B. La fonction et les parallèles

1. La fonction

Deux types d’activités peuvent être associées à la vaisselle en métal, mais ne sont pas spécifiques à cette vaisselle : les libations et les activités commensales.

Les bols peuvent avoir de multiples usages pour manger ou boire, ainsi que le souligne Cohen en objection à Müller-Karpe ; des bols ont été retrouvés en effet avec des restes de nourriture1856. Les bols en métal sont utilisés par une catégorie sociale élevée et pour des occasions spécifiques. Les coupes peuvent être associées à des activités de consommation de boisson ou de libations. Suivant l’usage le plus courant de la boisson, Collon suggère que les coupes peuvent correspondre à la consommation de vin, alors que les gobelets et les chalumeaux sont associés à la consommation de bière1857. Dans une étude des scènes de présentation au roi assis d’Ur III, Winter développe l’hypothèse que les coupes, tenues par le personnage royal, seraient utilisées dans les rituels de divinations avec de l’huile et symboliseraient la « tradition et le statut de médiateur du roi »1858. La coupe est donc liée au roi et à sa fonction : elle serait utilisée par Ur Nammu pour verser une libation d’huile à Gilgameš. Dans le texte DP 75, il est fait mention de récipients « qui tiennent dans le main » et « d’un bol bun 2 - di » (annexe 1-Ac). Quant au matériel funéraire, nous suggérons que les coupes ou les bols situés dans les mains ou à proximité des mains sont liés à un geste d’offrande ou de libation1859 ; par exemple, dans la tombe de la reine, le bol est situé à ses côtés sur la couche. Dans la tombe 755, Meskalamdug avait au niveau des mains le bol en or (type 9, U.10002), qu’il tenait sans doute, en association avec la « lampe » (U.10004) et un bol inscrit en or (U.10001) (type 7)1860. La disposition des objets relève d’une part de la tradition funéraire, mais surtout d’une symbolique précise : “….it is a limestone or metal bowl that is found in immediate proximity of the hands, suggesting that, if anything, it was holding of a bowl that was significant. (notre instance)”1861. Tandis que les coupes amoncelées dans la chambre funéraire correspondent à une utilisation lors d’un banquet.

Les coupes deltoïdes, les coupes à bec sont des ustensiles utilisés pour verser du liquide, sans doute lors d’activités rituelles, comme les « tables d’offrandes », probablement utilisées pour recevoir des liquides, suivant l’hypothèse émise dans le chapitre concernant les libations1862. Les aiguières (type 84), associées aux plateaux, entrent dans les activités de « purifications » pour le lavage des mains, alors que des récipients de même nature sont représentés pour verser des boissons1863.

Les jarres sont plus certainement des conteneurs de liquide et surtout de bière. La bière était consommée à l’aide d’un chalumeau (tombe 800), ainsi qu’il est encore d’usage en Afrique par exemple1864. La texture de la bière pouvait impliquer l’utilisation de passoire, dont il existe de nombreux exemplaires dans le Cimetière royal1865.

Quant aux marmites et aux chaudrons, de faible capacité, Cohen considère qu’il s’agit de récipients de cuisine ayant contenu de la nourriture (soupes ou ragoûts). À fond plat ou bombé, et col fermé, les récipients sont facilement recouvrables1866.

Dans le chapitre sur les libations, nous avons évoqué les bassins employés pour nettoyer le corps du mort, souvent retrouvés aux pieds des corps. Les bassins sont parfois munis d’un bec verseur qui permet de verser ou vider le contenu, le fond est plat. Mais Müller-Karpe, puis Cohen, soulignent que ces grands récipients ont pu avoir un double usage : servir et préparer des boissons, ou les ablutions1867.

Si le contexte précis dans lequel ces récipients ont été employés ne peut être précisé, les deux activités principales mentionnées, les libations et les banquets, ont un cadre symbolique fort, autant social que religieux. Contrairement à Cohen, qui ne prend pas en compte le matériau de fabrication, nous pensons que celui-ci est particulièrement significatif, à la fois du statut du défunt, et de l’utilisation de la vaisselle. Les jarres en métal, les aiguières ou les marmites sont certainement des ustensiles pour le rituel public ou le banquet, alors que les récipients en céramique sont de simples conteneurs de stockage et de conservation.

Notes
1856.

Müller-Karpe 1993 : 81 ; Cohen 2005 : 170. Voir Woolley 1934 : tombe 1054. Nous avions désigné, tout d’abord, les bols et les coupes en tant que « formes pour boire », ce qui incluait uniquement les boissons consommées lors des activités commensales dans lesquelles ces récipients intervenaient. L’observation de Cohen nous a alors permis de modifier notre première opinion, en tenant compte de l’utilisation des bols en céramique pour manger.

1857.

Collon 1992 : 24 ; Glassner 1991 : 131. Cf. infrapp. 408-413.

1858.

Winter 1986 : 262 ; contra Michalowski 1984 : 36 : « […] I would suggest that one may have to view this formalized scene as a graphic reference to the same type of symbolism we encountered in the Mari letters ( the use of drinking vessel as a symbol of sovereignty and vassalage)”.

1859.

Ce geste est généralement interprété comme un geste pour boire.

1860.

Woolley 1934 : 89, 106, 156 (tombes 755, 800, 1054 II).

1861.

Winter 1986 : 235. Watelin 1934 : 30, “The hands held a stone bowl to the face (Y494)” (p. 20). Dans les tombes en fosse d’Ur I, le même bol, type 7, est disposé de façon très précise par rapport aux autres objets ce qui confirmerait le geste d’offrande ou de boire. Le bol dans les mains apparaît dans les tombes suivantes : tombe 263, bol en cuivre, associé à une « lampe » (Woolley 1934 : 150-151, fig. 29) ; tombe 543, bol en cuivre (Wooley 1934 : 151-152, fig. 31) ; tombe 697, bol en cuivre (Woolley 1934 : 154, fig. 33) ; tombe 780, bol en cuivre (Woolley 1934 : 160, fig. 36) ; tombe 867, bol placé sur les mains (Woolley 1934 : 161, fig. 37) ; tombe 1100, deux bols en pierre et en cuivre (Woolley 1934 : 165, fig.41) ; tombe 1130 (Woolley 1934 : 166, fig.42) ; tombe 1315 (Woolley 1934 : 174, fig. 49) ; tombe 1374, bol en calcite (Woolley 1934 : 175, fig. 50) ; tombe 1407, bol type 7 (Woolley 1934 : 176, fig. 52). Le bol est placé à la tête dans les tombes suivantes : tombe 1068, un bol, et un gobelet en métal (Woolley 1934 : 163, fig. 39) ; tombe 1069, deux bols cuivre ; tombe 1234, bol en pierre (Woolley 1934 : 171, fig. 45) ; tombe 1524, trois petits bol en pierre (Woolley 1934 : 180-179, fig. 54) ; tombes 1845 K, 1847 R, S ((Woolley 1934 : 190, 195, fig. 61, 196).

1862.

Cf. supra. pp. 250-253.

1863.

Glassner 1991 : 135, « quatre vases en or pleins de vin tiré » dans le rituel du temple d’Anu à Uruk.

1864.

Katz, Voigt 1986 ; Cohen 2005 : 181-182, 212, figure 54. Pour les représentations des sceaux cylindres, voir Woolley 1934 ; Collon 1992 ; Beyer 1996.

1865.

Müller-Karpe 1993 : 221 ; Cohen 2005 : 184. Cohen évoque néanmoins l’hypothèse que les passoires filtraient les os de viande des ragoûts servis dans les bols.  Voir des parallèles avec Suse (Le Breton 1957 : 118, figure 40).

1866.

Cohen 2005 : 171-173, 195, figure 37.

1867.

Müller-Karpe 1993 : 166-167 ; Cohen 2005 : 180, 211, figure 53.