B. L’iconographie

1. Les symboles naturalistes

a. Les « yeux »

Les « yeux » sont un motif souvent décliné sur les objets des Tombes Royales d’Ur2132. Les éléments d’incrustations en forme d’yeux sont présents à Tell Banat, Umm el-Marra et à Mari. Ce motif apparaît couramment dans l’iconographie mésopotamienne et syrienne (Ebla) sur des objets provenant de contextes différents. Si ce signe reste encore abscon, il est possible d’émettre des hypothèses.

Le premier rapprochement de ce « symbole » provient de Tell Brak. Le temple « aux Yeux » de Tell Brak a été ainsi désigné par son découvreur Mallowan, à cause des milliers de petites figurines dites aux yeux qui ont été retrouvées. En pierre ou en terre cuite, elles représentent un individu, un couple, ou un individu et un enfant2133. Les figurines ont un corps plat, légèrement trapézoïdal ; le cou est marqué, il est parfois souligné par une incision ou un collier ; les yeux symbolisent le visage et ils sont incisés de lignes soulignant les sourcils et les pupilles. De dimensions variables, certaines figurines sont surmontées d’une « coiffure » tronconique simple ou décorée2134. Une seconde catégorie de figurines, appelée « spectacle idoles »2135 ou idoles « à lunettes », se distingue dans le corpus : les formes sont plus arrondies que les précédentes et les « yeux » sont figurés par deux cercles perforés. Des figurines ont été mises au jour dans d’autres régions mésopotamiennes mais pas en aussi grande concentration (Ur, Gawra, Assur).

La singularité de ces représentations anthropomorphes a donné lieu à de nombreuses hypothèses2136. Concernant le premier type de figurines, Mallowan a suggéré que ces dépôts votifs étaient associés à une divinité, ou étaient une protection contre le mauvais œil. Quant à l’identification de la divinité invoquée, Mallowan évoque la « déesse mère » ou une représentation des forces vitales et fertiles que la divinité symbolise2137. Une hypothèse contradictoire rapportée par Van Buren identifie les « yeux » comme une représentation d’un dieu principe masculin de la fertilité2138 ; Van Buren a conclu cependant « even if it does not irrefutably confirm the supposition that both spectacle and eye-idols symbolized a female divinity who was in later ages as the Great Mother-godess. »2139. Breniquet a élaboré une typologie des figurines : le type 1 rassemble le groupe de figurines identifié par Mallowan comme des « idoles », représentant un principe féminin ; deux autres types distinguent les grandes idoles « à lunettes » (type 2) et les petites idoles (type 3). Ces deux catégories sont, selon Breniquet, des objets intervenant dans le filage2140.

Les « yeux » apparaissent sur des supports différents ; ils semblent sutout associés à des divinités féminines. À Mari, une stèle en gypse dite « aux yeux », retrouvée dans le temple de Ninhursag, étaye l’hypothèse d’un lien avec le principe féminin. La partie supérieure représente un visage, rendu schématiquement : les yeux sont dessinés par des cercles concentriques ; la partie inférieure symbolise le triangle pubien associé à deux registres de cervidés et à deux végétaux2141.

Un sceau cylindre, provenant de Tell Agrab (3000 av. J.-C.), représente des yeux, associés aux hampes marquant l’entrée d’un sanctuaire et des rosettes dans le remplissage2142. Dans ce cas, c’est la déesse Inanna qui est représentée par les yeux. Des objets curieux peuvent compléter cette liste comme les « yeux » en pierre, gravés d’une dédicace d’une personnalité royale à une déesse2143.

Enfin, les figurines d’adorants du temple de Tell Asmar représentent des hommes et des femmes avec de grands yeux, les mains jointes sur la poitrine, tenant parfois un gobelet. L’effet démesuré des yeux est-il seulement rendu par les incrustations donnant un regard figé, exorbité, ou effectivement les yeux sont-ils ouverts pour signifier une attitude de dévotion à la divinité ? Les « yeux » retrouvés dans les tombes sont peut-être des yeux d’adorants ?

Le principe féminin est certainement représenté sur les figures anthropomorphes de Tell Brak et de Mari ; les « yeux » stylisés sont une manifestation d’une divinité ou du divin dans un sens plus général, comme le suggèrent les adorants de Tell Asmar. La présence de symboles similaires dans les tombes d’Ur nous incline à voir une volonté de manifester la présence d’une divinité qui, dans le contexte d’Ur, semble être liée à la fertilité.

Notes
2132.

Hansen1998 : 58, n°5, lyre de la tombe 1332, 60, n°6, jeu de dame, tombe 580.

2133.

Mallowan 1947 : 150-159, pl. XXV-XXVI, pl. LI.

2134.

Mallowan 1947 : pl. LI- 35-39, 42-44 ; variantes dans la “coiffure”, n° 45-47.

2135.

Mallowan 1947 : 155-159, pl. XXVI.

2136.

Résumé dans Van Buren 1955 : 166-167 ; Breniquet 1996 : 36-37. Les deux formes de figurines sont considérées comme une variation d’une même représentation par Mallowan.

2137.

Mallowan 1947 : 153. La démonstration de Mallowan se fonde sur les parallèles entre le temple de Tell Brak et l’Eanna d’Uruk : ce dernier était décoré sur les façades extérieures de rosettes, emblèmes de la Déesse Mère. Ces rosettes sont également très bien représentées à Tell Brak.

2138.

Van Buren 1955 : 167. Le principe masculin est identifié au dieu Ea (p. 168-169).

2139.

Van Buren 1955 : 175.

2140.

Breniquet 1996 : 39-40.

2141.

Margueron 2004 : 113-114.

2142.

Wolkenstein 1989 : Agrab 35.798, 27, 184 ; sur un autre cylindre (BM 128839) 96, 194.

2143.

Grayson 1990.