A. L’objet de valeur et la valeur de l’objet

1. La valeur intrinsèque

Les tombes de prestige se définissent dans l’ostentation du matériel, autant par leur abondance et leur diversité, que dans leur préciosité intrinsèque. La « valeur » des objets, d’après les matériaux qui les composent, participe à la représentation du prestige de l’élite et du discours idéologique et social de celle-ci.

Les biens déposés dans la sépulture représentent une valeur économique. Tout d’abord, d’un point de vue marchand, ce sont des produits précieux, issus d’un commerce longue distance qui nécessite l’établissement de réseaux commerciaux et diplomatiques. Nous sommes revenus sur les différentes sources d’approvisionnement de la Mésopotamie (l’Iran, le Balûchistân, l’Indus, et l’Anatolie) et les multiples places de transit dans les parcours des matériaux. Les textes expriment la difficulté, autant que la nécessité, de l’approvisionnement en matériaux précieux. Le commerce de matériaux et d’objets exotiques est contrôlé par les élites, qui centralisent puis redistribuent localement les produits. La centralisation concerne, en premier chef, les centres artisanaux, placés sous le contrôle des autorités (palais ou temples) qui leur délivrent les matériaux et commandent des objets ; l’objet prend de la valeur ajoutée par les heures de travail et la qualité technique apportée par les artisans. Les matériaux comme les objets ont une valeur d’échange, fixée à Ebla sur l’argent. La rareté, la difficulté d’acquisition (cherté, valeur), et le cercle restreint de diffusion font que les objets et les matériaux deviennent les symboles de prestige, et des symboles reconnus par les élites suprarégionales.

La surabondance d’objets et de matières précieuses dans la tombe s’apparente à une forme de thésaurisation : de grandes quantités d’objets sont, en effet, extraites des réseaux d’échanges traditionnels pour être déposées dans la tombe. Différentes hypothèses peuvent être évoquées quant à la finalité d’un tel phénomène. D’après Parker Pearson, il s’agit de ne pas transmettre ces biens aux successeurs2243 : une partie des biens déposés appartient au défunt et les objets sont donc destinés à le suivre dans la tombe, une autre partie est fonctionnelle comme la vaisselle ; nous avons reconnu une troisième partie dans les dépôts représentée par les objets de communication. Quelques objets restent sujets à interprétation : les objets en métal calibrés sous forme d’anneaux ou de haches. Woolley a émit l’hypothèse d’une fonction monétaire des anneaux, des études récentes semblent confirmer cette opinion2244 : facilement transportables, les anneaux, de différentes dimensions et de différents poids, constituent une valeur standardisée en métal. Ainsi, des textes de Mari transcrivent les dépôts d’anneaux en argent faits dans des tombes de la famille royale2245. Le problème est de saisir les raisons qui ont incité à les déposer dans des sépultures : des raisons économiques sont évoquées, dans le but de maintenir une valeur et éviter une inflation, des « lingots» sont extraits du marché2246. Les tombes constituent donc une reserve en métal réutilisable : d’après un texte de Mari, le roi demande de récupérer les objets en métal d’une tombe royale à Terqa, pour subvenir à la demande2247. D’autre part, il est probable que la réserve de matières rassemblées, comme nous le supposons, constitue un réseau d’échange symbolique puisqu’elle est constituée en partie de cadeaux de provenance royale et peut servir à monnayer le passage dans l’au-delà.

Un dernier point, non des moindres, concerne la fabrication des objets, des coiffures ou de la vaisselle, pour les funérailles. Des quantités de matériaux précieux (métal, pierres) sont dépensées sans avoir eu « d’autre utilité » que d’embellir le défunt et de lui donner un ensemble de paraphernaux dûs à son rang : cette ostentation marque une volonté forte de communication du prestige de la famille et du rang social du défunt. C’est d’autant plus significatif lorsque ce sont des cas rares comme ceux des enfants : l’enfant de la tombe « de la petite princesse » porte des parures et des coiffures, similaires à celles des adultes, faites à ses dimensions2248. À ses côtés, de la vaisselle miniature en or l’accompagne. Pour cette jeune fille, comme pour le petit garçon de la tombe 1133, la valorisation du statut social auquel ils appartiennent prime sur leur âge. Ces remarques renforcent notre hypothèse émise supra sur la localisation des tombes de ces enfants : c’est leur rang social qui est mis en exergue. En outre, il apparaît important de parer le corps pour qu’il soit admiré. Dans le cas d’Ur, les parures sont somptueuses et voyantes.

Notes
2243.

Parker Pearson 2002 : 85 ; voir Testart 2004c : 306.

2244.

Woolley 1934 : 297 ; Dayton 1974 ; Archi 1985.

2245.

Annexe 1-B (ARMT XXV 539, 571) ; Limet 1982.

2246.

Hypothèse du « risk buffering » de Hasltead et O’Shea dans leur théorie du monopole social citée dans Parker Pearson 2002 : 86.

2247.

Charpin 1989.

2248.

Woolley 1934 : 163.