B. La localisation des tombes

1. Les lieux d’inhumations privilégiés (tableau 5)

Une distinction préliminaire apparaît entre la Syrie du Nord et la Mésopotamie. En effet, les tombes de prestige sont localisées différemment dans les deux régions ; elles sont préférentiellement situées intra-muros en Syrie du Nord et extra-muros en Mésopotamie. Le tableau présenté ci-dessous tente, par ailleurs, de mettre en évidence l’intention de ces choix. Comme souligné précédemment et au cours de la discussion, les localisations sont le résultat de choix culturels collectifs permettant à chaque communauté de se reconnaître et de réaffirmer sa cohésion.

En Syrie, il n’y a pas d’uniformité ; cependant, les localisations de prestige qui se retrouvent sont : les espaces publics, les temples, les palais. Les lieux « publics » sont privilégiés. Bien que définis comme publics, les accès sont limités ou contrôlés. À Jerablus- Tahtani par exemple, la tombe est en limite du rempart, visible de l’extérieur, elle est entourée d’un « Téménos » qui en contrôle l’accès. À Umm el-Marra, l’Acropole centrale est occupée par le complexe funéraire, et celui-ci fait partie intégrante du domaine public, car il reste parfaitement visible. Il n’est pas encore précisé si l’ensemble est entouré d’un mur. Le complexe funéraire est un espace de culte car il comprend également des constructions dédiées probablement à des cultes funéraires.

Les lieux de culte et leur proximité sont recherchés ; il semble que cette tradition soit partagée par la Syrie et la Basse Mésopotamie. À Kish, en effet, le cimetière Y se situe à proximité d’un temple et d’une ziggourat ; bien qu’il n’existe pas de corrélation directe le secteur du cimetière est un lieu cultuel et de prestige. À Qara Quzac, le caveau est situé dans l’enceinte du temple. Pour les tombeaux 241-242 et 300 de Mari, Margueron suggère que le Temple d’Ishtar n’aurait pas été construit sur cet emplacement si les constructeurs avaient eu connaissance des tombeaux. Par ailleurs, l’enceinte sacrée d’un temple ne pourrait servir de lieux d’inhumations, ainsi que Margueron le suppose pour le Palais des Šakkanakku 815. La découverte récente d’une tombe sous le temple A de Tell Beydar va à l’encontre de ces hypothèses, pour l’aire syrienne. Nous pouvons voir également que dans la tombe royale d’Arslantepe est localisée à proximité des grands temples de la ville (pl. 28). Les individus de prestige se font inhumer intentionnellement dans cette partie de la ville. L’argument de la « sacralité » des lieux avancé par Margueron n’est pas antithétique avec l’idéologie de prestige ; au contraire, l’importance du personnage nécessite un respect des lieux choisis permettant également des pratiques rituelles. En outre, le problème sur la relation entre temple et inhumations de prestige oblige à s’interroger sur la fonction et le statut des individus. Le personnel clérical est issu de la famille royale dans la tradition mésopotamienne : l’une des filles de Sargon est prêtresse à Ur ; un bol provenant de Mari indique que l’une des filles de Naram Sin, Shumshani, était prêtresse de Shamash816. Il est possible que des membres de la famille royale se soient fait inhumer dans le secteur d’un temple. La proximité d’un bâtiment cultuel a été un facteur positif dans le choix de l’emplacement. De plus à Mari, le regroupement de sépultures dans le secteur du temple démentirait les suppositions du fouilleur.

Les tombeaux sous les palais ou des bâtiments (Tell Ahmar) sont une tradition ancienne en Syrie du Nord ; elle se développe à la fin du IIIème millénaire en Mésopotamie (Uruk817). À Ebla, il s’agit d’une tradition locale liée à la nature et au fonctionnement de la royauté. Il s’agit d’un lignage familial dans lequel les rois morts sont individualisés et intégrés dans le culte des ancêtres818. L’intégration de la tombe du roi sous le palais marque son appartenance à la famille royale, et à un culte familial.

En Mésopotamie, les nécropoles sont des lieux d’inhumations de prestige. Les ensembles extra-muros sont connus en Syrie, à Tell Bi’a par exemple, avec le cimetière U mais la population enterrée est d’un statut distinct ; cependant il y a une évolution dans ce cimetière puisqu’au Ier millénaire, des tombes monumentales peut-être royales sont construites. Par ailleurs, à Ur, le cimetière est un facteur attractif pour la construction des Mausolées à la fin du Bronze Ancien, en dehors du Téménos sacré.

Tableau 5- Localisation des tombes et fonction des espaces funéraires
  Intra-muros Extra- muros
Espace public Temple Habitat Palais Tertre Cimetière
Syrie Tell Banat 7 Mari 241-242, 300 Tell Ahmar ? Tell Bi'a Tell Banat Nord  
Tell Hadidi Qara Quzac L12   G4    
Jerablus Tahtani     Mari 763-928    
Umm el-Marra          
Mari 21-22          
Mésopotamie           Kheit Qasim
          Kish
          Ur
Notes
815.

Margueron 2004 : 361.

816.

Margueron 2004 : 306, fig. 294.

817.

Lenzen 1963.

818.

Porter 2002a : 5.