3. La crémation

L’identification de la crémation des corps à Qara Quzac incite à se pencher plus avant sur cette pratique. Sur l’ensemble de la Syrie et de la Mésopotamie au IIIème millénaire cette pratique est attestée, mais elle reste d’un usage limité. La crémation est en effet plus connue pour le Ier millénaire1172.

En Syrie, plusieurs exemples sont attestés. À Tell Banat, des squelettes brûlés ont été découverts dans les tombes 1 et 2. La présence d’une structure de foyer à l’entrée de la tombe 1 suggère un rituel funéraire durant lequel est pratiquée la crémation1173 ; par ailleurs, des ossements d’animaux et des objets étaient également brûlés. À Mari, dans les tombeaux 21-22 de la « Ville 1 », Parrot mentionne quelques ossements humains épars dans les chambres mélangés à des cendres abondantes1174 : est-ce à dire qu’il y a eu crémation ? Rien ne permet de valider cette hypothèse. Dans les trois autres tombeaux sous le temple d’Ishtar, il n’est pas fait mention de traces de feux1175. À Tell Chuera, au Nord-Ouest du Steinbau I, dans un bâtiment de cinq pièces1176 des corps ont été découverts. Dans la pièce V, les squelettes présentaient des traces de brûlé1177.

En Mésopotamie, dans un groupe de tombes postérieures aux Tombes Royales, la crémation a été pratiquée1178. Les tombes suivent une autre orientation et le mobilier est plus pauvre. Les corps ne sont pas passés entièrement sur le bûcher ; ils sont déposés ensuite sur les tombes et un feu est situé près de la tête. L’apparition d’une nouvelle pratique suggère à Woolley : « […] a) distinction by some quality of race or religious from the bulk ; b) people of law social standing (slave, prisoners)”1179. Pourtant, dans les sépultures du Cimetière Royal, des études récentes mentionnent des traces de brûlé sur les ossements : c’est le cas pour le squelette de Meskalamdug, le corps de la tombe 1573 et l’individu de la tombe 211 présentent également des traces de crémation1180. Pour le cas de Meskalamdug, la crémation (ou d’une exposition partielle au feu) ne serait donc pas une pratique discriminatoire. À Khafadjé, dans les tombes 43, 47 et 56, les corps de trois adultes présentent des traces de brûlé sur une partie du corps : soit sur la partie supérieure (tombes 43, 47), soit aux hanches1181. Des traces de feux sont mentionnées sur les murs de la chambre de la tombe 43, mais rien à proximité immédiate du corps. Cette constatation suggère aux fouilleurs qu’il ne s’agit pas d’un rituel funéraire, mais seulement d’une purification tardive qui a exposé « accidentellement » la chambre aux flammes1182. L’absence de description détaillée ne permet pas d’identifier une crémation ou crémation partielle1183.

La crémation est une pratique funéraire limitée à l’échelle régionale et rare sur un site pour le IIIème millénaire. Les exemples cités ne permettent pas d’établir des corrélations avec des conceptions religieuses, ou sur l’âge ou le statut des défunts. Il est impossible de démontrer, également, les facteurs qui impliquent la crémation d’un corps, plutôt qu’un autre. Les raisons discriminantes (circonstances de la mort, niveau social) ne sont pas à retenir pour les cas présentés ci-dessus, comme à Ur, si les traces de brûlé sur le squelette de la tombe 755 sont confirmées. Cependant une interrogation subsiste concernant le statut des individus : si les squelettes sont traités richement, à l’égal d’individus de prestige, il serait possible que la crémation ait été réservée à des individus appartenant à une caste spécifique de la société. À Tell Chuera, le contexte cultuel des inhumations est particulièrement significatif.

Plus généralement, l’utilisation du feu dans les tombes est attestée, dans des usages culinaire ou rituel. Le feu est employé dans des rituels, parfois associé à l’eau ; celle-ci, contrairement au feu, tient une place prédominante dans les conceptions symboliques mésopotamiennes1184.

* * *

Les traitements du corps décrits ne font pas apparaître de différences avec des inhumations simples, de plus elles sont variables dans un même complexe (Ur). La pratique de la crémation est difficilement assimilable à une pratique élitaire en raison du peu d’exemples dans le corpus. Par contre, l’étude des types d’inhumations sont significatifs dans l’interprétation des structurations sociales de l’élite. Nous avons distingué les pratiques basées sur le groupe qui se traduisent dans des inhumations collectives ou multiples et les pratiques qui se fondent sur la hiérarchie du groupe élitaire (Ur, Kish). Dans le cas de la vallée de l’Euphrate, les cérémonies accompagnant les réaouvertures lors de nouvelles inhumations ainsi que les traitements pratiqués sur les ossements font partie des rituels funéraires. Des espaces sont aménagés dans le complexe funéraire (Umm el-Marra) pour les cérémonies liées aux sépultures et aux commémorations.

Au-delà du corps, c’est l’ensemble de la tombe qu’il faut étudier ; elle recèle une multitude de gestes funéraires précis qu’il est nécessaire de décrypter pour tenter de saisir la complexité des pratiques funéraires. L’association des éléments, eau, feu, et des objets liés aux rites compose une dialectique funéraire et symbolique complexe.

Notes
1172.

Cf. Tenu 2005 pour une approche synthétique pour les Ier et IIIème millénaires.

1173.

Porter 1995 : 8 ; 2002a : 17 ; Wilhelm 2007 : 370.

1174.

Parrot 1935 : 9 ; Jean-Marie 1990 : 305, n. 6.

1175.

Jean-Marie 1990 : 308, quatre petits récipients à l’extérieur de la tombe 300 contenaient des charbons de bois.

1176.

Moortgat 1962 : 35-38, 36, abb. 28, plan V.

1177.

Moortgat 1962 : 40.

1178.

Woolley 1934 : 141-143.

1179.

Woolley 1934 : 143.

1180.

Mollesson, Hodgson 2003a : 94, 95, 105.

1181.

Delougaz et alii 1967 : 73, 74, fig. 37, 74, pl. 56B, 78, fig. 56, 135.

1182.

Delougaz et alii 1967 : 73.

1183.

Tenu 2005 : 41, l’auteure mentionne deux nécropoles paléo-babyloniennes (Surghul, Al-Hibba) fouillées au XIX ème siècle par Koldewey, dans lesquelles les corps ne seraient pas brûlés entièrement.

1184.

Bachelot 2005.