4.1 L’importance des investissements publics et la place dominante de l’industrie 

Le « coup d’envoi » effectif de la S.A.D a eu lieu avec le lancement du premier plan triennal (appelé aussi pré-plan) de 1967-1969, préparant le terrain au lancement de grands investissements industriels qui allaient suivre dans le cadre des deux plans quadriennaux couvrants les années (1970-1973) et (1974-1977). Les années 1978 et 1979, quant à elles étaient sans plans car une pause a été décidée pour l’achèvement des « restes à réaliser » des plans des années précédentes.

La caractéristique principale de ces différents plans était la progression permanente des investissements publics notamment industriels. On y constate l’acharnement du planificateur à mettre en place la stratégie de développement qu’il s’était donné pour mission de mettre en œuvre. A cet effet, l’Etat a investi 300 Milliards de DA (dont la moitié en devises) entre 1967 et 1978. Le taux d’investissement public est passé de 26% entre 1967et 1969 à plus de 50% en 1978/1979, comme le montre le tableau suivant :

Tableau 2.1 Taux d’investissement public durant les différents plans.
Années Pourcentage
1967 /1969 26 ,40 %
1970/1973 33,50 %
1974/1977 46,04 %
1978/1979 54,70 %

Source : A. Dahmani, L’Algérie à l’épreuve…Op.cit.p. 40

La part affectée au secteur de l’industrie de l’investissement total est dominante. La figure suivante montre clairement la volonté manifeste d’accélérer la cadence de l’industrialisation du pays.

Figure 2.1 Répartition des investissements par secteur d’activités durant la SAD (109 DA).

Source. Fait par nos soins à partir des données de M. Ecrement, Indépendance politique et libération économique, un quart de siècle de développement de l’Algérie, 1962-1985, ENAG – OPU (Alger) et PUG (Grenoble), 1986.De 1967 à 1977, on constate la dominance absolue de la part des investissements alloués à l’industrie (hydrocarbures inclus). Celle-ci en effet, après avoir été de l’ordre de 53,4% (soit 4, 9 millions de DA) durant le plan triennal, la part de l’investissement industriel est passée à 57,3% (20,8 Millions de DA) durant le premier plan quadriennal (1970-1973) pour atteindre 61,1% (74,1 M DA) au cours du second plan quadriennal (1974 et 1977), soit plus de 50% des investissements réalisés durant une décennie.

Comparés à l’industrie, l’agriculture et les services ont été légués au bas de l’échelle des priorités du planificateur. En pourcentage, l’agriculture, qui, rappelons-le occupait au lendemain de l’indépendance le premier rang des secteurs pourvoyeurs des devises (voir chapitre 1), n’a bénéficié que de 20,7% des investissements prévus par le plan triennal. Pis, cette infime part, a été revue à la baisse pour ne représenter que 7,3% soit 8,9 millions de DA au cours du second plan quadriennal.

Mais ne nous y trompons pas : ces investissements colossaux consacrés au secteur industriel ont été accaparés à plus de 50% par les hydrocarbures. Ce taux atteignait les 60% en 1979. A ce propos, A. Dahmani parle de la « perversion » du modèle d’industrialisation : «  plutôt que d’échec il est juste de parler de « perversion » du modèle d’industrialisation et de développement d’une économie rentière et dépendante » 72 , avant d’ajouter que la seule évolution connue par l’économie algérienne, après la mise en œuvre de trois plans de développement est le remplacement de l’agriculture par les hydrocarbures : « seule évolution , l’agriculture a été remplacée par le pétrole, le sous -sol s’est substitué au sol . Pourtant, dans le projet de développement, l’industrialisation constitue l’élément stratégique »73

De son côté, Y. Benabdellah voit dans ces écarts entre la conduite réelle de l’Etat algérien en termes d’investissement avec l’esprit du modèle de développement initial - un écart qui se manifestait, comme on vient de le souligner, en faveur des hydrocarbures au lieu des industries industrialisantes- une manifestation du volontarisme économique de l’Etat. A ce propos, il souligne : « Dans le cas algérien, il nous semble que la rente pétrolière et la crédibilité qu’elle a permis d’acquérir auprès des bailleurs de fonds ont bouleversé les données du projet initial. La remise en cause, plus d’une fois, des proportions du plan, le relâchement de l’austérité et l’appel croissant à l’épargne extérieure lorsque les recettes d’exportations s’améliorent sont autant de signes d’un volontarisme étatique préoccupé davantage par les aspects sociaux et politiques que par les aspects strictement économiques »74.

A cette perversion originelle dans la mise en œuvre concrète de la S.A.D, il faut ajouter les contraintes classiques que peut rencontrer tout processus d’industrialisation d’un pays sous développé et dépendant, tels que les capacités d’absorption limitées, la faiblesse d’économies externes, l’absence de main d’œuvre qualifiée, un système de prix inadéquat...

Notes
72.

A.Dahmani, L’Algérie à l’épreuve, … Op.cit. p. 32.

73.

Idem. p. 33.

74.

Y. Benabdallah, Economie rentière... Op.cit. p. 222.