment de secteur C, depuis sans doute la 2ème moitié du IIIème millénaire814. Cette répartition des sépultures montre l’importance du statut de l’individu dans la société et que le choix de l’emplacement a un sens symbolique déterminant. Les deux cimetières contemporains A et Y de Kish distinguent socialement les individus. Il est possible d’imaginer une situation similaire pour Ur.

Tableau 4- Répartition des lieux d’inhumations contemporains
Sites Tombes de prestige Tombes "satellites" Autres lieux d'inhumations
      Intra-muros Extra-muros
Tell Ahmar hypogée T1-5 ? ?
Tell Banat T7 T4, T6, T9 ? Tell Banat Nord T1, T2
Tell Bi'a mausolées 0 X cimetière U
Ebla G4 0  X ?
Tell Hadidi D1, L1 0 X ?
Jerablus -Tahtani T302 pithoï, cistes B1000 cimetière ?
Mari 221-222, 300 0 X ?
763, 928 0 X ?
Qara Quzac L12 0 X ?
Umm el-Marra T1-7 structures A-D ? ?
Kish Y237, 357, 529   ? ?
Kheit Qasim cimetière   ? 0
Ur Cimetière Royal   Giparu? ?
Mausolées UR III   Giparu, autre? ?

Notes
802.

Cf. chronologie 1, volume 3.

803.

Cf. infra pp. 189-190.

804.

Cf. supra pp. 66-67.

805.

Cf. infra p. 226. Carter, Parker 1995 : 108. Le type de tombes en puits à plusieurs chambres creusées dans le rocher sont présents à Halawa (2, 31, 32, 34, 35, 37, 64, 70, 119), Tawi (T 6, 9, 22), Selenkahyié (W12 Q26). À Halawa, les tombes 70, 119 sont les plus riches (Orthmann 1981). Cf. infra n. 867, p. 163.

806.

Cf. infra p. 218.

807.

Fleming 2004.

808.

Porter 2000 : 44.

809.

Cf. supra n. 804.

810.

Peltenburg et alii 2000 : 72. Les fouilleurs ont détectés un autre lieu d’inhumation extra-muros, en cimetière dans un sondage au Nord du secteur IV ; les tombes sont datées du début du Bronze Ancien.

811.

Peltenburg 1999 : 430.

812.

Peltenburg et alii 1997 : 7-9.

813.

La population vivant à Ur, selon des estimations, devait représenter approximativement 28 000 à 50 000 personnes. L’ensemble du cimetière représente plus de 2000 tombes sur toutes les périodes d’utilisation, environ 347 personnes pour le DA IIIA. Cf. Pollock 1983 : 14-150.

814.

Weadock 1975 : 101-128.