3. La céramique décorée

La céramique porte deux types de décor, la peinture et les incisions qui se répartissent sur des formes diverses. Dans les deux cas il semble qu’il y ait une préférence pour les épaules des jarres et des vases (les jarres carénées à tenons ou anses). Les « coupes à champagne » ou les « coupes à fruit » portent des décors incisés ; à Ur, ces décors sont particulièrement intéressants dans la mesure où ils s’inscrivent dans un répertoire iconographique et symbolique propre au site.

La céramique peinte n’est pas très répandue dans le contexte funéraire ; malgré le peu d’exemples dont nous disposons, il est intéressant, dans un premier temps, d’établir la répartition quantitative et géographique, et, dans un second temps, de définir les répertoires iconographiques.

Deux tendances apparaissent : la « Scarlet Ware », au Sud de la Mésopotamie et la Ninive 5 peinte. Cette dernière est localisée en Syrie, dans le bassin du Khabur et en Mésopotamie du Nord ; des attestations de Ninive 5 sont répertoriées dans le Sud de la Mésopotamie où les deux types de vaisselle peinte ont pu coexister1963. Les motifs de la Ninive 5 sont géométriques et animaliers, peints de couleurs sombres1964 ; la « Scarlet Ware » développe des motifs naturalistes, animaux et végétaux, parfois humains (figure 15)1965.

La céramique peinte polychrome est présente à Kheit Qasim dans le cimetière ancien1966 ; elle est identifiée comme une proche parente de la « Scarlet Ware » de Khafadjé. Les ensembles de la céramique pour cette période sont concentrés dans la rangée Ouest du cimetière1967 ; les récipients sont déposés dans la tombe, dans la fosse et sur la banquette extérieure. La distribution n’est pas systématique. Ce sont les tombes les plus grandes qui sont les mieux pourvues (S19 Loc. 2, T19 Loc. 1, P20 Loc. 2). La « Scarlet Ware » apparaît à Kheit Qasim dans le cimetière récent au début du IId millénaire1968 : les jarres carénées à tenons et les petits pots anguleux portent le décor sur l’épaule. Le décor est rouge ou noir et rouge sur fond crème. Les motifs géométriques se composent de triangles remplis de hachures, de lignes parallèles verticales ou horizontales, de vagues. Les associations sont simples ou complexes et elles sont parfois complétées, sur la panse, d’un décor naturaliste de béliers ou de cerfs stylisés, accompagnés ou non de poissons ou d’oiseaux1969. À Ur, un seul récipient entier porte un décor peint identifié par Woolley comme une provenance susienne de la période « Suse II » ; le décor est rouge et noir sur fond clair (tombe 1101) 1970.

À Mari, une jarre est déposée dans l’amas 4 (M.1437) et une autre est entre les amas 2 et 4 (M.1436), à l’extérieur du tombeau 3001971. Elles sont décorées sur presque toute la surface du récipient, seul le fond est sans décor. Le col et la lèvre sont de couleur rouge unie. Le décor est disposé en deux registres, séparés par des lignes épaisses rouges. Le registre supérieur de M.1436 est décoré de triangles hachurés de noir, cernés de traits rouge, alternant avec des métopes garnies de triangles opposés par le sommet, dont certains sont hachurés. Le second registre est divisé par des bandes verticales rouge, en métopes rectangulaires, allongées, dans lesquelles sont inscrits soit une croix, un trait ou rien. Le registre supérieur de M.1437 est assez proche de M.1436 : des triangles hachurés de noir sont délimités par des traits rouges, alternant avec des métopes dans lesquelles des triangles hachurés sont opposés par le sommet. Le registre inférieur est divisé en métopes avec des animaux stylisés.

Les exemples de céramique peinte Ninive 5 de notre corpus présentent des compositions plus rudimentaires que ceux de « Scarlet Ware ». À Qara Quzac, les trois exemplaires de céramique peinte appartiennent à la même sépulture L.12W1972. Ce sont une jarre pansue à col évasé, deux petites bouteilles à goulot étroit et au col resserré et allongé. Les motifs sont différents dans les trois cas ; de couleur rouge sur engobe claire, ils sont disposés sur les épaules des vases. Pour le premier, sur deux lignes horizontales, sont dessinés des petits traits perpendiculaires et parallèles entre eux ; sous la deuxième ligne, trois traits dessinent des zigzags. Le col du second vase est simplement peint d’un registre de quadrillage, fait de lignes parallèles et verticales qui se croisent. Le dernier vase reprend des éléments du premier décor avec une variation, une ligne horizontale surmontée de petits traits perpendiculaires et le zigzag. Les trois dessins sont associés à des marques de potier incisées. À Tell Bi’a, dans la tombe 4 chambre 2, une jarre à col évasé porte un décor très stylisé : la lèvre et le col sont peints uniformément en sombre, sur le haut de la panse deux animaux inclinés sont représentés, sans doute des cerfs, avec trois signes ; deux des signes sont le même répété. Dans la chambre 6, un support de jarre est décoré de motifs géométriques bicolores. Les bords supérieurs et inférieurs sont bordés d’une ligne claire, une ligne sombre délimite un registre de lignes obliques, surmontées d’un registre de triangles alternativement sombres et clairs.

Les exemples de céramique peinte sont peu nombreux, cependant il est courant de voir un ou plusieurs récipients décorés d’incisions. La céramique des tombes à char de Kish ne semble pas décorée, mais dans le cimetière Y, des jarres carénées à tenon ont, sur l’épaule, des motifs géométriques stylisés1973. Ce type de forme incisée, avec les coupes à champagne, est réparti dans la moitié Sud de la Mésopotamie, dans une zone délimitée par le Tigre et l’Euphrate, avec des exceptions comme Mari et Suse1974. À Kish, dans le cimetière A, les jarres carénées à anse décorée sont plus courantes1975 ; les « coupes à fruits », ou « coupes à champagnes », ont également des décors géométriques sur le pied et la lèvre. Au moins deux jarres de cette catégorie, provenant du secteur du Temple d’Ishtar à Mari, sont signalées par Moon1976. À Ur, une jarre à anse (U.10183) est signalée avec des incisions1977. Les « coupes à champagnes » en terre cuite ont une place particulière dans les tombes. Les types présentés par le fouilleur sont simples (types 242, 243)1978, mais c’est le matériel en terre cuite le plus décoré. Trente cinq récipients décorés sont répertoriés dans les tombes du Cimetière Royal. Pour Woolley, ceci soulignait la fonction spéciale attribuée à ce type de récipient1979. Le décor se répartit sur le pied seulement, toute la surface, ou le pied et le support. Les motifs sont géométriques, ou végétal. Les triangles hachurés, les zigzags ou les hachures simples sont généralement localisés sur le pied et remontent sur la partie centrale. Des trous sont parfois présents sur le pied, sur le tronc de l’objet (M. 1436-37). L’arbre de vie est au centre des représentations et de l’organisation du décor1980 ; il est dessiné sur la partie centrale soit stylisé soit plus élaboré. Le temple est figuré par deux hampes semblables aux représentations de la glyptique, et un autel est stylisé par un cube. Un symbole sexuel féminin, un triangle hachuré de zigzags, est associé au temple, à l’autel et à l’arbre1981. Un exemplaire possède un décor modelé de taureau assis1982. À Ur, les motifs forment un ensemble de signes porteurs de sens symboliques, voire religieux qui s’inscriraient de façon cohérente dans l’art des tombes du Cimetière Royal.

Les décors peints ou incisés sur la céramique ne sont pas de simples décors ornementaux ; la répétition et la permanence des motifs animaliers et végétaux sur les récipients des différentes régions de Mésopotamie suggèrent que ces motifs sont des signes1983. Ces décors donnent de la valeur à l’objet, mais cet embellissement a un sens symbolique, lié à l’appartenance culturelle, sociale d’un groupe ou à un statut :

‘« Pour croire à la communication symbolique de certains artefacts, il faut cependant accepter qu’ils ne sont pas le sous produit de société humaine mais bien qu’ils sont activement liés aux stratégies sociales »1984. ’

Bachelot est allé plus loin dans l’analyse en assimilant les motifs à des «représentations totémiques», par le biais d’un animal, d’un groupe ou d’un individu1985. Cependant il n’existe pas à notre connaissance de mention dans les textes de représentation d’un individu par un animal « totémique ». Les divinités sont accompagnées d’un animal attribut ; leurs qualités physiques, comme celles des rois, sont comparées aux qualités d’animaux tels que le taureau, le lion, ou le bélier. Mais l’animal ne se substitue pas à l’individu. Par ailleurs, les animaux représentés sont souvent les mêmes sur les vases (bouquetin, poisson, oiseau), ce qui suggère que la représentation animale et les espèces choisies ne représentent pas quelqu’un mais elles font référence à un système symbolique, peut-être des croyances liés à ces animaux1986. L’animal représenté peut avoir une fonction alimentaire du repas consommé par le mort.

Nous sommes enclin à penser, qu’en tant que produits d’une société, ces représentations peuvent avoir un lien avec les croyances, ce qui n’exclu pas la valeur sociale des signes.

Nous abordons avec la céramique décorée la relation entre l’image et l’objet. Les implications sont très vastes et il faut garder à l’esprit que ces représentations peuvent avoir des sens différents selon les sociétés qui les emploient ou les époques durant lesquelles elles apparaissent. Les motifs de la céramique peinte sont employés dans différentes régions mésopotamienne : la culture Ninivite V (fin IVème-IIIème millénaire) et la Scarlet Ware au IIIème millénaire utilisent des motifs semblables. Nous avons vu que des représentations animales apparaissent en Mésopotamie septentrionale. Les thèmes abordés sur ces représentations rejoignent ceux des objets. La relation entre l’image et l’objet est un des thèmes de recherche que nous développerons dans le chapitre suivant.

Notes
1963.

Rova 1988 : 13-15.

1964.

Rova 1988 : 69-96, appendix III, 233-249.

1965.

Vase de Khafadjé, Delougaz et alii 1967 : fig. 138.

1966.

Forest 1983 : 135.

1967.

Forest 1983 : pl. 64.

1968.

Forest 1983 : 140.

1969.

Forest 1981 : 81.

1970.

Woolley 1934 : 387, U.11838, pl. 186.

1971.

Lebeau 1990 : 364-365, pl. III, 372, pl. VII.

1972.

Valdés Pereiro 1995a : 36-37, 54, fig. 2.2-4.

1973.

Moon 1982 : 39- 46 ; Algaze 1983 : 157, fig. D, 11a-b, 12.

1974.

Moon 1982 : 39, fig. 1.

1975.

Moon 1982 : 40-42, fig. 2.

1976.

Moon 1982 : 48-50, fig. 5-23.

1977.

Woolley 1934 : pl. 187.

1978.

Woolley 1934 : pl. 266.

1979.

Woolley 1934 : 387, 389 ; Moon 1982 : 56-57.

1980.

Moon 1982 : fig. 10, 53-54, fig. 11, 55, 56.

1981.

Woolley 1934 : 388 ; Moon 1982 : tombe 175, U.8536, pp. 59-60, fig. 11, 55 ; U.13709, p. 61, fig. 12, p. 59.

1982.

Woolley 1934 : pl. 180b.

1983.

Bachelot 1992.

1984.

Boileau 1998 : 289.

1985.

Bachelot 1992 : 57 ; Bachelot 2003 : 85.

1986.

Cf. infra pp. 405-407.