1.1 Déficit des entreprises publiques et graves déséquilibres agro-alimentaires

Ce qui est frappant dans l’économie algérienne c’est cette incapacité des entreprises publiques à assurer la reproduction de leurs propres capitaux. Et ce, malgré leurs dotations initiales par l’Etat de fonds propres, et malgré la prise en charge par ce dernier de tous les frais relatifs aux investissements. Plus grave encore, malgré l’assainissement répétitif de leurs dettes, les entreprises publiques algériennes, à quelques exceptions près, affichaient un déficit important et permanent. Comparé, au volume des investissements consentis par l’Etat, ce déficit ne peut s’expliquer uniquement par les outils conceptuels de la théorie économique. Par conséquent, son analyse nécessite la prise en compte de l’environnement sociopolitique dans lequel évoluaient ces entreprises. Dit autrement, les entreprises algériennes baignaient dans un environnement institutionnel hostile, du point de vue strictement économique, aux conditions minimales de rentabilité. Nous y reviendrons tout au long des développements qui suivent.

Les investissements étatiques réalisés entre 1967 et 1978 s’élevaient à 300 milliards de DA (valeur de 1978), et dont la moitié étaient en devises. Cette somme colossale n’a donné naissance, pour la même période, qu’à une production additionnelle de 46,5 milliards de DA, soit 15,5 % seulement de l’investissement global. Excepté le secteur des hydrocarbures, le déficit du secteur industriel est passé de 408 millions de DA en 1973 à 1880 millions de DA en 197892.

Par ailleurs, le taux de croissance annuel moyen de la production agricole n’était que de 2,4 % entre 1967 et 1978. Il était largement inférieur à celui de la croissance démographique évaluée à 3,2 %. Rapportée au PIB, la part de l’agriculture ne représentait que 8 % en 1978 après avoir été de 13 % en 1967. Ce déséquilibre entre la production agricole et la croissance de la population s’était traduit par une dépendance alimentaire accrue : entre 1975 et 1979, l’Algérie importait l’équivalent de 61% de sa consommation en céréales, le poste le plus important de ses importations alimentaires. Ces dernières, représentaient une moyenne annuelle de 20% du total des importations. Le taux de couverture des échanges alimentaires qui était de 50 % à la fin des années 1960, chuta brutalement pour n’être que de 0,6 % au milieu des années 198093.

Le cumul de la dette des entreprises étatiques (tous secteurs confondus) atteignait, au 31 décembre 1978, un montant de 179 milliards de DA. Une somme qui représentait le double de la valeur du PIB qui atteint 86,8 milliards de DA la même année. La part la plus importante de cette dette était irrécouvrable. Selon les calculs fournis par A. Brahimi, les entreprises publiques algériennes n’ont pu rembourser, jusqu'en 1978, que 4,8 % de la dette initiale de 198 milliards de Dinars. Ironisant sur cette situation, l’ancien Premier Ministre algérien des années 1980 (A. Brahimi) déclarait qu’il «  faudrait aux entreprises nationales, près de deux siècles pour apurer cette dette en supposant qu’elles aient cessé d’emprunter dès 1978, ce qui est évidemment inimaginable » 94 . Effectivement, les entreprises publiques n’ont seulement pas cessé d’emprunter mais leur déficit n’a pas cessé aussi de s’aggraver.

Ce déficit, en progression permanente du secteur public algérien, résultait en grande partie de la baisse continue de la productivité du travail. Selon A. Djennane, la productivité du travail industriel en Algérie a connue, en termes financiers, une baisse de 18% entre 1973 et 1978. Dans le secteur du BTP, cette baisse a été de 50 %. Cette faible productivité peut être illustrée au niveau de l’ensemble de l’économie par la faible absorption de crédit alloué aux différents secteurs, et surtout par la sous-utilisation des capacités de production. Le taux de consommation des crédits alloués à l’économie n’a pas dépassé les 50 %, entre 1974 et 1978. Ils se sont élevés à 210 milliards de Dinars, soit l’équivalent de quatre années de planification au rythme de 1978 pour l’ensemble de l’économie. Les Restes A Réaliser (R.A.R) représentaient 51 % des crédits alloués à l’industrie, 47,7 % pour les Hydrocarbures, 70,2 % pour les industries de transformation et 47,8 % pour les mines et énergie. Quant au taux d’utilisation des capacités de production, il ne dépassait pas, pour certaines branches industrielles, 22 % en 197895. Ces déficits importants et généralisés à l’ensemble des secteurs d’activités se sont traduits par une dépendance accrue de l’économie nationale de la rente pétrolière et du marché international pour ses approvisionnements.

Notes
92.

Chiffres extrait de l’ouvrage de L. Addi (1990), L’Impasse du populisme, Op. cit. pp.189-189. L’auteur précise qu’il les a tirés du bilan économique et social, Ministère de la planification et de l’aménagement du territoire (M.P.AT), 1980.

93.

Les statistiques contenues dans ce paragraphe sont extraites de l’ouvrage de A. Dahmani, l’Algérie à l’épreuve… Op.cit. pp. 43-47.

94.

A.Brahimi, L’Economie algérienne, OPU, Alger 1991 .p. 175.

95.

AM. Djanane. Séminaire de Magistère, Réformes économiques et développement en Algérie, Université de Bejaia, avril 1999. P .4. Document élaboré par l’auteur à partir de sa thèse de doctorat intitulée Réformes économiques et secteur agricole en Algérie, Université F. Abbas, Sétif 1997.