3. La nouvelle vague de reformes

Les trois dernières années de la décennie 1980 ont été intimement associées, dans l’histoire de l’Algérie, à deux événements majeurs. Le premier fut l’adoption et la mise en œuvre d’une nouvelle génération de réformes économiques qui se manifestaient par la promulgation d’une batterie de lois visant la séparation entre les missions de l’Administration centrale de l’Etat et les fonctions économiques du secteur productif. Le second fut relatif aux événements d’Octobre1988. Ces derniers marquèrent en effet la fin du monolithisme politique et économique ouvrant la voie au lancement d’une double transition vers la démocratie et l’économie de marché. La période qui a suivi cette expérience fut porteuse de plusieurs événements et rebondissements.

Dans les développements qui suivent, nous accordons une attention particulière aux réformes initiées à la fin des années 1980. Cet intérêt est motivé par au moins deux raisons. La première est que ces réformes ont eu lieu dans un moment de grande confusion, ce qui explique qu’elles soient peu, sinon; mal analysées. La seconde a trait à leur importance, car elles constituent le prélude à la plus importante tentative de transition qu’a connue l’Algérie indépendante.

A l’évidence, nous n’allons pas négliger les causes et les effets des événements d’octobre 1988. Ces derniers restent à jamais, dans l’histoire de l’Algérie indépendante, un symbole de rupture avec l’organisation politico-administrative en œuvre depuis l’indépendance du pays en 1962. Au plan économique, c’est grâce à la décantation générée par les événements d’octobre que la réflexion théorique des réformateurs trouva enfin un terrain favorable d’application.

Avant d’entamer l’analyse de ce nouveau processus réformiste, quelques remarques sur ce que l’on appelle l’équipe des réformateurs s’imposent. L’arsenal juridique adopté en 1988 - qui s'est poursuivi jusqu'en 1991- était l’œuvre d’une équipe de réflexion composée de personnalités d’horizons divers. Installée par la Présidence, l’équipe des réformes était d’abord constituée d’un cercle restreint composée de quelques anciens de l’administration du Plan comme Hidouci, Boulekhla, des membres issus du Secrétariat Général du gouvernement, à l’instar de M. Hamrouche et de quelques responsables économiques.

Elle s'est renforcée par la suite par de nombreux cadres dirigeants du secteur public économique : banquiers, cadres d’entreprises, magistrats, notaires, syndicalistes, etc. Cette équipe, sans aucune fonction officielle, s'est érigée en cellule de réflexion économique indépendante du gouvernement, notamment après la nomination de M. Hamrouche comme Secrétaire-général de la Présidence.

L’équipe des réformateurs a travaillé dans l’ombre pendant plus de deux ans et produit un projet de réformes structurelles couvrant l’ensemble des domaines économiques et sociaux. De la réorganisation des rapports entre l’Etat et l’appareil productif industriel et agricole à la réforme du système des prix et des revenus en passant par les domaines monétaire et financier : c'était un véritable programme de transition de l’économie centralement planifiée vers une économie régulée par le marché. Mais vu les conditions politiques de l’époque, leur projet restera marqué par une grande discrétion. Il ne fut dévoilé dans toutes ses facettes qu’à partir de 1989, après la publication complète des cinq cahiers de la réforme. Cette série de documents fondamentale pour comprendre la démarche des réformateurs, et qui est notre principale référence dans les analyses qui vont suivre, n’a curieusement pas bénéficié de l’intérêt des chercheurs et des journalistes comme le souligne fort bien G. Corm166.

Notes
166.

Georges Corm, « La Réforme économique Algérienne : une réforme mal aimée ? », in Monde Arabe Maghreb Machrek, n°139, fev-mars 1993.pp 9-27.