1.3 L’expansion monétaire et inflation

Face aux déséquilibres structurels dont souffrait l’économie entière, l’Etat algérien a eu recours à la création monétaire grâce au pouvoir que lui procuraient la rente pétrolière et la remise en cause de l’indépendance de la BCA. Le résultat en fut une inflation qui a accentué les inégalités sociales, érodant le pouvoir d’achat des couches sociales à revenus fixes et enrichissant le secteur privé spéculateur.

Nous avons déjà souligné, dans le chapitre précédent, que le choix étatique de la planification centralisée comme système d’organisation, de gestion et de développement consacrait la primauté du Plan. Ainsi, la Banque Centrale a vu ses missions classiques tomber en désuétude. Désormais, les missions qui lui étaient assignées se sont restreintes à accorder systématiquement des avances au Trésor et à contrôler administrativement la conformité des paiements aux prévisions du plan.

La conséquence de cette situation fut l’accroissement important de la masse monétaire par rapport au PIB, avec tout ce que cela génère en termes de facteurs déclencheurs d’inflation. Les tableaux suivants montrent que la situation monétaire durant la période objet d’étude se résume dans sa globalité en un accroissement de la masse monétaire à des fins de financement de déficit budgétaire sans cesse grandissant. La politique monétaire durant les années 1970 (et même après) n’était qu’une simple ouverture des « vannes monétaires » au profit du Trésor et au détriment de l’économie réelle, car celle-ci s’en est trouvée affectée par une inflation galopante -souvent tue par les statistiques officielles.

Ainsi, en termes d’avances de la Banques Centrale au Trésor, nous remarquons que les concours de la Banque Centrale (au Trésor) ont connus une progression permanente comme l’illustre les chiffres du Tableau 3.1. Elles sont passées de 3,32 millions de DA en 1970 à 14,3 millions de DA en 1979. Ceci s’explique aussi bien par la levée de limites institutionnelles concernant le financement du déficit de trésor que par le déficit permanent des entreprises publiques. Ces dernières obligeaient le système bancaire à leur consentir des crédits et, de ce fait, devenaient en quelques années une des sources principales de la création monétaire. Elles s’arrogeaient indirectement un pouvoir monétaire qui, dans une économie régulée par le marché leur aurait été refusé car, contraire à la rationalité économique.

La raison en est, qu’au-delà du fait qu’elles consommaient des richesses qu’elles ne produisaient pas, les entreprises publiques déficitaires créaient de l’inflation et faisaient perdre à la monnaie l’une de ses fonctions principales qui est celle de réserve de la valeur.

Tableau 3.1 Financement de la banque Centrale (En millions de DA).

Source. Construit à partir des données extraites de A. NAAS, Le Système bancaire algérien …Op.cit.p.103.

C’est pourquoi la monnaie, dans une économie distributive dont le fonctionnement s’adosse à une source d’origine externe (la rente), se réduit à sa fonction d’unité de compte et uniquement. L’examen du taux de liquidité de l’économie algérienne confirme largement ce constat.

Le taux de liquidité est le rapprochement entre la masse monétaire et le PIB. Plus précisément, est le rapport entre l’agrégat M2 et le PIB; il est représentatif de la relation entre la quantité de monnaie et la production. Le tableau ci-dessous retrace l’évolution du taux de liquidité dans l’économie durant les années 1970.

Tableau 3.2 Taux de liquidité de l’économie (en %)  1970-1979.

Source. A. NAAS, Le Système bancaire algérien … Op.cit.p. 86.

Durant toute la période couverte par la planification, le taux de liquidité a été supérieur à 50 %, ce qui indique le caractère inflationniste du financement de l’économie algérienne. Aussi, l’évolution de la masse monétaire a été supérieure à l’évolution du PIB durant la période considérée. Sauf pour les années 1974 et 1979 correspondant chacune aux chocs pétroliers, et donc à l’augmentation des recettes des hydrocarbures de l’Algérie. Cet écart entre l’évolution de la masse monétaire et celle du PIB indique que l’économie algérienne n’était pas créatrice de richesse; elle était uniquement distributive de la rente qui représentait un transfert de travail effectué ailleurs.

En outre, l’analyse des contreparties de la masse monétaire permet d’identifier la source principale de la création monétaire. Le tableau suivant met en relief la part de chaque contrepartie, durant la phase couverte par la gestion planifiée de l’économie.

Tableau 3.3 Source de la création monétaire 1970-1979 (en %).
Périodes Avoirs extérieurs Créances de l’Etat Crédit à l’économie Total
1970-1973 +18 +10 +72 100
1974-1977 +12 +24 +64 100
1978-1979 +9 +35 +56 100

Source : A. Naas, Le Système bancaire algérien… Op.cit.p.90.

Les statistiques montrent que la création monétaire provenant des crédits à l’économie était en baisse, passant de 72% pendant la période qui va de 1970 à 1973, à 56% de 1978 à 1979. A contrario, les créances à l’Etat ont plus que triplé, passant de 10% de 1970 à 1973, à 37% de 1978 à 1979. Cette évolution est pour ainsi dire paradoxale si l’on tient compte du fait que le pays a déjà mis en œuvre trois plans de développement. Quant aux avoirs extérieurs, ils représentaient une faible part dans ces contreparties, comme le montre les chiffres (18% de 1970 à 1973 et 9% en 1979), ce qui signifie que les avoirs ne représentaient plus une source de création mais de destruction monétaire en raison de la baisse des réserves de change.

Cette expansion de la masse monétaire sans contrepartie productive en biens et services (voir les résultats présentés en haut) s’est traduite par un taux d’inflation en progression permanente. Celui-ci a connu une augmentation fulgurante de 105,7% entre 1974 et 1978 contre une hausse de 23% en huit ans (1967 /1974). Cependant, il y a lieu de souligner que, selon les statistiques officielles, le taux d’inflation pour la période reste modéré ; il n’a été que de 10,4% pour la période allant de 1967à 1977. Par contre, une remarque sur la fiabilité des chiffres de l'inflation avancés officiellement s’impose. A ce propos, certains analystes estiment que les méthodes de construction de statistiques en Algérie sont viciées dans le sens où elles ne reflètent que l’évolution de la sphère administrée. Ainsi, L. Addi souligne : «  La méthodologie des statistiques de construction de l’indice des prix ne retient que le système de prix officiel, c’est-à-dire qu’elle ignore les prix pratiqués sur les marchés parallèles ainsi que les tensions et les autres privations » ,avant d’ajouter que : « pour correspondre à quelque réalité, le taux d’inflation devrait être calculé sur deux espaces, l’un officiel, l’autre non officiel » 98 .  

En effet, les contradictions du volontarisme comme pratique économique de développement, et l’économie rentière et distributive à laquelle il a donné naissance ont provoqué l’émergence et l’expansion d’une économie parallèle dont les effets ont touché tous les aspects de la vie quotidienne de la population. L’importance de la sphère d’influence du marché informel en Algérie éloigne donc les données officielles de la réalité. Les pages qui suivent le montre amplement.

Notes
98.

L. Addi, L’Impasse du populisme… Op.cit. pp. 190.192.