1.2.2 Le principe de la séparation des pouvoirs et du multipartisme : une première en Algérie

Comparée aux différents textes qui ont jalonné la vie politique algérienne depuis l’indépendance, la Constitution de février 1989 est « révolutionnaire »205. Elle a remis radicalement en cause le socle politico-juridique sur lequel était édifié l’Etat algérien jusque-là. La Constitution de 1989 a reconnu formellement le principe de la séparation des pouvoirs, le multipartisme et a substitué le caractère socialiste de l’Etat par la reconnaissance constitutionnelle du droit à la propriété privée. Une seule continuité : le maintien de l’Islam comme religion d’Etat. Cette non-sécularisation par voie institutionnelle de la religion va avoir de graves conséquences pour l’avenir proche du pays. Nous y reviendrons plus loin.

La promulgation de la nouvelle Constitution a été un moment de soulagement et d’espoir pour la population. Cependant sa mise en œuvre « ambigüe » a donné lieu à de multiples dérives. Nous en citerons deux à titre d’exemple :

Premièrement, malgré la nouvelle législation, le FLN s'est maintenu au pouvoir. L’Assemblée nationale et l’ensemble des institutions de l’Etat ont été maintenus entre les mains de ses militants. Il a d'ailleurs bénéficié d’un traitement de faveur grâce à un texte de loi lui épargnant la demande d’un agrément206. Certains, ont pu justifier cet état de fait par le nécessaire gradualisme dans la conduite de la transition. Mais cette suggestion pèche par sa sous-estimation du rejet populaire de tout ce qui représentait le parti unique207.

Conséquences : le maintien de l’Assemblée et la réélection de Chadli pour un troisième mandat en décembre 1988 va jeter un discrédit total sur tout le processus de transition, d’autant plus que le débat sur la torture, ouvert par les Organisations des Droits de l’Homme, des intellectuels et certains journalistes, a été superbement ignoré par la justice. Aucun procès, aucun débat sur le passé. Pour la société rien n’a changé au fond : la transition était amorcée avec le même personnel politique, les mêmes institutions… Ceci explique en grande partie le manque d’adhésion populaire aux réformes économiques et politiques, qui furent lancées en ce début de la décennie 1990. Il aurait fallu instaurer un gouvernement et des institutions de transition. Cela a été ignoré. Le gouvernement réformateur de M. Hamrouche, et le Président Ch. Bendjedid plus tard, ont chèrement payé cette erreur.

Deuxièmement et dans le même sens, laisser au seul ministère de l’Intérieur et aux services de sécurité la prérogative d’attribuer l’agrément aux nouveaux partis, était faire preuve d'un manque de vigilance. Il aurait fallu instaurer une instance neutre, notamment lorsque l’on sait que le Premier ministre a été  imposer  et que son ministre de l’Intérieur a eu un parcours sulfureux208.

En effet, l’agrément des partis politiques a connu, au moins, deux irrégularités qui en disent long sur la suite des évènements : un parti qui a organise ses assises constitutives avant même l’adoption de la Constitution et un autre parti qui fut agréé malgré son illégalité. En effet, le RCD (Rassemblement pour la Culture et la Démocratie) organisa ses assises publiques le 2 février 1989 et se constitua comme parti, alors que la Constitution ne fut adoptée que le 23 du mois. Et le FIS (Front Islamique du Salut)209 qui se revendiquait clairement comme parti religieux, obtint son agrément malgré l’interdiction sans équivoque par un texte de loi des partis à caractère religieux ou identitaires.

En résumé, le règne de K. Merbah a été synonyme, dans l’histoire algérienne de plusieurs contradictions : étatiste mais chargé de gérer des réformes libérales, ancien militaire et positionné contre toute ouverture du champ politique, il s'est vu confier l’application d’une Constitution « démocratique ». Il comptait exercer pleinement ses prérogatives, mais il se trouvait doublé par l’équipe des réformateurs soutenue par le Président… Le résultat en a été un blocage des réformes économiques, une dégradation accélérée des conditions sociales de la population et un champ politique éclaté entre 60 partis qui, faute d’élections, se voyaient tous en droit de diriger le pays. C’est dire, la complexité de la situation qu'a dû gérer le gouvernement réformateur de M. Hamrouche. Alors, comment envisagea-t-il la sortie de crise ?

Notes
205.

La constitution du 10/09/63, celle du 19/11/1976, les différentes chartes nationales (1964,1676, 1986).

206.

L’article 42 de la loi sur les associations politiques stipule en effet, que «  les dispositions de la présente loi en matière de déclaration à titre initial ne sont pas applicables au FLN du fait de son existence historique et légale ».

207.

Inique disent les algériens.

208.

Le ministre en question est A. Belkaid, proche du FFS dans les années1960, il rejoigna le régime de Boumediene par la suite, occupe plusieurs postes importants de responsabilité, il sera l’un des farouches partisans de l’arrêt du processus électoral de 1992 et opposant à tout dialogue politique sur la sortie de crise. Il a été assassiné à Alger en 1995.

209.

Contrairement à ce qu’affirment certains écrits le FIS a obtenu son agrément au temps où A. Belkaid est ministre de l’intérieur, précisément, le 25 aout 1989 bien avant l’arrivée du gouvernement de M. Hamrouche.