3.1 Le Gouvernement de S.A. Ghozali (1991-1992) : les réformes économiques en veilleuse

Après l’intervention musclée de l’armée en juin 1991, l’instauration de l’état de siège et la « démission » du gouvernement réformateur, les décideurs algériens installèrent un nouveau gouvernement sous la direction de S.A. Ghozali. Ce dernier était officiellement chargé de préparer les élections législatives prévues pour la fin décembre de la même année.

Le gouvernement de S.A. Ghozali n’avait pas de programme économique proprement dit. Sa durée d’exercice était fixée à six mois mais il est resté un an. Progressivement, le gouvernement de S.A. Ghozali s’écarta de sa mission originelle et se consacra à la remise en cause de la plupart des mesures réformatrices prises par son prédécesseur.

En effet, en dépit de son discours sur la nécessité de la réforme, le gouvernement de S.A. Ghozali procéda au gel systématique de la plupart des dispositions prises par son prédécesseur. Le gouvernement justifia cette politique par la nécessité de rendre  la réforme socialement  acceptable ; au nom de l’impératif de réunir les conditions « optimales » pour la tenue des élections législatives « propres et honnêtes »250 l’ensemble des mesures « jugées » socialement coûteuses ont été systématiquement remises en cause. Visiblement, la mécanique de la concession politique à la rigueur économique reprenait son fonctionnement.

Trois décisions majeures ont illustré la  « nouvelle » politique économique du gouvernement : l’arrêt du processus d’autonomisation des entreprises publiques et la prise en charge directement par l’Etat du paiement des salaires de plusieurs entreprises telles que celles du BTP; la remise en cause, dans le cadre de la Loi de finance complémentaire de 1991, de la libre installation des concessionnaires et grossistes étrangers; la relance de la politique d’importation et enfin, la diminution des prérogatives de la Banque d’Algérie par le transfert de la décision d’agrément des investisseurs étranger, vers le ministère des Finances.

Les conséquences de ce revirement brutal de l’orientation de la politique économique sur l’appareil productif, notamment le secteur public, furent chaotiques. L’incertitude, l’incompréhension, et surtout le manque d’objectifs et de projet économique clairs, ont provoqué la paralysie totale du système de gestion. Les gestionnaires des entreprises publiques et des fonds de participation, ne sachant plus quels étaient leurs nouveaux statuts, préférèrent gérer les affaires courantes, négocier le paiement des salaires par le gouvernement et ….attendre. En l’espace de quelques mois, la dynamique provoquée par les chantiers de la réforme s’estompa. L’attentisme et la passivité s’érigèrent en mode de gestion par excellence.

Cependant, le gel des réformes, l’attentisme et la passivité n’empêchèrent pas la situation économique de se dégrader, les conditions sociales de la population de se détériorer, et la dette extérieure de s’amplifier. Face à ces épineux problèmes le gouvernement trouve la parade ; le retour à l’ère bénie des hydrocarbures. Il déclare devant l’assemblée nationale «  s’il faut, je suis prêt à vendre 20 à 25 % de Hassi Messaoud et je reviendrai vous voir pour cela. Qu’est ce que Hassi Messaoud à côté de l’avenir de mon pays ? À quoi servirait cette richesse si je m’interdisais de l’utiliser pour sauver l’économie nationale, pour épargner la souffrance à mon peuple et préserver son avenir » 251 . Encore une fois, la solution « miracle » ressurgit pour éviter les réformes économiques douloureuses : la rente pétrolière et tout ce qu’elle suppose comme facilités de gestion.

En effet, une nouvelle loi sur les hydrocarbures fut élaborée. Elle permit, pour la première fois dans l’histoire du pays, aux sociétés étrangères de participer à l’exploitation et à l’exportation des gisements pétroliers, y compris ceux qui étaient déjà en production. En contrepartie, les sociétés devaient s’acquitter d’un droit d’entrée. Le gouvernement estimait que l’apport de cette ouverture au capital étranger dans le domaine pétrolier serait d’environ 6 ou 7 milliards $ avant la fin de l’année 1991. Dans le même objectif, le gouvernement envisagea de réactiver le plan gazier « VALHYD », conçu dans les années 1970 mais abandonné par Chadli dans les années 1980. Ce plan visait l’augmentation des capacités d’exportation algérienne en gaz naturel. Visiblement, le gouvernement était à la recherche de l’argent frais.

Entre temps, le premier tour des élections législatives « propres et honnêtes » - principale mission du gouvernement- eut lieu le 27 décembre 1991, le deuxième tour étant prévu pour le 16 janvier 1992. Le résultat des urnes donnèrent au FIS la majorité des sièges, suivi du FFS puis du FLN252. Une nouvelle fois, l’armée intervint, annula les élections et démit le Président de ses fonctions. Après le coup d’Etat économique contre les réformateurs, l’armée commît un coup d’Etat politique contre le résultat des urnes. Une violence inouïe se déchaina-elle perdure jusqu'à ce jour. Ainsi, la double transition politique et économique engagée après les évènements d’Octobre, s’acheva dans le sang.

Avec l’arrêt du processus démocratique en 1992, et la « démission » de Chadli, le pays se trouva devant un vide institutionnel quasi-total ; aucune institution n’était en place. La création d’une  institution ex-nihilo -car jamais prévue par la constitution- le Haut Comité d’Etat (HCE) fut décidée. Ce dernier prenait la forme d’une instance présidentielle collégiale composée de cinq membres. Elle était présidée dans un premier temps par M. Boudiaf. Figure historique du mouvement national, opposant au régime depuis 1962 et condamné à mort, il avait fui l’Algérie et s'était réfugié au Maroc depuis en 1963. Il accepta cette responsabilité car il estimait que le pays était en danger. Il fut assassiné, au cours d’un meeting transmis en direct à la télévision algérienne, le 29 juin1992.

En janvier 1992, la mission du gouvernement de S.A. GHozali - chargé auparavant de préparer des élections « propres et honnêtes » mais qui seront annulées- était prolongée ! Il continuait sa mission ! Mais sur le plan économique, aucune action d’envergure ne fut entamée. Le gouvernement se contentait de gérer les affaires courantes, avec la prise en charge par l’Etat des problèmes socio-économiques de la population. Le soutien étatique des prix était maintenu, le paiement des salaires des EPE déficitaires était assuré directement par l’Etat…Le retour à l’économie distributive était redevenu une option stratégique, notamment du fait de la dégradation accélérée de la situation sécuritaire. Cette dernière était d’ailleurs devenue la principale préoccupation des pouvoirs publics reléguant au second plan les questions économiques.

La mission du gouvernement de S.A. Ghozali étant arrivée à son terme, il fut remplacé par B. Abdeslam début juillet 1992. Ainsi, l’histoire du gouvernement Ghozali est associée à la remise en cause totale de la double transition vers la démocratie et le marché entamé au lendemain des évènements d’octobre 1988. Elle est aussi synonyme de graves évènements politiques ouvrant la porte à une période de violence extrême qui dure jusqu'à aujourd’hui.

Notes
250.

L’expression est au chef de gouvernement lui-même.

251.

Algérie actualité du 22-28/08/1991.

252.

Les résultats définitifs du premier tour des élections législatives de 1991tels que rendu par le conseil constitutionnel le 30/12/91 sont comme suit ; sur 13 258 454 inscrits, il y a eu 6 897 719 suffrage exprimés, soit à peine plus de 50%, au lendemain du premier tour, 231 siège sur 440 étaient pourvus, dont 188 pour le FIS, 25 pour le FFS et 16 pour le FLN.