2. Les sacrifices d’équidés

Dans quelques tombes, des équidés et des bovidés sont déposés entiers. Ces animaux ne sont plus sacrifiés pour des raisons alimentaires mais pour des raisons idéologiques. Dans ces catégories ? L’équidé et le bœuf sont les plus représentés avec le chien1225. Deux cas de dépôts se présentent, qui n’ont pas les mêmes significations : l’animal associé à un char dans la tombe et l’animal seul.

Dans les tombes d’Ur (tombes 789, 800) et les tombes à char de Kish, les animaux sont des bêtes de trait pour des chars à deux ou quatre roues. Dans la tombe 800, ce sont des bœufs qui sont identifiés. Pour les équidés, de type onagre ou âne, outre la valeur « intrinsèque » de l’animal, c’est la fonction à laquelle il est associé qui est significative. Des tombes à char ont été mises au jour dans la nécropole de Suse1226 ; de l’une de ces tombes, provient une jarre de type « Scarlet Ware » sur laquelle est représenté un char, dans un contexte rituel (figure 14)1227. Ce vase fait référence à une jarre de type similaire provenant de Khafadjé : plusieurs vignettes représentent des scènes « socio-rituelles », et dans l’une d’elles un grand personnage est figuré conduisant un char tiré par deux équidés (figure 15)1228. Nous remarquons sur ce vase la concomitance avec une scène que nous interprétons comme sacrificielle : un individu est assis, tenant un ustensile dans sa main droite levée, devant un suidé ; derrière lui se tiennent debout deux individus de face, tenant un objet circulaire, sous lequel semble apparaître une tête d’animal. Le char est un attribut militaire et un symbole de la fonction royale1229, d’autres représentations (l’Étendard d’Ur par exemple) représentent le souverain à l’intérieur ou à côté de son char : celui-ci est représentatif du rôle du souverain mésopotamien idéal (pl. 85)1230.

Parfois, des structures associées aux complexes funéraires contiennent seulement des équidés. L’exemple le plus significatif est Umm el-Marra où des animaux sont sacrifiés et placés dans des structures de briques crues (A, B, C), probablement lors de rites annexes aux enterrements1231. Dans ce cas, les équidés sont sacrifiés dans un contexte lié à des rites funéraires spécifiques et au « cimetière royal». Les animaux sont associés à d’autres espèces (chien, chèvre/mouton), de la vaisselle et des sacrifices de jeunes enfants.

Les sacrifices d’équidés dans des tombes associés à des ossements humains, sans char, sont retrouvés sur plusieurs sites1232 : en Mésopotamie, à Tell Madhhur (pl. 84a)1233, Nippur (tombe 14)1234, Razuk (tombe 12)1235, ‘Ūsīya1236 ; en Syrie, à Tell Bi’a dans le cimetière U (U22)1237, Halawa1238, Abu Hamed (tombe A5)1239, et Terqa1240. Les sépultures sont de grandes dimensions ; elles sont pourvues de céramiques et de paraphernaux métalliques associés aux équidés. Dans certaines d’entre elles des passe-guides zoomorphes sont mis au jour, sans qu’un char ne soit présent dans la tombe (Tell Mardhhur).

Des tombes d’équidés seuls sont également mises au jour à Abu Salabikh (pl. 84b)1241, à Tell Brak1242 et à Tell Banat, dans la phase III, il est mentionné une tombe d’équidé1243.

La présence d’équidés dans les tombes royales est bien attestée dans les textes1244. Dans K.7856 (annexe 1-Ae), des chevaux sont sacrifiés pour Gilgameš (9 fois ? […] j’ai massacré en l’honneur de Gilgameš des chevaux «non montés ») et dix autres chevaux, offerts par le roi d’Urartu, sont déposés dans la tombe. En outre, dans le texte d’Ur Nammu (annexe 1-Bb), le roi rejoint les Enfers sur un char tiré par des équidés ; dans le texte UCLM 9-17981245 il est également question d’un âne et d’un char (annexe 1-Ad). Archi souligne que les rares références de cérémonies funèbres dans les textes éblaïtes, font mentions de mules harnachées et des roues destinées au transport du défunt dans l’au-delà ; l’auteur ajoute, à propos de l’hypogée G4 : « We do not know if the animals were killed, but they were certainly not buried alongside the tomb of the deaceased »1246.

Les tombes royales de Tell Bi’a, Jerablus-Tahtani ou Tell Banat ne sont pas associées à des chars, ni à des équidés comme les tombes mésopotamiennes de Sumer et du Hamrin. Nous avons des traditions funéraires distinctes qui apparaissent d’une façon inédite en Syrie du Nord avec les sacrifices d’Umm el-Marra.

L’iconographie a glorifié l’image du roi triomphant sur son char : Eannatum, sur la stèle de Vautours (AO 50-2346, 47, 48), terrasse les ennemis et conduit ses troupes à la victoire avec l’aide des dieux1247 ; sur l’Étendard d’Ur, le roi victorieux est descendu du char, figuré à l’arrière plan1248. Le char est utilisé dans la pompe du cortège funèbre des rois et reines du Cimetière d’Ur, comme Ur Nammu sur le char : il mène les souverains à leur dernière demeure.

Les équidés sacrifiés dans des sépultures sont associés à un contexte de prestige, ainsi que le montre le matériel (Nippur)1249. Ils sont offerts comme cadeau de prestige pour les funérailles royales. Il semble donc que l’équidé est le compagnon idéal du haut personnage autant pour son utilité militaire que pour sa valeur. Les exemples des tombes de Mésopotamie et de Syrie démontrent que les équidés sont symboles de la royauté et de l’élite.

Le sacrifice du cheval est connu, par ailleurs, dans le Proche-Orient. Dans le monde hittite, lors des funérailles royales, des sacrifices et la crémation de chevaux sont pratiqués au neuvième jour des cérémonies. D’après le texte cité par Lebrun, des bœufs étaient également sacrifiés et les cendres dispersées à l’endroit du sacrifice1250. Dans les tombes d’Alaça Hüyük les crânes étaient déposés au-dessus de la tombe. Par ailleurs, Hérodote décrit les funérailles royales Scythes durant lesquelles sont sacrifiés les meilleurs chevaux du souverain et son personnel, puis un an après, d’autres chevaux et leurs cavaliers. Pour cette civilisation des steppes, basée sur l’économie du cheval, celui-ci représente à la fois une richesse, un allié indispensable pour les déplacements, et un pouvoir pour le chef de guerre. Les pratiques d’inhumations de chevaux sont connues dans des régions d’Asie Centrale depuis des périodes anciennes dites « Proto-Indo Européennes » (4000-2500 av. J.-C.), dans des groupes culturels appartenant à la tradition « Kourgane ancien »1251. Les chevaux ne sont pas entiers, et ils sont associés à d’autres espèces domestiques (ovi-caprinés, bovins, canidés). La viande de cheval fait partie de la diète carnée des populations ; mais l’animal tient aussi une place importante dans la mythologie indo-européenne.

Notes
1225.

Vila 2005 : 347.

1226.

Amiet 1962 : 142, fig. 103 au-dessus des roues de char a été retrouvée une coupe en cuivre à pied apparentée à la vaisselle d’Ur (Woolley 1934 : pl. 160a, b).

1227.

Amiet 1962 : 146-147, fig. 106, la jarre provient d’une tombe du « donjon », près de laquelle a été mis au jour un char tiré par des bœufs. Le décor est placé sur les épaules de la jarre, il se développe sur une métope, divisé en scènes distinctes par des bandes verticales aux décors géométriques. Le char à quatre roues est tiré par un animal (bovidé) ; un personnage le conduit, derrière lui, sur une « tour à étage » se tient un individu levant la main.

1228.

Delougaz 1967 : pl. 138, le vase est retrouvé dans un contexte non déterminé, à proximité du temple ovale.

1229.

Charvát suggère que les rois d’Ur sont à l’origine des chefs militaires. Cf. supra n. 209, p. 47.

1230.

Woolley 1934 : pl. 91 (l’Étendard) ; Legrain 1936 : pl. 16, n°298, ce sceau, divisé en deux registres, représente au registre inférieur un individu conduisant un char, il est encadré à terre par deux personnages ; devant, des ennemis vaincus renversés sont figurés ; Pritchard 1954 : 198, n°604, plaque votive de Khafadjé.

1231.

Schwartz et alii 2006 : 603, fig. 3, 624-627.

1232.

Zarin 1986.

1233.

Tombe de la tranchée 5G : trois vases en bronze, un poignard, une hache sont placés près du corps ; plus d’artefacts en métal sont placés auprès des deux équidés (cinq flèches, trois scies, trois lames, trois ciseaux, deux plus petits) (Killick, Roaf 1979 : 540, 537).

1234.

Gibson, McMahon 1995 : 12-14, fig.12, 23-30. Le matériel déposé dans la tombe 14 est très similaire aux ustensiles retrouvés dans les Tombes Royales et ce sont des matériaux de prestige qui sont utilisés.

1235.

Gibson 1981 : 73-74, pl. 45-46. La tombe est creusée dans le mur d’un bâtiment « round building » ; elle se divise en deux chambres. La plus grande de 4 x 2,5 m contient deux squelettes associés à des objets et de la vaisselle. La petite chambre contenait les fragments humains.

1236.

Tombe construite à deux chambres, accessibles par deux portes et un puits rectangulaire ; dans l’espace trois équidés sont disposés avec un passe-guide en forme d’oiseau. Il n’est pas fait mention des restes humains (Roaf, Postgate 1981 : 198).

1237.

Boessneck, Von den Driesch 1986.

1238.

Boessneck, Kokabi 1981 ; Vila 2005 : 337.

1239.

Vila 2005 : 336-337, 336, tab.1.

1240.

Rouault 2007 : 912-913. Dans tombe (chantier F), le cavalier est placé sur l’animal en position de galop.

1241.

Postgate 1984. La tombe 162 (Postgate 1984 : 92, fig. 1) est localisée dans une cour d’Abu Salabikh, cinq individus sont dénombrés, elle ne présente pas de traces de char, même si les fouilleurs supposent sa présence à l’état original de la tombe.

1242.

Oates, Oates, McDonald 2001 : 41-73, secteur FS. Les animaux faisaient partie d’un remblaiement d’un complexe monumental composé de dépôts rituels. Dans le même secteur, des squelettes humains présentant des marques physiques de pratique de l’équitation, ont été mis au jour (p. 350).

1243.

Porter 2000.

1244.

Zarins 1986 : 180-191 ; Limet 2000 : 46-47, n.18.

1245.

Foxvog 1980.

1246.

Archi 2002 : 180, n. 23, document 9iii 7et 10ii 11-13.

1247.

Caubet, Pouyssegur 1999 : 68.

1248.

Woolley 1934 : pl. 91, U.11164.

1249.

Gibson, McMahon 1995.

1250.

Lebrun 1993 : 230-231 ; des parallèles sont mentionnés dans L’Illiade, chant XXIII, lors des funérailles de Patrocle. Plus tardivement, des chevaux sont sacrifiés cinquante jours après les funérailles du chef scythe puis une année après (Hérodote (1985)).

1251.

Mallory 1981.