2. Les ornements personnels

Les coiffures et les bijoux sont en majorité portés par le mort ; ils sont retrouvés en position à la tête, au cou ou au poignet, parfois légèrement déplacés (devant ou derrière le cadavre, aux pieds) à cause des modifications taphonomiques. On peut suggérer que les parures portées du vivant du défunt sont déposées dans la tombe, ce qui expliquerait la multiplication de bagues, par exemple, aux doigts de la reine Pu’abi, ou des colliers et des bracelets.

Les bijoux sont des objets personnels, mais ce sont aussi les marques visibles d’un rang ou d’une fonction. Ainsi, pour certaines catégories spécifiques de parures, il apparaît qu’elles n’ont pas pu être portées du vivant de l’individu et qu’elles ont une fonction d’identification du statut des individus : c’est le cas des magnifiques coiffures d’Ur par exemple. Les coiffures du Cimetière Royal, dont les éléments varient de la Reine aux suivantes des cortèges, sont interprétées en tant que parures funéraires ; elles témoignent du statut de celles qui les portent. Il n’est pas possible à l’heure actuelle d’affirmer que la coiffure, ainsi que la cape de la reine Pu’abi, ont été fabriquées pour les funérailles, mais c’est une hypothèse qui semble fort probable. Un passage de « la seconde Elégie funèbre » fait référence à un vêtement en or dont est revêtue la reine défunte, la faisant paraître telle une « statue d’or »2020. L’ensemble de perles de Tell Banat suggère également un riche vêtement ou une cape.

Les ornements du corps participent à l’instrumentation du défunt dans le discours idéologique et les rituels d’enterrement, auxquels fait référence Cohen : il est nécessaire de le magnifier, également pour son arrivée dans le Monde d’En Bas2021. En outre, Archi souligne que les jeunes femmes de la famille royale d’Ebla recevaient des bijoux en dot qu’elles ne portaient qu’au moment de leur mariage et dans la tombe2022. Certaines femmes de la famille royale contraintes de devenir prêtresses exigeaient également des dons en bijoux. Ces évènements marquants de transformation dans la vie d’une femme sont accompagnés par des parures : il n’est pas précisé si des types de parures spécifiques étaient donnés en particulier. Ces données confirment que certaines parures personnelles ont une signification sociale : elles représentent l’individu, la femme, dans son rôle d’épouse, dans son rang social (princesse, reine, fille de) et ses relations familiales. La social personae définie par Binford est marquée dans certaines parures2023.

Tous les ornements ne sont pas disposés sur le corps. Par exemple, certains types de parures sont déposés aux côtés de la reine Pu’abi : le diadème et des brîms sont placés au niveau de la hanche. Les brîms sont des parures masculines : ce ne sont donc pas des ornements personnels de la reine, mais des « cadeaux » destinés à l’accompagner dans la tombe. Par ailleurs, dans les tombes 755 et 1312, ce sont des parures féminines qui sont placées dans la tombe. Dans la tombe 755, les parures, situées dans l’angle Nord-Est du cercueil, ont été interprétées par Woolley comme un cadeau provenant d’une femme ; Moorey suggère plutôt une offrande destinée à une divinité2024. Il semble effectivement qu’il s’agisse de parures similaires aux parures portées par les femmes les plus riches2025. Le jeune garçon de la tombe 1133 possède plusieurs brîms disposés dans la chambre ; ce sont des coiffures de taille normale, qui ne semblent pas être destinées à être portées par l’enfant2026. Ces coiffures ont-elles pour rôle de marquer son identité masculine ou un statut particulier, en corrélation avec le sceptre en or ? De même pour la petite fille de la tombe 1068, quelques parures de taille normale sont disposées face à son visage. On peut également supposer, à l’instar des offrandes de parures féminines dans les tombes 755, 1312, que ce sont les cadeaux d’un parent à son enfant. Ces possibilités ne s’excluant pas l’une l’autre.

Au regard des positions des parures, il est nécessaire de faire état d’une problématique controversée dans l’étude des ornements personnels qui est l’identification sexuelle et sociale des individus par leurs bijoux2027. La qualité des matériaux est une distinction du niveau social des individus : l’or, l’argent et les pierres fines sont courants dans les tombes les plus riches, tandis que le cuivre ou le bronze sont le lot des bijoux les plus modestes. La présence ou l’absence de certaines parures, les associations différentielles peuvent indiquer également des statuts distinctifs (entre les membres des cortèges d’Ur par exemple), mais nos connaissances actuelles ne permettent pas de préciser ces statuts.

Quant aux traits sexuels, le nombre réduit de parures, en corrélation avec la présence d’armes dans la sépulture était, pour Woolley, un trait sexuel masculin distinctif ; nous avons été amené à montrer que ce trait ne pouvait être discriminatoire, même si les hommes portent sensiblement moins de parures, comme c’est le cas à Ur, ou à Umm el-Marra, dans la tombe 1 pour les corps C et D2028. À Qara Quzac, dans la chambre de la jeune adulte, une grande quantité d’épingles est rassemblée, en plus des perles appartenant à des colliers, contrairement au jeune garçon qui ne serait paré que de colliers. La distinction entre femme et homme est parfois rendue difficile, en l’absence d’analyses anthropo-physiques, car les parures sont similaires, les bandeaux, les frontaux, les colliers, les bracelets parent les deux sexes ; cependant, certains bijoux sont portés de façon distincte, les boucles d’oreilles et les anneaux à cheveux à Ur sont à l’unité par les hommes. À Umm el-Marra, le matériau est un trait distinctif mais qui ne peut être strictement relié à un trait sexuel : le bandeau est porté par les deux sexes, mais il est en or pour les deux femmes de la tombe 1, en argent pour les hommes. En outre, seules les femmes portent des torques. À défaut de bases comparatives entre les tombes du corpus pour identifier des parures « féminines » et « masculines » nous prenons Ur pour exemple. Les couronnes, les rubans, les anneaux à cheveux et les boucles associés constituent la parure féminine ; la tunique en perle semble également constituer un trait féminin pour des femmes de haut rang telles que la reine Pu’abi, la femme de la tombe 1054 et la jeune fille de la tombe 1068. Cette dernière tombe étaye le constat fait supra que l’âge ne semble pas marqué dans le mobilier des tombes d’enfants de statut élevé. Cette enfant est parée d’un ensemble de couronnes faites à ses dimensions (ainsi que la vaisselle d’or)2029. Toute la parure n’est pas présente (peignes, rubans, anneaux sont absents) et tous les bijoux ne sont pas à ses dimensions, telles que les perles des colliers et celles disposées sur le haut du corps.

Bien souvent, sur le corps ou à proximité immédiate du corps, les armes apparaissent aussi dans la chambre. Dans ce dernier cas, ce sont des attributs, plus que des objets proprement personnels (tombe 1130, tombeau 300 de Mari). Comme les parures, ce sont à la fois des biens personnels et des marqueurs sociaux ; dans le cas d’Ur ce sont aussi des cadeaux dont le destinataire ou le donateur ne sont pas déterminés mais qui ne sont pas uniquement des objets du mort. La distinction entre objets personnels, marqueurs sociaux et objets de communication est difficile à déterminer car les différents traits se superposent, c’est-à-dire que le bijou personnel est déterminé par le statut de son propriétaire ou de la personne qui la fait fabriquer.

Notes
2020.

Chiodi 1994b : 397.

2021.

Cf. annexe 1-Ae, texte K.7856+K.6323. En outre, certains auteurs ont souligné une contradiction entre l’archéologie et les textes : dans les sépultures les morts sont parés, alors que les morts arrivant aux Enfers sont dévêtus, comme Inanna est « mise à nue », lors de sa descente aux Enfers (Katz 1995 ; Cohen 2005) ; Gilgameš conseille à Enkidu de ne pas se vêtir de beaux vêtements. Dans le texte K.7856+K.6323 de nombreux vêtements sont déposés dans la tombe, ainsi que le confirment les textes DP75, UCLM 9-1798.

2022.

Archi 2002. De plus dans certaines ethnies tous les biens du mort sont détruits à son décès (Testart 2004a, c).

2023.

Binford 1971 : 226.

2024.

Woolley 1934 : 157, 173 ; Moorey 1977 : 35-37.

2025.

Communication personnelle d’Emmanuelle Hubert.

2026.

Woolley 1934 : 168, pl.146.

2027.

Gansell 2007 ; voir Pollock 1983.

2028.

Schwartz et alii 2003.

2029.

Woolley 1934 : 163.