E. Les sceaux cylindres

Les cylindres sceaux sont des marques d’autorité et de propriété1742. Ils ne sont pas présents dans toutes les sépultures. Le Cimetière Royal fait exception, avec un corpus de sceaux étendu dans les répertoires de l’iconographie et dans les matériaux utilisés. Ces deux aspects seront développés dans cette partie.

Trois types principaux de représentation sont identifiés : les scènes de banquet (figure 61), les banquets et les combats (figure 62), et les scènes de combats1743. Les motifs géométriques sont un quatrième type de représentation plus restreint. Certains sceaux cylindres d’Ur portent des inscriptions donnant le nom de leur possesseur. Dans la tombe 5 d’Umm el-Marra, deux des quatre cylindres retrouvés portent des signes inscrits non déchiffrés à ce jour.

Notre documentation provient essentiellement du cimetière d’Ur, où environ quatre cents cylindres ont été mis au jour par Woolley. L’étude distingue les sceaux des Tombes Royales, du cimetière du DA III et du cimetière récent (Akkad et Ur III), pour établir l’évolution des sujets figurés, dans un premier temps, puis dans un second temps, pour comparer les sujets et le contexte de la sépulture, en insistant sur les matériaux et le type de scène associé. Une trentaine de sceaux proviennent les Tombes Royales, une trentaine également des tombes dites « ordinaires ». Dans les Tombes Royales, les sceaux retrouvés sur les accompagnants des puits de la mort ou des cortèges funèbres sont inclus. Dans les tombes privées, les individus ont au moins un, voire deux sceaux. Les matériaux sont le lapis-lazuli (lapis-lazuli, or ; lapis-lazuli et argent), le calcaire, la stéatite ou le coquillage. Le matériau privilégié est le lapis-lazuli pour les sceaux cylindres des Tombes Royales.

Dans les Tombes Royales, le thème du banquet prédomine, parfois associé au thème des combats d’animaux ; les autres sceaux représentent des scènes d’animaux seuls. La majorité des sceaux au banquet sont en lapis-lazuli, un exemple est en or (tombe 1054 II). Dans les tombes en fosse, il y a sept scènes de banquets et de combat, dont un banquet, deux scènes de culte, les autres sont inspirées de la mythologie avec les personnages de Gilgameš et d’Enkidu représentés. Dans les tombes d’Ur III, les scènes de présentations et d’adoration sont majoritaires.

Tableau 25- Répartition quantitative des types de scènes à Ur
  Banquet Banquet, animaux Combat d’ animaux Animaux Mythologie Présentation Total
Tombes Royales (16)* 16 2 4 5 0 0 27
Tombes en fosse (30)** 2 3 1 0 12 2 20
Tombes Ur III (9)** 0 1 0 2 2 10 15
Total 18 6 5 7 14 12 62

* Nombre de tombes royales
** Nombre de tombes prises en compte

Les scènes de banquet sont réparties sur un ou deux registres. La première situation présente deux personnages assis, face à face, de chaque côté d’une jarre de laquelle sortent des chalumeaux pour boire de la bière ; dans la seconde, les personnages sont assis se faisant face et lèvent un gobelet. Ils sont assistés par des serviteurs qui leur versent de la boisson. Le deuxième registre représente des tables où sont disposées des victuailles, des personnages assis peuvent être figurés ou des serviteurs en pleins préparatifs. Lorsque des scènes de banquet et des animaux sont associées, le second registre est occupé par la scène animale. Les thèmes de banquet et ceux associant banquet et animaux apparaissent dans les mêmes tombes (tombes 580, 789), ainsi que les sceaux avec des combats d’animaux.

Les banquets sont des thèmes particulièrement prisés au Dynastique Archaïque III dans l’ensemble de la Mésopotamie1744. Les scènes de présentation apparaissent à la période akkadienne et d’Ur III (figure 56)1745. Le passage du banquet à la scène de présentation témoigne de changements structurels dans la société mésopotamienne, et dans la fonction royale. Le fonctionnement collectif a laissé la place à un pouvoir centré sur une personnalité qui, se place sur un plan égal aux divinités ou avec lesquels il entretient des relations personnelles1746.

L’étude de Moorey sur les Tombes Royales tentait de répartir les thèmes des sceaux selon le sexe des individus auxquels ils étaient associés1747. Les sceaux présents dans la tombe de la reine sont des scènes de banquet, ainsi que les sceaux de la 1054 II et de la tombe 580 ; ce dernier est inscrit au nom d’une prêtresse, Palbisag. Un second sceau de coquillage, retrouvé dans la tombe 580, représente une scène de combat entre animaux. Les sceaux inscrits au nom de leur propriétaire sont décorés de scènes de combats (tombe 1054 I, inscription au nom de « Meskalamdug » ; tombe 1236, inscription au nom de « Akalamdug »). Selon l’auteur, la moitié des scènes de banquet sur des sceaux de lapis-lazuli proviennent des Tombes Royales. Parmi les quatorze tombes ordinaires possédant des sceaux de lapis lapis de ce type, une majorité sont des tombes femmes, identifiées sur la base du matériel1748.  Dans certains des cas évoqués par l’auteur, deux thèmes sont présents le banquet et le combat. L’un des sceaux de la tombe 1130 est une scène de banquet, le second représente un banquet et une frise animale : les deux sceaux sont en lapis-lazuli (idem pour la tombe 789).

La détermination du sexe des individus peut s’avérer aléatoire ou impossible (à Ur en particulier). Nous considérons l’approche de Pollock plus cohérente : celle-ci tente de déterminer qui sont les personnages représentés. Les individus, dans ces « banquets », sont majoritairement des hommes (41%) ; dans les scènes où plus d’un individu peut être identifié, plus de la moitié sont des hommes et des femmes (58%), un tiers sont des hommes (29%) et seulement 13% des femmes1749. Les individus des deux sexes jouent un rôle dans ces fêtes1750, mais quel est-il ? Dans quel type de fêtes ils sont représentés ? Selon Moortgart il s’agissait de la célébration du culte du Mariage Sacré, tandis qu’Amiet voyait plusieurs fêtes ; Moorey suggéra simplement que les « banquets » étaient des cérémonies dans lesquelles les femmes tenaient un rôle important. Pinnock évoque l’hypothèse de festivités lors des cérémonies dédiées au culte des rois défunts1751. En fait, aucune interprétation ne semble prévaloir car le banquet ou la consommation peut avoir lieu dans diverses occasions commémoratives1752.

On ne constate pas, par ailleurs, de corrélation évidente entre le thème et le sexe. Il est possible que la présence d’un sceau au thème de banquet soit déterminée par le rôle ou la fonction du défunt et non par son sexe. Par contre, si le thème du banquet s’avère effectivement plus fréquent dans les tombes de femmes, c’est que ces dernières jouaient un rôle social et rituel dans la société sumérienne et dans la cité d’Ur. Les banquets et les fêtes sont un moyen de maintenir l’unité du groupe des privilégiés, mais établissent également des distinctions hiérarchiques au sein de l’élite selon le sexe, le statut social, l’âge1753.

Dans la tombe 1 de Umm el-Marra un sceau (UMM00 G-001) représente une scène d’animaux et d’hommes ; il est déposé dans le niveau 1 avec le corps identifié comme celui d’une jeune femme. Cette identification irait donc à l’encontre de la théorie de Moorey, mais nous sommes dans un contexte différent d’Ur et les référents culturels ne sont pas comparables. Un sceau non décrit est présent dans la tombe N.21 Loc.3 de Kheit Qasim. Dans une tombe du cimetière Y deux sceaux en albâtre de type primitif sont déposés1754.

La répartition des objets d’accompagnement concerne souvent une faible quantité d’objets pour chaque catégorie répartis dans peu de tombes (annexe 4-Ac, graphique 13) ; ces répartitions distinguent dans certains cas des zones géographiques et culturelles. Les figurines et les bateaux représentent quelques objets, les objets en os également ; les éléments d’incrustations sont plus nombreux mais ils ne sont présents que sur trois sites ; le mobilier apparaît sous diverses formes dans les tombes (tables, autres meubles).

Les os incisés, les « perruques » et les yeux, sont attribués à une aire géographique très précise de la Syrie du Nord, jusqu’au Levant et la Méditerranée pour les os incisés. La présence d’yeux et de perruques étayent l’hypothèse de statues dans les tombes, il est impossible alors de déterminer si elles représentaient le défunt ou une divinité et de les relier à signification précise. Il est possible qu’elles aient eu des vertus apotropaïques au même titre que les figurines. Les objets en os incisés sont aussi énigmatiques car ils sont souvent retrouvés fragmentés : la question est de savoir s’ils ont une utilité similaire aux sceaux cylindres. Les deux types d’objets n’apparaissent pas ensemble.

Les sceaux cylindres proviennent essentiellement du corpus d’Ur. Ce sont des objets courants dont la fonction est parfaitement déterminée : c’est un objet personnel d’identification (sur le quel est mentionné le nom de son possesseur) qui peut se transmettre dans d’un individu à un autre. Cependant, il est notable que dans les autres sites ils ne soient pas aussi présents. À Umm el-Marra, l’influence du sud mésopotamien dans l’iconographie des cylindres avec les scènes de combats suggère que ce sont soit des objets importés, arrivé lors de transactions économiques.

* * *

En conclusion, la typologie détaillée des objets présents dans les sépultures de prestige met en évidence, tout d’abord, une grande variété des types d’armes et d’ornements personnels. Certaines sépultures ou groupes de sépultures sont plus pourvues que d’autres.

La quantité de métal déposée et l’accumulation d’armes, par exemple à Tell Ahmar, suggèrent un dépôt au même titre que les cachettes ou les trésors. Cependant, les armes ont une signification plus spécifiques que ce que l’on attribue parfois : l’arme ne fait pas le guerrier ainsi que le souligne Philip1755, les armes sont un marqueur social dans l’équipement funéraire. Elles revendiquent la position de l’individu au sein du groupe et de l’élite : c’est ce que les Tombes Royales mettent en évidence, dans les tombes 800 et 755 les haches symbolisent le statut privilégié du mort indépendamment du sexe. Les symboles peuvent varier selon les groupes sociaux : dans le cas de Qara Quzac, les lances sont la marque d’appartenance à une catégorie sociale élevée.

Les parallèles apparus entre le matériel du corpus et celui des régions voisines soulignent les relations privilégiées entre certaines régions, telles que la Syrie du Nord et l’Anatolie, la Mésopotamie, l’Iran et l’Indus. Ces affinités sont complétées par les liens étroits entretenus entre Mésopotamie et Syrie du Nord et surtout une unité culturelle infrarégionale : certaines parures (les torques par exemple) sont communes dans la région syrienne.

L’étude a permis, par ailleurs, de confirmer le souci de déposer des paraphernaux distinctifs, d’origine ou d’inspiration étrangère, recherchés par des élites. Les récurrences de certains paraphernaux (épingles, bracelets, frontaux ou bandeaux) dans les tombes des élites suggérent à certains auteurs qu’ils seraient des objets de « communication », au travers desquels les élites revendiquent leur statuts et peuvent être reconnus par les autres groupes d’élites : selon Schwartz, ce sont sans doute des signes de royauté1756. Cette hypothèse se fonde sur la pratique des dons royaux lors des funérailles de personnalités de cités « amies » apparaissant dans les archives d’Ebla et de Mari : ces dons ont une valeur symbolique et politique1757. Les ornements renforcent les liens politiques entre deux cités ou l’allégeance à une autorité centrale (Umm el-Marra avec Ebla) ; ils symbolisent le statut de l’individu et son appartenance à l’élite : les parures de la dot des jeunes filles d’Ebla, les accompagnent dans la tombe, sans avoir été portées. Cependant, il faut ajouter aux parures, les armes, la vaisselle en métal (par exemple l’ensemble d’Umm el-Marra). L’arme kattapum est un présent funéraire dans les textes de Mari, comme des récipients en métal sont offerts par le souverain d’Urartu dans le texte DP 75.

Il est difficile de distinguer les objets personnels, de « communication ». Les paraphernaux portants des signes particuliers et peu diffusés, tels que les motifs à double ou quatre spirales, sont des objets marquant sur l’appartenance identitaire de l’individu ou des objets de communications. Ils transmettent une symbolique spécifique, sans doute liée à un principe vitale.

Notes
1742.

Michel 1999 : 409.

1743.

Schwartz et alii 2003 : 333-334, fig. 13.

1744.

Legrain 1936 ; Amiet 1961 : pl. 89, 90, 101 ; Collon 1992 ; Pinnock 1994.

1745.

Woolley 1934 : pl. 201 sq.

1746.

Winter 1986, 1987.

1747.

Moorey 1977 : 35-36.

1748.

Nos résultats se basent sur la description dans le chapitre des « tombes en fosse ordinaire », les plus importantes, et non sur l’ensemble des tombes. Mais les sceaux répertoriés dans notre tableau sont effectivement en lapis-lazuli.

1749.

Pollock 2003 : 22-24, tableaux 2.1, 2.2.

1750.

Pinnock 1994 : 24 ; Pollock 2003 : 22.

1751.

Pinnock 1994 : 18-19, 21, cite Moortgart 1949 : 19-21 ; Amiet 1961 : 119 ; Moorey 1977.

1752.

Pinnock 1994 : 24.

1753.

Pollock 2003 : 25.

1754.

Langdon 1936 : 29 ; dans le cimetière A, le décor animalier prédomine dans les tombes à plus de un sceau cylindre (c’est-à-dire 19 tombes environ sur 54 tombes à cylindres) et au moins un des objets signale Breniquet possède un décor plus élaboré dont un banquet (Breniquet 1983 : 23, n. 35).

1755.

Philip 1995.

1756.

Schwartz et alii 2006 : 629. Les objets de « communication » sont une distinction typologique des offrandes que nous avons souligné dans la première partie ; elle est évoquée par Baduel (2005).

1757.

Schwartz et alii 2006 : 631, cite Archi 2002 qui traite des bijoux des femmes d’Ebla. Pour Mari, voir Lerouxel 2002, Michel 1999 ; McGinnis 1997 (annexe 1-Ae).