2. La valorisation du corps : le corps comme symbole

La parure a pour fonction première de couvrir et de parer le corps, mais aussi de signifier et de communiquer un statut, une vertu prophylactique ou propitiatoire. Dans le contexte funéraire, le corps du défunt est paré par les vivants, par conséquent le vêtement du mort est une projection des représentations de ce qu’était le mort2267 ; ou, comme le soulignait Cohen, ce que les vivants ont choisi (notre insistance) de mettre en valeur de l’identité, du statut du mort. La parure est un mode de manipulation idéologique et un vecteur du discours politique :

‘“…. As dress does have a symbolic component, and signs have been seen not to be arbitrary in character, but rather appear to be part of the “natural order” and “inevitable”, dress must involve non-arbitrary signs which are intimately linked to ideological dimension.
… Dress is concrete and visible, it is an objectification of the structuring principles, it is constitutive as well as communicative.” 2268

Les données importantes qui nous font défaut dans le domaine du funéraire pour compléter cette analyse, ce sont les vêtements. En Mésopotamie, les vêtements font partie, à l’égal des parures et des armes, des cadeaux s’échangeant entre souverains et des échanges longue distance (annexe 1-A)2269. Ils constituent des biens précieux, de prestige, qui étaient déposés dans la tombe, ainsi que les textes nous le confirment2270, en grande quantité, et parfois plusieurs lots d’un type de vêtement. Nous n’avons pas la correspondance entre les types de vêtements et leur usage2271.

Les seuls rapprochements avec un éventuel vêtement dont nous disposons dans notre corpus sont le « manteau » de la reine Pu’abi, et sans doute celui de la tombe 7. Ces deux vêtements étaient en perles, en métal, et en pierre. Les manteaux de reines sont mentionnés dans les textes2272 : dans l’élégie à la reine, le scribe insiste sur l’éclat du manteau. Le « manteau pala royal » est un attribut de la déesse Inanna dans la « Descente aux Enfers ». Le manteau de la reine Pu’abi n’a certainement pas été porté, c’est une parure funéraire dont la fonction de nature symbolique associée avec les couronnes est de transmettre une image, un discours, autant que de magnifier la défunte, comme la reine de l’élégie.

Ainsi, l’embellissement du corps du défunt, esthétique, a aussi pour but, au travers d’un ensemble de signes diacritiques (parures, matériaux, décors, couleurs) de manipuler son « image » et de transmettre un discours idéologique élaboré.

Les couleurs, les parures du défunt ont joué un rôle symbolique et social depuis la préhistoire. Dans l’Egypte pré-dynastique, la présence de palettes à fards dans les sépultures souligne la symbolique de l’ornement ; les statuettes anthropomorphes, retrouvées dans les tombes d’Aïdama, font référence à un usage des peintures corporelles dans un but symbolique2273. Par ailleurs, les couleurs ont un rôle prophylactique, comme les décorations protectrices dans la tribu des Vanatinaï en Mélanésie. La décoration du corps avec des objets cérémoniels de prestige s’intègre dans un échange entre les vivants et les morts ; les vivants honorent leur mort, son esprit peut ainsi se présenter devant les autres esprits, il pourra les aider enretour.2274

Les couleurs sont codifiées en Mésopotamie. Tout d’abord, les jeux esthétiques des matières, entre le lapis-lazuli, la cornaline, l’or, l’argent, donnent un éclat particulier à la parure. Les couleurs ont une valeur intrinsèque. Le lapis-lazuli représente la puissance divine, la fertilité, la force vitale2275 ; le rouge orangé de la cornaline est un signe de vie, de mort et de deuil. L’or, bien entendu, donne l’éclat et la splendeur de la royauté, c’est le soleil ou l’étoile Vénus. L’exemple supra du manteau illustre l’importance du vecteur chromatique dans la représentation symbolique. Inanna dans sa Descente aux Enfers quitte son manteau et ses autres attributs en or et lapis-lazuli, et elle meurt ; la déesse revient à la vie après l’aspersion du « breuvage de vie »2276 et en reprenant ses attributs associant le bleu, l’orangé, la vie et la fertilité ainsi que la royauté avec l’or 2277. La symbolique des couleurs et des matériaux corrobore l’analyse que nous avons abordée sur l’iconographie : l’exemple d’Ur montre la surabondance de signes représentant à la fois la royauté et la fertilité et la force vitale. Les signes dans les autres tombes sont plus épars.

La symbolique des décors ajoutent de la valeur et du sens compris immédiatement par tous ceux qui voient les objets. Comme nous avons insisté sur les rapports entre les scènes de banquets et les banquets funéraires il existe un lien entre les thématiques illustrées et la mort ou le mort.

Notes
2267.

Parker Pearson 2002 : 7.

2268.

Pader 1982 : 22 ; Chesson 2000 ; Parker Pearson 2002 : 9, “the clothing of the dead thus constitute a hall of mirrors, representation of representations, in which things may not be entirely what they seem et first glance”.

2269.

Archi 1985.

2270.

Cf. annexe 1-Ac, d, DP 75, UMCL 9-1798.

2271.

McGinnis 1987 : v. II, II’ par exemple « 5 vêtements- šiknu, 15 lots de vêtements-šaharrattu, 8 lots de vêtements de bit-ahi, 6 vêtements sipirtu, […] 4 lots de vêtements de bit-ahi, […] ».

2272.

Chiodi 1994b : 317. Cf. annexe 1-Ac, e, DP 75, K.7856+K.6323.

2273.

Baduel 2005.

2274.

Lepowsky 1989: 205.

2275.

Casanova 2002 : 180- 185.

2276.

Bottéro 1989 : 284, v. 221-222.

2277.

Nous voulions évoquer la problématique de la symbolique des couleurs, car elle permet d’envisager d’autres perspectives pour l’interprétation du matériel funéraire. Le domaine des couleurs est étudié pour les périodes anciennes des points de vue anthropologique, historique, linguistique et artistique (Cf. Baines J. 1985 « Color terminology and color classification : Ancient Egypt terminology and polychomy», American Anthropologist 87 : 282-297 ; Berlin B., Kay P. 1999, Basic color terms: Their universality and evolution, Standford ; pour une analyse historique de la couleur bleue en Europe ; Pastoureau M. 2002, Le bleu. Histoire d’une couleur, Paris). David Warburton (2004, 2007) et Michèle Casanova (2002) ont travaillé sur ces problématiques.