1.2.3 Le Gouvernement réformateur de Mouloud Hamrouche : composition et démarche globale de la sortie de crise

Le Chef de gouvernement, M. Hamrouche, innova d’abord dans le choix de son équipe : il supprima plusieurs postes ministériels et fit appel aux nouvelles compétences, essentiellement de la nouvelle génération. Ce fut peut être sa manière à lui de marquer la différence avec ses prédécesseurs, et d’exprimer sa volonté de rompre avec l’ancien système.

D’abord, il supprima trois ministères importants et surtout sensibles : celui des Moudjahidines (anciens combattants), de la Culture et celui de la Communication. La suppression de ces postes obéissait, selon les réformateurs, à une motivation purement politique : il fallait rompre avec l’ancienne tradition du parti unique consistant à manipuler les anciens combattants, la culture et le contrôle de l’information dans une perspective hégémonique.

En effet depuis 1962, les anciens combattants de la guerre d’indépendance et les fils de martyrs ont toujours été utilisés comme vitrine pour justifier la monopolisation du pouvoir au nom de la légitimité historique. Idem pour ce qui est de la culture qui a été instrumentalisée par l’ancien régime pour renforcer son emprise idéologique sur la société. Parti unique, langue unique, culture officielle unique, religion unique …Quant à l’information, il est admis que dans les systèmes à parti unique l’information est assimilée à la propagande officielle. En ce sens, les réformateurs voulaient, conformément à la nouvelle Constitution, libérer le champ d’expression de toute tutelle administrative. Plusieurs actions ont été menées pour la promotion de l’expression multiple, notamment concernant la presse écrite.

Par ailleurs, l'équipe de gouvernement a essentiellement été constituée par plusieurs personnalités n’ayant jamais exercés de responsabilités politiques importantes auparavant. Sur les vingt ministres du nouveau gouvernement, quatorze étaient de parfaits inconnus du grand public. Cette situation peut être interprétée d’une part, par la volonté de M. Hamrouche de prendre ses distances avec les anciens caciques du FLN, d’autre part, par sa intention de promouvoir la nouvelle génération de gestionnaires acquise aux nouvelles règles de jeu qui se voulaient en rupture avec l’étatisme et la gestion tutélaire (policière) de la vie publique. A ce propos F. Ghilès souligne ce fait hautement significatif : « l’un des gestes du nouveau Premier ministre est de supprimer les bureaux de prévention et de sécurité qui servaient à la SM d’antennes dans chaque administration et usines algériennes (…) ils seront rétablis par la suite » 210 .

S’agissant de son programme, le gouvernement Hamrouche se montra, dès ses premières déclarations publiques, fidèle aux analyses et recommandations de l’équipe de réformateurs contenues dans les cahiers de la réforme. Il affirmait sa détermination à poursuivre en approfondissant les réformes du secteur agricole entamées en 1987, et celles relatives aux entreprises publiques économiques de 1988. Mieux encore, avec la nouvelle Constitution qui n’est plus un frein devant l’instauration des normes de régulation par le marché, les réformateurs s’attaquèrent aux mécanismes monétaires et financiers sur lesquels était bâtie toute la logique de l’économie administrée.

La lecture du programme du gouvernement permet de déduire que l’équilibre des finances publiques, la lutte contre l’inflation par la monnaie et les prix, étaient des objectifs stratégiques à court et à moyen terme. En outre, il s’agissait, pour le gouvernement, d’approfondir le désengagement de l’Etat de la gestion directe du secteur économique, de « démonopoliser » le commerce extérieur et d’encourager la concurrence à tous les niveaux.

En termes d’échéances, le gouvernement se donna au moins trois années pour mener à terme son programme de transition. Toutefois il ne précisa ni l’ordre, ni les échéances des actions à mener durant cette période. A en croire le témoignage de son ministre de l’Economie, G. Hidouci, ce manque de précision concernant l’ordre, la nature et la cadence des réformes à mettre en œuvre était un choix stratégique. Le gouvernement aurait délibérément « caché » les détails de son programme pour éviter que les adversaires des réformes à l’assemblée, au FLN et au sein du Cabinet du Président, et leurs alliés dans la « société civile », ne fassent avorter ce programme avant terme211.

Par ailleurs, il transparait des documents et déclarations publiques des réformateurs que le gouvernement comptait, pour mettre en œuvre son programme, sur l’engagement et la participation des citoyens à travers les associations, les organisations socioprofessionnelles et les assemblées élues. La résolution du congrès du FLN (novembre 1988), liant étroitement les réformes économiques aux réformes politiques, se trouva être adoptée et reproduite d’une façon récurrente par le chef du gouvernement à plusieurs reprises lors de ses interventions publiques. Dans son programme présenté devant l’assemblée nationale on y lit : « le gouvernement est persuadé que le développement d’une stratégie de sortie digne et honorable de la crise, qui sauvegarde l’indépendance et la capacité économique du pays, ne peut se réaliser que dans un cadre institutionnel transparent, ouvert à la pression et au contrôle des citoyens organisés dans le cadre des associations, des organisations sociales et professionnelles et des assemblées élues à tous les niveaux » 212 .

Cet attachement à l’association des citoyens et des agents économiques à la mise en œuvre concrète des réformes était une option stratégique dans la démarche des réformateurs. Les exemples ne manquent pas pour constater ce fait. Lors de la mise en œuvre des mesures concernant la réorganisation du secteur agricole, en 1987, les réformateurs veillaient à la libre constitution des coopératives agricoles, à la levée de la tutelle du FLN sur les organisations socioprofessionnelles dès novembre 1988, et à la réorganisation des chambres de commerce et de l’industrie dans l’objectif d’intégrer les professionnels dans les organes de direction par voie électorale.

En résumé et pour les besoins de présentation allégée, nous pouvons exposer le programme des réformateurs autour de trois grands axes : l’approfondissement du processus d’autonomisation du champ économique de l’administration, la libération du pouvoir monétaire et financier de la tutelle gouvernementale, la dé-monopolisation du commerce extérieur, enfin l’encouragement du privé national et de l’investissement étranger.

Notes
210.

F. Ghilès, « l’Armée a-t-elle une politique économique », Op.cit. p. 90.

211.

Voir le témoignage de G. Hidouci, Algérie libération inachevée.Op.cit.

212.

Discours de M. Hamrouche. Document distribué à l’occasion de sa candidature aux élections présidentielles de 1999.