Cette brève présentation des résultats de la S.A.D, ne doit pas à l’évidence négliger l’aspect social. Il est peut-être l’indice le plus significatif, dans le sens où le développement social était le principal argument avancé pour justifier l’ensemble des actions économiques menées durant les années 1960 et 1970. Cet argument est en effet présent dans les discours et textes officiels, comme dans la Constitution de 1976 qui stipulait dans l’article 33 que « l’Etat est responsable des conditions d’existence de chaque citoyen. Il assure la satisfaction de ses besoins matériels et moraux, en particulier ses exigences de dignité et de sécurité. Il a pour objectif de libérer le citoyen de l’exploitation, du chômage, de la maladie et de l’ignorance ».
Les avis sur l’apport social de la S.A.D en termes de bien-être de la population sont partagés. Pour certains, l’Etat a réussi en l’espace de quelques années son pari de changer radicalement les conditions de vie de la population, notamment si l’on se réfère à la période coloniale. Pour d’autres, cette amélioration reste relative et surtout loin des objectifs proclamés. Pourtant, les statistiques relatives au bilan social de la S.A.D permettent des conclusions ne souffrant d’aucune ambiguïté.
Si en termes de création d’emploi et de distribution de revenus l’amélioration est certaine, les questions de logement, de santé et d’éducation restaient problématiques à la fin des années 1970. Entre 1967 et 1978, les investissements publics importants, notamment dans l’industrie, ont permis la création de 1 100 000 emplois ramenant le taux de chômage de 25 % à 19 %99. La répartition sectorielle de ces emplois montre une tendance en défaveur de l’agriculture, étant donné que la part de l’emploi agricole a connu une diminution allant de 50% à 30 %. Cependant, certains auteurs, à l’instar de A. Dahmani qui souligne que « l’emploi global créé est précaire, celui de l’industrie est faible en comparaison avec celui de l’administration, les services et le BTP ». La nature des industries implantées- utilisatrices de techniques sophistiquées et peu créatrices d’emplois- explique une partie de ce phénomène mais pas uniquement. Selon le même auteur, la multiplication des emplois dans le tertiaire « indique une évolution caractéristique d’une économie redistributive » 100. L’évolution de l’économie algérienne confirme largement ce constat.
Cette création massive d’emplois s’est accompagnée d’une augmentation sensible de revenus salariaux. Ces derniers sont passés de 5,8 milliards DA en 1967 à 33,4 milliards en 1978. En revanche, il est à noter que cet accroissement formidable des revenus n’est pas synonyme d’augmentation du pouvoir d’achat qui lui est resté faible malgré le soutien actif de l’Etat aux prix des produits alimentaires. La part des revenus consacrée à la consommation en est un indice ; celle-ci est passée de 72% en 1967 à 87% en 1978101. Ajoutons à cela les multiples privations résultant des phénomènes de pénuries et des multiplications des prix sur le marché informel qui a connu une évolution spectaculaire.
Sur un autre plan, les objectifs tracés en termes de logements n’ont pas été atteints. Sur 2 53 572 logements urbains prévus pour la période allant de1967 à 1978 seuls 50 334 ont été effectivement livrés, soit 19,8 %. Selon certaines statistiques102, il aurait fallu construire 600 000 à 700 000 logements uniquement pour maintenir la situation de 1966. Le résultat était un taux d’occupation de logement en progression permanente, 7.1 par logement en 1977 contre 6.1 en 1966.
Cette situation d’écart entre les besoins et les réalisations caractérise aussi le secteur de la santé. Ce dernier n’a, en effet, bénéficié durant le premier plan quadriennal (1970-1973) que de 1,8 % du total des investissements ; soit 648,2 millions de DA pour la santé sur 36,7 milliards de DA investis. Pire : durant le second plan quadriennal (1974-1977), la somme allouée à la santé publique est tombée à 512,4 millions de DA pour ne représenter finalement que 0.4% du total d’investissement. La conséquence était une faible couverture sanitaire de la population. Entre 1966 et 1977, on assistait même à une baisse du nombre de lits par habitant, passant de 1/300 à 1/390.
Les conséquences de ces déséquilibres furent un accroissement du mécontentement social, exprimé essentiellement par le monde de travail à travers les grèves. Le nombre de ces dernières a connu une évolution spectaculaire. Selon S. Chikhi, entre 1969 et 1980, le nombre de grèves est passé de 72 à 922, soit une progression de 1300 %.103
A. Dahmani, L’Algérie à l’épreuve…Op.cit. p. 50. Il préfère parler de taux apparent du chômage car pour lui la portée des statistiques officielles est limitée car négligeant plusieurs paramètres, à ce propos il souligne : « il y a lieu d’apporter une précision importante : dans les statistiques officielles, les femmes ne sont pas intégrées à la population active, elles sont comptabilisées dans ceux de la population occupée. Ce qui atténue sérieusement la portée des statistiques concernant la croissance de l’emploi et pose par là même, au-delà du fait économique, un véritable problème de société dans l’Algérie des années 1980-1990 »
A.Dahmani, l’Algérie à l’épreuve... Op.cit. p. 51.
Idem .p. 46.
Bilan économique et social, M.P.A.T 1980. p. 181.
S. Chikhi, « Grèves et société en Algérie, 1969-1985 », Revue du CREAD, n°6, Alger 1986.