5.1 Un aperçu historique

Au lendemain de l’indépendance, l’Etat algérien récupérait sa souveraineté monétaire à travers la création de l'institut d’émission dénommé « Banque Centrale d’Algérie »86 et de sa monnaie nationale le « Dinar Algérien »87 . Outre les missions d’institut d’émission, la BCA exerce les fonctions dévolues à toute Banque Centrale, à savoir : la fonction de Banque des Banques, fonction de Banque de l’Etat et la fonction de Banque des Changes. Dit autrement, les principales fonctions de la BCA sont :

  • l’exercice du monopole de l’émission ;
  • le rôle de banquier du trésor ;
  • la gestion des ressources internationales ;
  • le suivi des liquidités des banques primaires.

La création de la BCA s’est faite avec la promulgation de la loi n° 62-144 du 13 décembre 1962. Cette dernière a définit clairement les statuts de la BCA ainsi que la conduite de la politique monétaire, ses objectifs, ses instruments et le degré d’autonomie de l’institut d’émission. Les objectifs de la politique monétaire sont contenus dans l’alinéa premier de l’article 36 des statuts de la BCA dont les missions ont été définies comme suit :  « La Banque Centrale a pour mission de créer et de maintenir dans le domaine de la monnaie, du crédit et des changes les conditions les plus favorables à un développement ordonné de l’économie nationale, en promouvant la mise en œuvre de toutes les ressources productives du pays, tout en veillant à la stabilité interne et externe de la monnaie ».

Les instruments de la politique monétaire prévus dans les statuts sont de type indirect. Autrement dit, le fonctionnement de la BCA reste conforme à celui que lui définissent les lois de l’économie politique, à savoir, l’indépendance de l’autorité politique et l’intervention indirecte dans la conduite de la politique monétaire. Ces instruments consistent à l’époque principalement dans :

  • le réescompte et la prise en pension des effets privés et publics (articles 43, 44, 45, et 47) ;
  • les avances gagées sur l’or ou devises étrangères, réserves obligatoires (article48) ;
  • l’open market : c’est-à-dire l’intervention sur le marché monétaire interbancaire, appelé alors « marché libre », dans le but de réguler la liquidité des banques en leur achetant ou en leur vendant des effets publics ou privés (article 51).

Durant les premières années de l’indépendance, la BCA est intervenue directement dans le financement du secteur socialiste88. Mais elle s’est aussitôt repliée sur son rôle de Banque Centrale après la création des banques primaires dans la seconde moitié des années 1960. Ainsi, l’Etat, dans une seconde étape, mettait en place le système bancaire national, et cela en algérianisant les banques privées étrangères pour donner naissance à :

  • Deux intermédiaires financiers non bancaire : la caisse algérienne de développement CAD et la caisse nationale d’épargne et de prévoyance CNEP
  • Et trois banques nationales : la banque nationale d’Algérie (BNA), le crédit populaire d’Algérie (CPA), et la banque extérieure d’Algérie (BEA)

Le tableau ci-dessous montre en effet qu’au lendemain de l’indépendance, l’apport de la Banque Centrale d’Algérie à la masse monétaire au sens de M2, était en progression permanente jusqu'à 1966, avec des pourcentages allant à hauteur de 54%. Cependant, avec la création des banques (BNA, CPA, BEA), l’intervention de la BCA diminuait pour ne représenter que 20 à 22% entre 1968 et 1969.

Tableau 2.10. Evolution BCA 1963-1969 (en millions de DA)
1963 1964 1965 1966 1967 1968 1969
Financement BCA
Dont :
- Trésor (net)
- Economie
1 517670
847
2 2601 070
1 190
2 8501 320
1 530
2  2901 170
1 120
1 850970
880
2 0101 250
760
2 7101630
1 080
M2 4 000 4 770 5 290 5 780 7 500 10 150 10 120
Financement
BCA/M2 (%)
38% 47% 54% 40% 25% 20% 22%

Source. A. NAAS, Le Système bancaire algérien : de la décolonisation à l’économie de marché, éd Maisonneuve et la Rose 2003, p.56.

L’appréciation du degré d’autonomie de la BCA quant à la formulation et la conduite de la politique monétaire peut se faire à travers la manière avec laquelle sont constitués les organes dirigeants ainsi que leurs prérogatives.

D’après la loi 62-144 : « La BCA est constituée sous forme d’établissement public national doté de la personnalité civile et de l’autonomie financière. De ce fait, l’Etat délègue à la Banque Centrale un de ses droits régaliens celui de battre monnaie. Par cette délégation, l’Etat oblige la BCA, d’une part, à donner au gouvernement les moyens de contrôle requis pour les opérations d’émission de monnaie, et d’autre part, à assurer à la direction de la Banque la stabilité et l’indépendance indispensable à l’exercice objectif de sa mission, tout en organisant une liaison permanente et, une collaboration active entre les pouvoirs publics et l’institut d’émission ».

A la lecture de loi précitée, il en ressort plusieurs ambiguïtés quant au degré d’autonomie de la BCA. Nous remarquons en effet que la direction de la Banqueest assurée par un Gouverneur assisté d’un Directeur Général, tous deux nommés par décret du Chef de l’Etat, mais sans fixation de durée pour l’exercice de leursprérogatives.De ce fait, le respect du principe de stabilité de la direction n’était pas assuré, bien que dans la réalité le premier Gouverneur de la BCA a enregistré un record historique de longévité avec 18 ans de service. Aussi, l’alinéa 2 de l’article 36 préconise que  la BCA « est chargée de régler la circulation monétaire, de diriger et de contrôler par tous les moyens appropriés la distribution du crédit, dans le cadre de la politique définie par les pouvoirs publics ». En d’autres termes, cet article montre que la BCA ne pouvait décider seule de la conduite de sa politique monétaire. Néanmoins, elle joua un rôle important car ses statuts tracent encore des limites institutionnelles à l’émission monétaire.

A titre d’exemple, l’article 53 limite en volumes et en durées les crédits que peut accorder la BCA au Trésor Public. En effet, selon cet article,  le montant maximum admis ne devait pas dépasser 5% des recettes ordinaires de l’Etat constatées au cours du précédent exercice budgétaire. Tandis que la durée totale ne devait pas dépasser 240 jours consécutifs ou non et ce, au cours d’une année de calendrier. Cette disposition a été de mise jusqu'à la promulgation de la loi de finance complémentaire de 196589. Autrement dit, jusqu’à l’avènement de la loi complémentaire de 1965, le degré d’indépendance de la BCA face à l’exécutif était relativement de rigueur, au moins parce que le Trésor n’accédait pas « sans limites » aux avances de la banque centrale.

Notes
86.

Loi n° 62-144 du 13 Décembre 1962.

87.

Loi n ° 64-11 du 10 avril 1964 instituant l’unité monétaire nationale

88.

Ce qui est tout à fait normal compte tenu de l’inexistence d’un réseau bancaire national

89.

Loi des finances complémentaire n°65-93 du 08/04/1965.