C. Le regroupement

Dans le tableau 6 ci-dessus, nous avons intégré les tombes dites « satellites », c’est-à-dire des tombes situées à proximité immédiate des sépultures de prestige et associées à elles. Le phénomène de regroupement autour d’une ou plusieurs tombes principales n’est pas systématique, mais il est un facteur important, structurellement et symboliquement. Il apparaît de façon distincte. Des sépultures simples (cistes ou pithoï) sont creusées à proximité de la tombe monumentale. Par exemple à Tell Ahmar, une sépulture contemporaine est construite à proximité de l’hypogée ; les tombes en ciste et des sépultures d’enfants ont été disposées dans le périmètre proche du complexe funéraire. Dans ce cas, les inhumations distinguent les adultes et les enfants ; les sépultures d’enfants sont sous des constructions. Le problème qui peut être souligné est la relation entre les tombes d’enfants et le complexe de prestige819. À Jerablus-Tahtani une vingtaine de tombes, en cistes, en pithoï ou en puits à inhumations collectives, sont regroupées dans le périmètre de la tombe. À Tell Banat, toutefois, les cistes secondaires sont ré-ouvertes pour transférer les ossements vers d’autres sépultures : elles seraient des sépultures temporaires.

La visibilité de certains monuments funéraires n’est pas négligeable dans la volonté de regroupement. Les tombes de prestige sont des constructions monumentales dont la position est visible, soit sur un point élevé soit sur le sol, ce qui en fait des bâtiments centraux dans la topographie du site820. Le complexe d’Umm el-Marra, sans doute l’exemple le plus significatif, est situé sur l’Acropole et sans doute construit sur le sol. Ainsi, l’architecture des monuments funéraires est liée à la situation topographique ; les deux facteurs sont en effet complémentaires dans la construction idéologique.

La présence de sépultures simples, aux alentours de la tombe monumentale, est la manifestation de l’attraction exercée par la personne de prestige, et de l’importance idéologique de se faire inhumer auprès de cette personne, dans un espace qui est symbolique, et idéologiquement significatif. Qu’en est-il des personnes inhumées dans ces tombes « satellites » ? Faut-il les considérer comme des « morts d’accompagnement »821? Les accompagnants sont le plus souvent inhumés dans la tombe auprès de l’individu principal : ce sont des esclaves, des proches serviteurs. Les individus regroupés dans les tombes « satellites » ont un statut différent : leur statut social ainsi que les liens sociaux, familiaux, ou claniques qui les relient aux personnages principaux restent incertains. 

Il y a une attraction « rétroactive » avec l’implantation de tombes durant les périodes ultérieures dans le secteur. La mémoire des lieux demeure, consciemment ou inconsciemment ; cette « mémoire » est une donnée importante dans l’étude des tombes de prestige822 puisqu’elle s’inscrit dans une perspective plus profonde de la relation des individus, et en particulier des souverains, avec leur territoire et avec leur racine commune. Cet enracinement dans les lieux permet d’établir une légitimité. C’est aussi la relation avec les ancêtres. La tombe devient un lieu de la mémoire ancestrale dans laquelle chacun se reconnaît. Il est donc important que la tombe soit accessible ou visible pour célébrer cette « mémoire »823.

Dans les cimetières, le rassemblement des tombes de même catégorie sociale est plus visible. À Ur, les Tombes Royales ont probablement transformé la nécropole en un lieu de prestige. Le choix des lieux d’inhumation, comme les pratiques, évoluent en fonction des changements sociaux : les cimetières précédant le Dynastique Archaïque, d’après les données archéologiques disponibles montrent certaines distinctions statutaires824. À Kish, au sein du cimetière A, il y a des distinctions sociales, sexuelles, d’âge ; le cimetière Y est un complexe funéraire pour des individus de statut élevé. La répartition spatiale des classes sociales est nettement marquée.

Notes
819.

Cf. Abu Salabikh : regroupement d’enfants sous des bâtiments 6G Ash-Tip (Green 1993 : 11- 17, 18-21, figs 1 : 9, 25, 29) ; Nippur (McCown, Haines 1967).

820.

Cf. infra chapitre 2.

821.

Testart 2004a.

822.

Jonker 1995.

823.

De Cesari 2001.

824.

Forest 1983 : 117-131.