4.3 L’organisation du commerce

Le même volontarisme économique, affiché par l’Etat dans la mise en œuvre de la politique d’industrialisation et des opérations de la réforme agraire, était également à la source de l’organisation des circuits du commerce intérieur et extérieur. L’objectif affiché était d’asseoir le monopole étatique sur l’ensemble des opérations de commercialisation et de distribution tant au plan interne qu’externe, afin d’assurer, selon le discours officiel, la justice sociale à travers le contrôle des prix, un meilleurs approvisionnement du marché local et éviter la domination du capital international.

Dans le but de contrôler les flux d’importations et d’exportations, l’Etat avait recours, dès les premières années de l’indépendance, à toutes les techniques du protectionnisme. En effet, dès juin 1963, l’Etat instaurait le régime de contingentement des importations, élaborait une politique tarifaire dissuasive et instaurait un contrôle rigoureux des changes. Le contingentement consiste à fixer à l’avance la nature et la quantité des marchandises à importer avec parfois même la précision de l’origine géographique. Cette politique est applicable par le biais des « licences d’importations » ; c'est-à-dire, que l’Etat exigeait pour tout importateur -privé ou public et avant toute opération d’importation- l’obtention auprès du ministère du Commerce d’une autorisation administrative spécifiant la quantité et l’origine de la marchandise.

La seconde procédure mise en œuvre était l’instauration des barrières tarifaires. Cette technique protectionniste, dite indirecte, consiste à imposer des tarifs douaniers suffisamment élevés sur certains produits. L’Algérie a révisé à la hausse ses tarifs douaniers à deux reprises (en 1963 et en 1968), soit en moins de 5 ans78. Enfin, la politique de contrôle de changes appliquée à partir d’octobre 1963 consistait à imposer un taux de change unique, fixé administrativement et applicable à toute opération avec le reste du monde.

Parallèlementà ce cadre réglementaire, l’Etat procédait à la mise en place d’un certain nombre d’organismes administratifs pour encadrer l’activité commerciale avant de procéder franchement à la création de grands monopoles publics. Ainsi, à la fin de l’année 1963, il y a eu la création de l’Office National de la Commercialisation, avec pour mission d’approvisionner le marché en produits de grande consommation (café, sucre, thé, céréales…). Cet organisme détenait le monopole sur les importations de la plupart des produits de première nécessité.

En 1964, le commerce extérieur connaissait une nouvelle réorganisation. Cette fois-ci l’Etat tentait de renforcer sa mainmise à travers la création des Groupements Professionnels d’Achat, associant obligatoirement les importateurs privés avec l’Etat dans des sociétés dotées d’un monopole d’importation dont le capital était à majorité étatique. Mais ce nouveau système ne tarda pas à montrer ses limites, notamment après la création massive des entreprises publiques à partir du premier plan triennal. En effet, des conflits sur les prérogatives avaient souvent lieux entre les entreprises étatiques et les groupements professionnels sur l’importation de certains produits.

La mise en œuvre accélérée de la S.A.D à partir de 1967 s’est accompagnée de l’attribution aux entreprises publiques industrielles nouvellement créées du monopole d’importation et d’exportation, avec l’instauration, dès 1972, du régime dérogatoire pour l’attribution des licences d’importation.

Par ailleurs, l’organisation des circuits du commerce intérieur obéissait à la même logique : asseoir le contrôle étatique sur la distribution et la commercialisation de l’ensemble de biens et services. A cet effet l’Etat avait mis en place un système complexe et bureaucratique qui a fini par provoquer des cercles vicieux qui décourageaient toute initiative du producteur agricole. L’exemple de l’organisation prônée par l’Etat pour la maîtrise de la distribution des produits agricoles était assez significatif.

Après avoir créé les C.A.P.C.S (Coopératives Agricoles Polyvalentes Communales de Service) pour assurer la commercialisation des produits agricoles, l’Etat a mis en place les Coopératives de Fruits et Légumes (C.O.F.E.L) dans chaque Wilaya. Le rôle de ces dernières était de commercialiser les produits agricoles achetés par les C.A.P.C.S des producteurs publics et privés. Inutile de souligner que la relation entre les producteurs et ces organismes de commercialisation n’était pas contractuelle et ne se faisait pas en fonction de l’offre et de la demande car l’Etat interdisait toute vente des produits agricoles hors des circuits qu’il avait prévu.

Par ailleurs, les C.A.P.C.S et les C.O.F.E.L n’achetaient pas les produits avec paiement à chaque transaction. Elles récupéraient la marchandise du producteur et c’est la Banque d’Etat qui se chargeait de verser la contrepartie monétaire quelques mois après la transaction. Entre le délai de livraison de la marchandise et la réception des sa contre- partie monétaire -délai qui pouvait aller jusqu'à 3 mois- le producteur avait droit à une avance de la banque de l’ordre de 400 DA/mois. Cette avance était ensuite déduite de la somme finale que la banque devait verser après la vente de la marchandise. L’opération devenait encore plus compliquée lorsque l’on sait que les prix de vente des produits agricoles étaient tellement bas qu’ils couvraient à peine les avances de la banque. De fait les 400 DA par mois représentaient un salaire, et les producteurs agricoles devenaient donc des sortes des fonctionnaires.

Cette logique bureaucratique de l’organisation des circuits de distribution des produits agricoles était la même pour l’ensemble des circuits étatiques de distribution. L’expérience des magasins pilotes socialistes et des souk-el fellah est un autre exemple de cette volonté étatique de contrôler les circuits du commerce interne.

Cette organisation administrative et centralisée du commerce interne et externe a notamment contribué:

  • A contrarier la fluidité du mouvement de produits, engendrant ainsi des blocages dont le contournement justifiait toutes les pratiques antiréglementaires.
  • A creuser un fossé entre une organisation théorique et apparente des marchés, et des pratiques souterraines et incontrôlées de leur fonctionnement réel.
  • A amoindrir au fur et à mesure l’efficacité économique des structures de commercialisation.
  • A générer en définitive un système de distribution lourd et coûteux, fondé sur une approche purement administrative des offres et des demandes sur le marché, approche qui ne se résout en fin de parcours que par des gaspillages et un gonflement incontrôlé des coûts commerciaux 79 .
Notes
78.

Pour plus de détails sur les différentes mesures prises pour la régulation étatique du commerce extérieur, voir H. Benissad, Economie du développement de L’Algérie, …Op.cit. pp. 175-192.

79.

Les cahiers de la réforme, rapport sur les grands axes de l’organisation du commerce interne et externe, Enag, Alger Février 1988, p. 152.