1. Le prestige de l’individu

Les objets considérés les plus personnels sont les armes et les parures. On peut supposer, en effet, que les parures et les coiffures les plus communes (que l’on retrouve dans le mobilier funéraire) constituent les parures portées par les individus de leur vivant2262 : colliers, bagues, pectoraux, torques, épingles sont des parures de femmes et d’hommes répertoriés dans les textes2263. Les bijoux sont des marqueurs sociaux visibles, dans le quotidien, reconnaissables de tous, encore faut-il posséder les codes sociétaux pour comprendre ces signes. Une étude approfondie de la bijouterie montre que la répartition des ornements distingue les individus de statut différent, mais les variations dans les compositions ne permettent pas de définir leur rôle2264.

D’autre part la distinction porte sur les bijoux effectivement portés et ceux qui représenteraient une valeur sociale et une valeur d’échange. Archi souligne que les bijoux,constituant la dote de la mariée, ne seraient pas portés et ce sont les mêmes qui sont déposés dans leurs sépultures :

‘« The clothes and jewels which ladies received on their marriage or their ordination as priestesses were exactly the same as those destined to adorn them on their burial. They were not, however, the objects that they used when alived. »2265. ’

Certains types de bijoux peuvent être assimilés à la distinction royale et constituent des signes de reconnaissance des élites. Cependant les pratiques de déposition ne sont pas strictement identiques ; des aires régionales peuvent être dessinées selon la typologie des parures retrouvées. Nous avons constaté des apports surpa-régionaux dans les paraphernaux royaux, tels que la couronne d’Umm el-Marra. La difficulté est d’identifier cette couronne comme un emprunt ou un « cadeau » ? Les bijoux sont donc des bijoux personnels du défunt, et des objets déposés pour l’identifier par rapport à sa famille (restreinte et élargie) et à la communauté si son statut l’exige.

Le dépôt d’armes s’élabore selon les principes similaires aux bijoux ; les armes, dans les tombes de prestige, sont des marqueurs identitaires et sociaux. Nous avons constaté la diversité des armes déposées et l’accumulation de certains types dans quelques tombes seulement. Les poignards et les haches sont des paraphernaux utilisés par les simples guerriers, ainsi que l’indiquent les diverses représentations ; cependant, les hommes inhumés avec un poignard à la ceinture associé ou non à une hache à proximité du corps, ne peuvent être forcément identifiés en tant que guerriers : il s’agit le plus souvent, dans les tombes de prestige, d’un trait statutaire d’appartenance à une classe ou à un groupe. Dans le cas de la tombe 755, par exemple, les armes déposées sur le corps n’auraient pu être utilisées. De même, la présence d’une certaine catégorie d’armes accompagnant les individus masculins et féminins (tombes 800, 1054) suggère également un insigne de pouvoir et d’appartenance à une classe dirigeante.

Il est délicat d’avancer une interprétation sur les autres armes déposées dans la chambre : il peut s’agir d’armes de communication ; cependant les armes, comme les bijoux, peuvent être des objets d’échange2266.

Nous avons tenté d’établir dans le chapitre 1, les relations suprarégionales qui apparaissaient dans le mobilier funéraire. Ainsi, certaines parures, armes et symboles (spirales) sont connues dans l’ensemble du Proche-Orient ; leur large répartition géographique semble indiquer que se sont des signes appréciés, mais dont la signification (symbolique ou esthétique) peut varier selon les communautés. Les paraphernaux sont éventuellement des signes de reconnaissance mutuelle de prestige. Par ailleurs, on peut supposer que ce sont des « cadeaux » d’un personnage à un autre ; par exemple le diadème de la tombe 4 d’Umm el-Marra. Nous avons un indice que ce type d’échanges était pratiqué par la mention dans K.7856 + K.6323 d’une « couronne élamite en or ». La présence de paraphernaux d’origine étrangère peut être interprétée dans ce sens.

Notes
2262.

L’étude de la bijouterie d’Ur, menée par Emmanuelle Hubert (Paris I) a montré que les bagues de la reine Pu’abi présentent des traces d’usure, qui étaieraient l’hypothèse de bijoux personnels. Des études archéométriques sur les bijoux seraient donc une opportunité pour préciser la distinction entre objets personnels, objets de communication, surtout dans les cas où les paraphernaux sont nombreux. Ainsi Parker Pearson rapporte des exemples de paraphernaux déposés dans les tombes mais dont l’analyse montra qu’ils n’ont pas été portés (Parker Pearson 2002 : 85).

2263.

Archi 2002.

2264.

Communication d’Emmanuelle Hubert qui constate que les coiffures de la reine et de certaines suivantes du cortège de la tombe 1237 sont similaires ; elle constate, par ailleurs, que les suivantes portant ces coiffures sont disposées par deux. Il existe donc une logique de regroupement des individus dans les cortèges selon des statuts.

2265.

Archi 1985 ; Archi 2002 : 178.

2266.

Archi 1985 : 30.