D. La permanence

À Ur, l’aire du cimetière est utilisée de la fin du IVème millénaire jusqu’à la fin du IIIème millénaire; c’est le phénomène de permanence le plus long observé dans le corpus. Le cimetière acquièrt une importance symbolique au cours de son utilisation jusqu’à la fin du IIIème millénaire, ce qui a dû influencer le choix de l’implantation des Mausolées. La localisation à l’extérieur du Téménos nous semble résulter d’un choix volontaire. Deux hypothèses peuvent être avancées : tout d’abord, les Mausolées, dédiés aux rois divinisés, se sont rapprochés des anciens souverains dans le but d’affirmer leur filiation idéologique ; il est possible également que les individus inhumés dans les Mausolées n’étaient pas des rois825. À Kheit Qasim le cimetière est utilisé à deux époques. Nous avons un phénomène social et surtout familial, les deux étant largement liés dans des structures sociales réduites d’ordre tribales ou claniques.

La réutilisation et la réouverture des caveaux comme à Jerablus-Tahtani, à Umm el-Marra, sont une marque de permanence mais sur une durée plus restreinte, d’une ou deux générations.

Les traditions d’inhumations dans un même lieu se perpétuent et se diffusent, comme celle d’inhumer dans le palais. La construction de caveaux sous les palais apparaît au IIème millénaire en Mésopotamie du Sud, à Uruk par exemple. Les tombeaux royaux sont attestés pour les palais néo-assyriens de Nimrud et Assur. Dans le Moyen Euphrate et en Mésopotamie du Nord, la tradition ancienne est conservée à Tell Bi’a, Ebla. Au Bronze Moyen, à Ebla, la nécropole royale est implantée en partie sous le palais occidental. Cette pratique funéraire royale se retrouve sur d’autres sites de la région syro-levantine, connus en tant que capitales régionales dans l’Antiquité (Ougarit, Qatna, Atchana) ; c’est une pratique « identitaire » et idéologique forte pour la royauté de cette partie du Proche-Orient. La permanence des inhumations royales dans l’enceinte du palais à Ebla est tout à fait significative de l’importance de l’idéologie royale dans la cité, liée à la personne du roi lui-même, à sa famille et à l’unité du corps social autour de ces personnalités, acquise plus tôt qu’en Mésopotamie méridionale. Comment interpréter l’hypothèse émise par Margueron sur les tombeaux du palais oriental de Mari, considérant qu’il était sans doute impur de construire des tombeaux royaux dans une enceinte sacrée ? Il se distinguerait ainsi de ses voisins tels qu’Ebla, ou Tell Bi’a. La pratique d’un culte royal et des rois défunts est liée à la présence des tombes dans l’enceinte du palais. Celui-ci ne s’organise pas autour des tombes, mais il apparaît, sur les plans, que des espaces ouverts sont liés à des rites qui devaient se dérouler à proximité des tombes ou tout du moins en rappeler la présence. C’est aussi le cas à Ougarit. S’agit-il de traditions différentes entre Ebla et Mari dans la conception de la royauté et le culte des Ancêtres comme le suggère Porter826 ? À Ebla, les rois défunts sont individualisés, tandis qu’à Mari ils constituent un groupe mentionné lors du rituel du kispum et ils ne sont pas divinisés, contrairement à Ebla où, dans les listes, les noms sont précédés d’un signe dingir 827. Est-ce la différence idéologique qui influence des pratiques différentes ? Les rois défunts à Mari sont en quelque sorte écartés du centre politique et idéologique de la cité. D’autres tombeaux ont été installés près des temples (tombes 241-242, 300).

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En somme, ce premier chapitre sur la topographie des sites et la localisation des lieux d’inhumations a permis d’orienter sur les choix politiques, idéologiques et rituels qui dictent les emplacements des tombes de prestige. Les traditions entre la Syrie et la Mésopotamie sont distinctes : en Syrie les tombes intra-muros sont privilégiées, tandis que les regroupements extra-muros sont communs à la Mésopotamie. Les modalités sont également différentes : les cimetières sont des lieux de regroupement de prestige en Mésopotamie ; en Syrie, ce sont les tombes intra-muros sur différents points du site : palais, Acropole, aire sacrée. La préoccupation principale dans les pratiques funéraires de prestige reste la mise en valeur des défunts, et leur relation avec les vivants, réitérées dans des rites communautaires. L’impact sur la communauté de la perte d’un personnage important est comblé par le renouvellement du sentiment communautaire au travers de la continuité du pouvoir, seul à même de subvenir à l’ensemble des besoins sociaux.

La place de la tombe dans la ville et la tombe elle-même sont la conséquence et la cause des choix idéologiques et des pratiques rituelles828. Chaque tombe s’inscrit dans l’identité culturelle de la ville et de la région dans laquelle la communauté évolue ; ce qui marque une différence entre Syrie et Mésopotamie, mais nous verrons que d’un point de vue architectural les traditions se rejoignent.

Notes
825.

Michalwosky 1977a, b ; Moorey 1984 .

826.

Porter 2002a : 1-36.

827.

Porter 2002a : 5, n. 9.

828.

Barnett 1990.