4. Les inhumations indéterminées

Dans tous les sites, les restes ostéologiques ne sont pas bien conservés, ce qui pose le problème de la reconstitution des rites funéraires. À Kish, nous avons constaté la difficulté de restituer le nombre des inhumations pour les tombes à char.

À Mari, dans les tombeaux du Dynastique Archaïque c’est aussi le cas. Pour les tombeaux 21-22, « il ne restait que des ossements épars mêlés à des cendres abondantes… »1160 ; Jean-Marie estime, d’après la dimension des tombeaux, que plusieurs inhumations simultanées, voire successives, sont envisageables. Il en est de même pour les tombeaux 241-242 où aucune mention n’est faite sur les ossements1161. Un crâne a été retrouvé dans le tombeau 300, contre le mur Est, à proximité de l’entrée. La présence de deux épingles in situ « l’une enfoncée dans le gosier, l’autre dans la nuque où elle avait dû,…, provoquer une mort immédiate », permit au fouilleur de conclure « il semble qu’on ait là les restes d’un individu sacrifié vivant »1162. Jean-Marie tempère ces conclusions hâtives en précisant qu’il n’est pas certain qu’il s’agisse d’un individu inhumé dans le tombeau, ce peut être un fouilleur clandestin ; en outre, même si cet individu est effectivement inhumé dans le tombeau (ce que nous ne pouvons pas préciser ni démontrer), la description de Parrot est « symptomatique » des découvertes d’Ur et d’une vision romantique de la mort de cet individu. Il n’est pas tenu compte des perturbations taphonomiques et les épingles ont très bien pu appartenir effectivement au défunt. Le matériel, bien qu’il ait été pillé, est en relation avec ce reste d’individu. Quelques ossements ont été retrouvés à l’extérieur de la tombe, dont il est difficile d’établir le lien avec la tombe elle-même. Ces tombeaux sont un exemple de l’impossibilité de déterminer les types d’inhumations ; la dimension des tombes ne permet en aucun cas de dire qu’il y a eu une ou plusieurs inhumations. Ce n’est qu’une hypothèse.

Les tombeaux 928 et 763 sont vides. Malgré la superficie des tombes on ne peut en conclure qu’il s’agit de sépultures multiples ; il est probable que ces tombes aient été vides volontairement1163. Les mauvaises conditions de conservation sont le facteur essentiel de l’absence de corps, avec les pillages et destructions comme c’est le cas à Ebla. La forme de la tombe, similaire aux tombeaux 928 de Mari et L.12 de Qara Quzac, pourrait avoir abrité une inhumation multiple ou double, par exemple, un individu dans chaque chambre comme à Qara Quzac.

Ainsi, les inhumations multiples (simultanées) et les inhumations collectives sont pratiquées dans les tombes de prestige en Syrie du Nord et en Mésopotamie du Sud (tableau 17). Les pratiques d’inhumations individuelles sont minoritaires. L’inhumation individuelle est majoritaire dans les tombes privées.

Les inhumations multiples des Tombes Royales sont un cas exceptionnel, dans le cadre de la Mésopotamie et de la Syrie du Nord. Deux types d’inhumations sont pratiqués. Tout d’abord, les inhumations regroupées autour du personnage principal, dans les chambres funéraires, identifient clairement une hiérarchisation entre les individus. De plus, les corps placés à l’extérieur, en petit nombre ou en cortèges, appartiennent à d’autres groupes de statut inférieur. L’inhumation multiple correspond en effet à l’apparat royal qui peut rassembler un grand nombre de personnes pour accompagner le roi dans la mort. La forme de la tombe est adaptée aux objectifs rituels1164 : par exemple, pour accueillir les cortèges et les chars.

En Syrie du Nord et dans la vallée de l’Euphrate, les tombes des élites, à Jerablus-Tahtani, à Umm el-Marra, à Tell Bi’a, privilégient les inhumations multiples et collectives ce qui mettrait en évidence les liens parentaux structurant la société1165. Cependant la pratique de l’inhumation collective ou multiple dans la vallée de l’Euphrate est largement attestée dans d’autres types de sépultures, telles que les tombes à chambres latérales creusées (Tell Banat, Abu Hamed, Tawi, Halawa, Qatna). Cette pratique n’est donc pas déterminée par la forme de la tombe, ni par le statut des individus mais par la volonté de renforcer les liens de groupes particuliers.

Des pratiques d’inhumations sont distinctes et distinguent les statuts. Nous regardons attentivement si le traitement des corps apporte d’autres éléments de distinctions dans les tombes de prestige.

Notes
1160.

Parrot 1935 : 9 ; Jean-Marie 1990 : 305, n. 6.

1161.

Jean-Marie 1990 : 305 (tombeaux 21-22), 306 (tombeaux 241-242).

1162.

Parrot 1938 : 6-7 ; Jean-Marie 1990 : 307.

1163.

Margueron 1990 : 401-422.

1164.

Cf. suprapp. 169-170.

1165.

Schwartz et alii 2006 : 629, « The tombs support Stein’s observation that Syrian Early Bronze Age elite burials tend to contain multiple interments, as opposed to elite burials of Southern Mesopotamia ».