1.3 L’autonomisation du champ économique de l’administration

Nous avons souligné, au début du présent chapitre, que les réformes du secteur agricole et l’autonomie des entreprises publiques économiques initiées à la fin des années 1980, avaient connu un ralentissement durant le règne du gouvernement de K. Merbah. Par conséquent, les premières actions des réformateurs se sont naturellement orientées vers la redynamisation de ce processus réformiste déjà en chantier.

Ainsi, le gouvernement décida d’accélérer le passage à l’autonomie des entreprises publiques. La fin février 1990 fut fixée comme une échéance ultime pour achever le processus d’autonomisation de toutes les Entreprises Publiques Economiques, quelque soit leur situation financière213. Le crédit automatique fut définitivement banni et les Banques furent soumises, elles aussi, comme les EPE, aux règles de la commerce. Les nominations par les autorités centrales (ministères, présidences, chefferie de gouvernement…)- à travers les décrets- des responsables d’administrations économiques et des entreprises publiques furent abolies.

Par ailleurs, le gouvernement procéda à la redynamisation des fonds de participation installés, mais non opérationnels, durant toute la période de K. Merbah. Ils furent relancés, parfois même d’une manière brutale, comme le limogeage de plusieurs de leurs responsables et leur remplacement par des gestionnaires acquis à la nouvelle réforme214.

En outre, les réformateurs accélérèrent la mutation du secteur agricole, la supervision des équipes techniques -installées à cet effet- et les chambres d’agriculture qui furent désormais investies par les agriculteurs, par voie d’élections démocratiques. La mise sous l’autorité judicaire des polices économiques fut aussi instaurée : l’administration, auparavant tutelle du champ économique, n'avait désormais plus qu'une fonction d’accompagnement et de contrôle a postériori.

Concernant les relations de travail, le gouvernement œuvra pour la substitution de l’ancien rapport salarial - instauré par la Gestion Socialiste du Travail - par un autre fondé sur la base de contrat et de négociation entre les entreprises et les syndicats. En ce sens, des lois garantissant le droit de grève et du pluralisme syndical ont été promulguées marquant la fin de la représentation unique et « officielle » des travailleurs215.

De même pour l’aménagement des contrats de travail. Le gouvernement mit fin au principe du contrat unique garantissant l’emploi à vie quelque soit les résultats des entreprises. Les nouvelles dispositions concernant les relations de travail ont instauré le principe de contractualisation des relations employeurs/employés216. Désormais, c’est la négociation lors de l’établissement du contrat qui a définit le type de travail, les horaires d’exercice et la rémunération. Le contrat à durée déterminée fut introduit d’une manière effective pour la première fois en Algérie.

Parmi les mesures visant l’autonomisation du champ économique de la tutelle administrative, on peut ajouter la question de la libéralisation des prix. Ces derniers, étaient fixés administrativement jusqu'à la fin des années 1980. Dans le cadre de ce système, la majeure partie des produits bénéficiaient directement et indirectement de la subvention étatique ; des prix fixes bas, un taux de change artificiellement tiré vers le haut, un système de subvention à l’importation… Ce système de prix produisait une rigidité de l’offre locale tout en favorisant l’essor des importations. Il empêchait en effet les entreprises de se développer par la recherche des combinaisons rentables, car les prix n'étaient généralement pas rémunérateurs.

Au niveau de l’économie, le système de subvention de prix déconnectait  totalement le marché national du marché mondial, le tout étant couronné par les phénomènes de pénuries, du marché informel et d'inflation. Le système de fixation administrative des prix constituait un puissant frein devant l’émancipation du champ économique de la tutelle administrative.

Dans l’objectif de s’affranchir des contraintes de la fixation administrative des prix, le gouvernement réformateur instaura,  dès mars 1990, la libéralisation  partielle  des prix. Sur ce plan, le gouvernement a choisi le gradualisme, certainement en raison de la sensibilité du projet217. Le nouveau système de prix était constitué de deux régimes : un régime de prix administrés, lui-même constitué de plusieurs catégories selon les produits (prix garanties, prix plafonnés, prix à marge plafonnées...) et les prix libres. Mais, malgré son caractère partiel, la libéralisation des prix fut un pas en avant vers le renforcement de la régulation de la sphère d’échange par le marché qui réduisait la mainmise de l’administration centrale sur l’économie.

Par ailleurs, le projet d’éloignement de l’administration de la gestion directe ne concernait pas uniquement le secteur économique. Il s’est élargi pour toucher l’ensemble des secteurs publics ; tels que la santé, l’éducation, l’université et la sécurité sociale… Il n’est pas dans notre intention de présenter en détails les actions menées dans ces secteurs, mais à travers l’analyse du constat et des recommandations contenues dans les cahiers de la réforme, on peut déduire la constance et la cohérence de la vision et de la démarche réformatrice du gouvernement : celle de l’autonomisation des secteurs d’activité de l’hégémonie de l’administration centrale.

Le moyen adopté était le renforcement de la décentralisation et la réhabilitation du principe d’autonomie de gestion, ainsi que l’instauration du principe d’élection des membres des conseils d’administration… A titre d’exemple, le cahier 3 de la réforme souligne en ce qui concerne l’organisation des établissements hospitaliers que « l’organisation actuelle des structures de santé qui a généré une gestion bureaucratique doit laisser place à une organisation permettant l’expression de l’autonomie des établissements (…) l’établissement hospitalier est administré et géré par un conseil d’administration qui est le responsable ultime de l’ensemble de la gestion de l’établissement, de ses relations extérieures et de ses décisions stratégiques de gestion courante (…) la place des praticiens en tant qu’ acteurs principaux de l’établissement doit être prééminente » 218 .

La réforme allait encore plus loin en proposant la représentation dans les conseils d’administration des associations d’usagers, le cas échéant. On trouve la même idée de la nécessaire autonomisation des secteurs de l’administration centrale pratiquement dans toutes les démarches réformatrices du gouvernement.

Notes
213.

Celles qui présentent des difficultés structurelles (en nombre de 18) seront soumises, à l’instar des coopératives agricoles se trouvant dans le même état, à une expertise pour déterminer l’origine et les responsables de cette situation.

214.

A propos de cette affaire le ministre de l’économie G. Hidouci va faire une déclaration lourde de sens. Elle informe sur le climat délétère dans lequel  se déroulait la transition «  une trentaine de cadres ont bougé, dont une vingtaine placés à d’autres postes. J’ai l’impression que dans cette affaire, les hommes politiques du passé font croire qu’on a déstabilisé les cadres(…) en fait ce qui gêne les hommes politiques du système ancien, c’est qu’on a enlevé deux ou trois cadres stratégiques pour eux » in, Algérie actualité du 27/12 /90.

215.

Les lois 90-02 du 06/02 /90 et 90/14 du 02/06 /90 respectivement.

216.

La loi 90/11 du 21/04/90.

217.

L’ex- ministre réformateur du commerce S. Gouméziane explique cette démarche en ces termes « conscient du caractère extrêmement sensible de la question, du fait de son impact immédiat sur le pouvoir d’achat de la population, l’option retenue fut la mise en place d’un système favorisant un passage graduel du prix plafonné à des marges plafonnées, puis des prix libres , en fonction du rythme d’avancement de tout le dispositif des réformes, en particulier en termes de crédits et de système de protection sociale » in, le Fils de novembre, Op.cit. p. 229.

218.

Les cahiers de la réforme, n ° 3, Op.cit. p .p 64-65.