Les pratiques funéraires royales et de prestige : les perspectives

Le prestige et les stratégies sociales

L’attention portée aux monuments funéraires de prestige et aux pratiques funéraires de prestige a permis d’insister sur la dialectique sociale et idéologique du prestige. Les perspectives anthropologiques ont axé l’interprétation des facteurs archéologiques vers les stratégies sociales et idéologiques qu’ils déterminaient.

Nous avons insisté sur la topographie de prestige car elle rétablit la tombe monumentale dans son environnement spatial, architectural et temporel. Le choix topographique définit les fonctions de la tombe au moment des funérailles et des rites post-enterrement dans les liens qu’établissent les vivants avec leurs morts de prestige. Les croisements entre la topographie de la tombe monumentale, son architecture et les rituels pratiqués mettent en évidence le rôle intrinsèque de la tombe monumentale au sein de la société. Chaque membre participe directement ou indirectement à son élaboration et aux rites funéraires ; elle est un point focal dans l’environnement et l’histoire collective et individuelle.

Les politiques de constructions sont des manifestations du pouvoir et elles ont pour rôle de s’inscrire dans le temps. Le pouvoir a besoin de légitimer son autorité et d’extérioriser son prestige et les rituels en sont une autre manifestation. La mort est un moment critique pour le pouvoir et la société ; les cérémonies funéraires permettent d’exprimer les émotions, les enjeux politiques liés aux changements tout en insistant sur la continuité. Comme l’avait exprimé Van Gennep, les cérémonies sont des « rites de passage » où se joue l’avenir du mort, et au travers de lui, de l’ensemble du groupe. Les rituels de transformation permettent de maintenir la cohésion du groupe autour du mort en assurant la continuité du pouvoir et de la communauté. La complexité du rituel témoigne des enjeux pour l’ensemble du corps social : les parallèles ethnographiques ont montré l’importance des rituels dans la renégociation des relations sociales et hiérarchiques entre les membres d’un groupe. Le rituel est social, c’est ce qui est apparu dans les relations intrinsèques du pouvoir et du rituel. Il n’est pas nécessaire de se limiter à mettre au jour « des pratiques », parce que l’on ne connaît pas la signification de ces gestes sans doute liés à des croyances, alors que la reconnaissance de gestes rituels permet au contraire, d’ouvrir les champs du possible sur la société, ses pratiques sociales et sa perception de son environnement. Les pratiques funéraires sont interprétées de façon dichotomique : elles ont été situées dans le social ou dans le domaine des croyances alors qu’elles font partie du fonctionnement structurel de la société. Ce sont des évènements sociaux, liés à des rites sociaux.

Le mobilier est étroitement lié au rituel du prestige. On lui attribue souvent le seul rôle de manifestation ostentatoire de la richesse et du pouvoir des élites. Nous avons démontré la complexité de ses fonctions. Les objets sont des productions sociales, porteurs d’une fonction et d’un rôle social et symbolique. Ils représentent des statuts, des symboles d’ostentation. Par contre leur assemblage peut représenter une manipulation des codes et des symboles sociaux. Nous avons mis en deux orientations déterminantes dans la représentation du prestige : la première, est le symbole du corps décoré, et la seconde, le rapport de l’objet au corps dans la représentation sociale et symbolique du défunt. Plusieurs études archéologiques et anthropologiques2291 ont abordé ces problématiques sous des perspectives différentes. Le corps est soumis à de multiples manipulations  d’ordre rituel (lavage, onctions d’huiles), puis d’ordre symbolique, par l’ornementation qui associe des codes visuels du prestige immédiatement perceptibles tels que la couleur, les symboles, les objets associés au corps : l’ensemble constitue un message. La fabrication d’objets pour les funérailles, notamment dans la parure, prouve l’importance du corps paré lors des cérémonies funèbres publiques, à la fois pour exalter le prestige de l’individu, et manipuler l’image du mort dans un but idéologique. Le corps est porteur de sens, il est signifiant avec l’ensemble des objets déposés dans la tombe qui lui sont ou non associés par leur proximité. La disposition mise au jour dans la tombe peut être considérée une image de la cérémonie funéraire, en tenant compte de perturbations éventuelles : il semble que les groupes d’objets et leur place tels qu’ils apparaissent, permettent d’identifier leur rôle dans la mise en scène funéraire et leur fonction dans les cérémonies.

Le rite est une arène théâtrale dans laquelle est exposée une image idéalisée du mort, de son prestige, correspondant aux les nouveaux rapports de pouvoir en train de s’établir entre les membres de l’élite. Le rite est une légitimation du pouvoir et de l’idéologie qui veut être transmise. L’important c’est de donner plus et de donner toujours plus à voir.

Les tombes de prestige au cœur de la société proche-orientale : des pratiques polysémiques

La démonstration a pu être faite que les pratiques funéraires s’insèrent dans un Tout, dans une globalité. La tombe monumentale ne joue pas seulement un rôle dans la représentation du défunt, du prestige du mort royal pour sa seule postérité, mais elle s’inscrit profondément dans un système sociétal, avec ses valeurs, son système symbolique et idéologique. Les tombes monumentales, royales et de prestige, éclairent les dialectiques sociales et symboliques : il est possible d’appréhender, au travers d’une frange spécifique de la société, la complexité de la structure sociale interne, ses représentations, auxquelles s’ajoutent les mécanismes externes des relations supra régionales des élites, au travers de gestes économiques et de symboles politiques renforçant les relations diplomatiques des élites.

Les pratiques funéraires de prestige sont polysémiques car elles mettent en évidence des systèmes symboliques complexes signifiant les relations sociales, les relations diplomatiques et politiques entre les élites, mais tendant également à renforcer et manipuler les relations avec le divin. Tout ce système se manifeste dans le matériel les symboles les gestes pratiqués.

L’une des problématiques souvent abordées par les archéologues concerne l’identification de la complexité sociale et du fonctionnement de la société : les pratiques funéraires sont, pour certains archéologues, à même de définir le type de société auquel ils sont confrontés. Les anthropologues restèrent prudents sur les interprétations, tandis que les archéologues ont privilégié cette voie comme par exemple à Tell Banat où l’on développe l’image d’un type de société communautariste. Le contexte tribal n’est pas discuté, cependant l’interprétation apportée semble en contradiction avec la forme de la tombe monumentale principale, le mobilier et le contexte architectural. L’émergence d’une élite locale est reconnue, les mécanismes de prestige sont similaires à ceux constaté sur les autres sites alentour. Ce n’est pas la communauté qui est mise en avant mais bien l’élite, car l’élite émergente se fonde sur les représentations sociales existantes (tribale, pastorale) pour justifier son pouvoir et la complexification de la société. C’est ainsi que les royautés d’Ebla et de Mari rappellent leurs origines tribales et leurs ancêtres dans des rites complexes liés au fonctionnement du pouvoir. Le maintien de la cohésion sociale passe par le rappel d’origine commune à la société ; il n’en reste pas moins que l’élite justifie sa propre idéologie et son autorité. Concernant le funéraire au sens strict, il faut orienter les réflexions non pas sur l’identification d’un type structurel, mais sur les formes de pouvoir, l’expression des rapports hiérarchiques qui apparaissent dans les tombes de prestige. Au travers des pratiques funéraires liées à l’élite, il est possible de saisir les modes de représentations sociales, la complexification des relations internes et externes dans l’architecture, le mobilier, de saisir les transferts de symboles et les pratiques différentielles qui s’opèrent entre les individus et les groupes dans une société en changement. La compétition sociale pour le pouvoir est constante qu’il s’agisse de sites émergents ou de royautés dynastiques. En fait, nous suggérons, à l’instart de Testart2292, d’approfondir « l’idéologie du pouvoir » dans les tombes de prestige.

Les relations des tombes monumentales avec les tombes proches sont en cela intéressantes. Elles font apparaître la complexité des relations sociales et hiérarchiques, comme à Ur, et surtout la contradiction dans leur représentation. Des tombes « privées » telle que la tombe 755, témoignent de l’ambivalence du statut de certains individus, appartenant au même groupe royal que les individus des Tombes Royales, tant les traits reconnus sont similaires : ce sont en effet des tombes dont le mobilier égale les plus prestigieuses et qui sont classables parmi les Tombes Royales, même en l’absence d’inscription confirmant l’identification. Pollock avait mis en évidence le transfert de symboles entre les classes sociales, mais, dans les cas présents, il faut tenir compte de raisons sociales non connues qui pourraient entraîner des traitements funéraires différentiels au sein de l’élite, comme des membres éloignés de la famille royale. L’exemple d’Ur témoigne de la complexité structurelle d’une société mais surtout que les traits reconnus pour définir cette complexité sociale sont parfois manipulés. L’absence de données sur d’autres formes de sépultures limite la possibilité de savoir comment se construisaient les relations sociales et les représentations sociales dans les communautés par exemple à Qara Quzac, ou à Umm el-Marra sur lequel nous n’avons jusqu’à présent, que les tombes dites « royales » et le complexe funéraire. L’ambition du projet, corrélé à l’architecture et au mobilier de prestige, suppose que la société est complexe et que l’élite intègre une dialectique spécifique pour sa reconnaissance. L’identité locale est très forte, et elle doit être prise en compte dans l’interprétation de la structure sociale. Les multiples pratiques décrites dans le corpus en témoignent.

Notes
2291.

Le Breton 2004.

2292.

Testart 2004c.