Vers la fin des années 1970, l’échec du projet, dit de modernisation et d’industrialisation du pays, en œuvre depuis la deuxième moitié des années 1960, ne faisait plus d’illusions, y compris au sommet de l’Etat. Le « développement artificiel », entretenu durant une quinzaine d’années par l’émission monétaire, permise par la rente pétrolière, a fini par dévoiler ses véritables résultats. Ces derniers étaient particulièrement perceptibles au niveau du déficit du secteur public sur lequel reposaient tous les espoirs du volontarisme économique des années 1970. Les contradictions de l’économie administrée avaient exercé pleinement leurs effets (voir chapitre 3) : déficits financiers133, dépendance alimentaire, inflation, pénuries, développement du marché parallèle, corruption et mécontentement social grandissant.
Conséquences, l’unanimisme affiché autour de la stratégie de développement initiée par H. Boumediene s'était fissuré et la nouvelle équipe dirigeante proposa de réaménager le système économique en place134. Autrement dit, le constat d’échec était clair et le régime politique était arrivé à la conclusion d’un nécessaire changement de « la philosophie » de développement. A cet effet, la nouvelle équipe dirigeante, sous la direction du Président Chadli lança une politique de réformes économiques, la première dans l’histoire de l’Algérie indépendante.
Les nouvelles orientations économiques furent formulées à partir des résolutions du congrès extraordinaire du parti unique en juin 1980. Le plan quinquennal 1980-1984 a été présenté comme porteur des corrections indispensables à l’expérience antérieure du développement. H. Benissad, en analysant les nouvelles orientations de la politique économique de l’Etat de ce début des années 1980, telles que décrites dans les « perspectives décennales », révèle que, dès 1979, le planificateur « opte implicitement pour un modèle de croissance « balancée » du type de celui conçu dans les années 1950 par A. Lewis, R.N Rosenstein-Rodan etc, à l’intention de pays à marché domestique étroit »135
Unmodèle qui suggère des investissements faiblement capitalistiques dans le secteur des industries légères et des infrastructures économiques et sociales, afin de susciter des économies externes au capital productif. Selon l’auteur, cette démarche est viciée dès le départ car les conditions de mise en place du modèle n’étaient pas réunies en Algérie.
Tout en partageant le point de vue de l’auteur quant à la différence entre la situation de l’Algérie des années 1980 et celle des pays tels que Les Caraïbes, le Ghana ou la Jamaïque qui ont inspirés les hypothèses du modèle de la croissance « balancée »136,nous pensons que la nouvelle équipe dirigeante ne s’adossait à aucune problématique précise. Elle avait plutôt un objectif pratique : faire en sorte de réduire le poids politique de l’équipe des « industrialistes », consolider l’autorité du nouveau régime sans s’enliser dans la gestion de l’ancienne stratégie dont les résultats étaient contraires aux objectifs qu'il avait défini. Sur ce point la thèse de A. El-Kenz nous semble plus réaliste lorsqu’il affirme : « La nouvelle alliance est bien incapable de continuer le processus de développement enclenché dans les années soixante. Un processus complexe, ingrat, épuisant et qui de surcroît risquait à terme de remettre en cause son propre pouvoir face à la montée de nouvelles catégories sociales (travailleurs d’usines, étudiants, ouvriers agricoles, femmes, etc). À l’abri des réserves de change importantes, elle choisit la voie qui est sur le moment la plus facile, la consommation... »137
En revanche notre convergence avec l’auteur s’arrête là, car insinuer -comme il le fait souvent- que à l’époque la solution résidait dans la poursuite de l’ancienne stratégie relève à notre avis de l’irréalisme. Aussi, la posture consistant à « responsabiliser » la nouvelle équipe dirigeante de tous les maux de l’économie algérienne est à notre avis à inscrire plus dans le registre de la subjectivité de ses auteurs que de l’analyse objective des faits historiques. Les phénomènes de corruption et de la rente ne sont pas nés à partir des années 1980 (voir chapitre 3). Ils sont le produit d’un système bâti sur des conceptions idéologiques et des pratiques économiques contraires aux lois objectives commandant l’enclenchement des dynamiques d’accumulation. Ce système a été mis en place dans les années 1960 et 1970, s’est poursuivi dans les années 1980, et survit encore de nos jours.
Seront traités au long de la présente section, le contenu des réformes entreprises en ce début des années 1980 et leurs principaux résultats, sans oublier à évidemment d’introduire, à chaque fois que la nécessité se fait sentir, le contexte politique et socio- économique prévalant durant cette période.
En effet, mis à part le secteur des hydrocarbures, le déficit d’exploitation du secteur industriel est passé -pour ne prendre que ce paramètre- de 408 millions de DA en 1973 à 1880 millions de DA en 1978. Au niveau de l’économie, la dette du secteur public s’élevait à 199 milliards de DA au 31/12/1978 !
En réalité cet unanimisme n’était que de façade. Pour preuve : l’équipe du plan avait pris ses distances plusieurs années avant la mort de Boumediene avec la « folie industrialiste » qui s’était emparée des dirigeants algériens. Mais l’absence de démocratie avait empêché toute expression contraire à la ligne de conduite officielle.
H. Benissad, Restructuration et réformes économiques (1979-1993), OPU, Alger 1994. pp. 9-11.
Absence du dualisme, différence du revenus par tête, une structure économiques déséquilibrée au profit de l’industrie pour ce qui de l’Algérie…
A. EL Kenz, « Les Enjeux d’une crise », in l’Algérie incertaine, ouvrage collectif,Edisud, 1994. p. 24