3. Les transferts symboliques

La circulation d’hommes, de matériaux et d’objets suppose des échanges entre les cultures, ce qui entraîne des assimilations de codes et de symboles iconographiques et idéologiques que les communautés s’approprient. La question qui se pose est : les communautés comprennent-elles de façon identique ces symboles et ces codes2119 ? Par opposition, des différences entre certains objets identifient les communautés et les provenances des objets. Nous avons identifié les occurrences suprarégionales de signes ou motifs apparus dans le corpus.

Des motifs iconographiques que l’on croyait typiquement mésopotamiens, apparaissent dans le Sud de l’Iran sur les vases en chlorite. Le décor du vase de Tello -les serpents entrelacés- est un motif typique de l’iconographie de la vallée Halil Roud2120. Sans se prononcer sur l’antériorité ou l’origine d’un tel motif, nous pouvons simplement constater une filiation. L’homme-scorpion de la lyre de la Tombe Royale 789 fait également partie de l’imaginaire iranien : les hommes scorpions sont des personnages de L’épopée de Gilgameš, gardiens de passage vers les Enfers2121. Il est possible que la coupe en métal de la tombe 1130 soit inspirée de motifs de cette région. Les défilés d’animaux sont connus en Mésopotamie au IIIème millénaire, les animaux domestiqués ou sauvages sont représentés depuis Uruk sur les objets mésopotamiens2122. Le défilé d’animaux sur cette coupe marche sur un sol stylisé par des petits monticules en demi-cercles faits de plusieurs traits superposés. Les motifs de la vaisselle de chlorite ont utilisé ce procédé2123 ; de même la forme des animaux à grandes cornes partant à l’arrière de la tête ressemble aux animaux des vases en pierre. Cependant les symboles dans les cultures n’ont sans doute pas la même signification.

Un motif spécifique apparaît sur les objets de notre corpus, s’est la spirale ; elle illustre le phénomène de transmission d’un symbole ou simplement d’un motif, et des contacts culturels. Les cartes de répartition de ce motif sur des perles ou sur des sceaux du IVème au IId millénaires2124 dessinent, tout d’abord, la large diffusion et une corrélation dans les axes d’échanges. Des points communs à la diffusion passent par l’Indus, Suse et le plateau iranien, la Mésopotamie jusqu’à l’Anatolie et l’Egée.Les découvertes de spirales en Anatolie, à Arslantepe IVa et Ikiztepe, remontent la chronologie de l’apparition de ce motif, elles confirmeraient les conclusions de Huot sur l’origine de ce signe dans cette région. Les observations de Peltenburg étayent notre première constatation que la diffusion de la spirale, surtout sur les sceaux cylindres, est liée à l’exportation de métaux vers les régions méridionales en passant par les centres intermédiaires et les centres limitrophes (Jerablus-Tahtani par exemple)2125.

Enfin, les types de céramique tels les « coupes à fruits », d’après la carte établie par Moon2126, ont une aire cohérente de diffusion, circoncise entre le sud mésopotamien, la Diyala jusqu’à Mari. Il faut compléter cette carte avec les sites de Jerablus-Tahtani, Umm el-Marra entre autre et la région du Haut Euphrate.

Dans la zone méridionale, les coupes ont une aire de diffusion identique à la vaisselle en chlorite : s’il existe une corrélation entre les deux, une aire commune reconnaît dans ces types de vaisselle des usages spécifiques, des valeurs idéologiques (sociales, religieuses). Nous l’avons souligné pour les coupes à pieds, des concepts idéologiques y sont attachés.

Jerablus-Tahtani et Umm el-Marra, sont plus proches des influences du Haut Euphrate. Dans cette région, sur le site de Gre Virike, un grand nombre de vases similaires ont été mis au jour dans le complexe funéraire2127. Il est probable que le type de coupe à pied soit apparu par le Zagros et la Mésopotamie du Nord où des formes communes apparaissent2128.

En conclusion, les routes commerciales Est-Ouest relient l’Asie Centrale et les rives de la Méditerranée Orientale ; celles-ci empruntent soit les voies maritimes au Sud, soit les routes terrestres intermittentes avec les voies fluviales. L’Iran est le carrefour de plusieurs routes venant d’Asie : l’une relie la région de Suse, la Diyala et le Sud de la Mésopotamie ; une route passant au Nord de Tépé Giyan, rejoint les cours du Tigre ou de l’Euphrate, jusqu’à la Haute Mésopotamie et la Syrie. L’axe Nord-Sud, de l’Anatolie au Golfe Persique emprunte les voies fluviales et terrestres. Il semble que les populations semi-sédentaires pastorales aient joué un rôle de vecteur dans la structuration des échanges politiques, économiques et culturels entre les régions dès le IVème millénaire2129.

Les échanges et la diffusion des symboles, comme des objets ou les matériaux ne sont pas uniformes. D’après Stein les biens de prestige sont des « constructions culturelles protéiformes » dont la valeur est créée, manipulée, changée ; l’évolution de la structure sociale peut avoir des conséquences sur la valeur des biens de prestige2130. Le prestige est une forme de représentation idéologique au service de l’élite politique2131.

Notes
2119.

Ce problème a été posé par Chakrabarti (1975) qui répond par la négative : «[…] trading items passed to and from between central Asia, northeast, east and southwest Iran, Afghanistan,,and Northwestern part of the Indian […] without necessarily bringing about any great migration of ideas in any direction.” (p. 288).

2120.

Peltenburg et alii 1995 : 7, fig. 6, un serpent est en relief sur un fragment de jarre en céramique (JT553) ; Forest 2003 : 132, l’auteur souligne la filiation de ce motif avec Suse, qui ne se serait diffusé en Mésopotamie qu’au DA II.

2121.

Bottéro 1992 : 158-161, tabl. IX : II-1.

2122.

Par exemple voir Franckfort 1939.

2123.

Khol 1975 : 24 ; Dossiers d’archéologie 2003 : 30-31, 40, 85.

2124.

Huot et alii 1980 ; Peltenburg et alii 1997 ; Aruz et alii 2003 : n°73.

2125.

Maxwell-Hyslop 1989 ; Peltenburg et alii 1997 : 140.

2126.

Moon 1982 : fig. 1.

2127.

Ökse 2005 : 27, 29, fig. 11, 30, fig. 12-13.

2128.

Helwing 2004 : 15, 22, fig. 7, l’auteur montre des exemples similaires de coupes à pied, du style « coupes à fruit » présents à Yaniktepe, Tilketepe, Tepe Gawra du Chalcolithique récent.

2129.

Marro 2004 : 51-58 ; cf. Joannès 1996 : 323-361 ; Michel 1996 : 385-426 ; Warburton 2003 : carte 8.

2130.

Stein 1999 : 36.

2131.

Brumfield, Earle 1987 : 5.