Conclusion

Ce chapitre est consacré à l’analyse de la première et la plus importante expérience de réformes économiques connue par l’Algérie indépendante. Au-delà de la présentation des différentes actions initiées par le gouvernement réformateur de M.Hamrouche afin de sortir l’économie algérienne du carcan administratif qui l’étouffait pendant des décennies, nous avons tenté de restituer le contexte politico-économique de son « échec », dans le but de déceler la nature des oppositions aux réformes économiques en Algérie.

Les conclusions qui se dégagent peuvent être résumées en trois points par ordre d’importance :

Le premier est relatif au degré d’adhésion de l’acteur le plus influent du champ politique algérien, à savoir l’armée, au projet des réformateurs. À postériori, il parait en effet clairement que l’armée n’a jamais été totalement favorable au processus d’ouverture politique et économique initiés au lendemain des évènements d’Octobre 1988. Elle n’envisageait les réformes que comme des réaménagements techniques qui relanceraient le processus de développement, tout en lui permettant de garder sa place hégémonique sur le champ politique. Or, la dynamique libérée par les réformes institutionnelles et économiques du gouvernement de M.Hamrouche, imposaient la redistribution du pouvoir au sein de l’Etat, et entre ce dernier et la société. Paniquée devant la perspective de la perte de son contrôle sur l’évolution politique du pays, l’armée, à travers les services de sécurités, est intervenue et stoppa nettement l’expérience des réformateurs.

Le second point, qui mérite d’être souligné, est relatif au poids des intérêts matériels des nationaux et des étrangers qui découlaient directement de l’économie administrée. Après analyse, il est permis de conclure que, finalement, le sous-développement de l’économie algérienne et sa dépendance viscérale de la rente pétrolière, est une aubaine pour plusieurs groupes sociaux à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Ces derniers préfèrent le captage de la rente pétrolière distribuée par l’Etat pour des raisons politiques, que de se recycler dans le cadre d’une économie productive régie par les lois du marché à travers la concurrence et la vérité des prix. Ils se sont opposés systématiquement à tout projet de réformes visant le démantèlement des mécanismes rentiers de l’économie administrée.

Le troisième et dernier point a trait au programme des réformateurs et à sa gestion par le gouvernement de M.Hamrouche durant ses 23 mois d’exercice.

à la première décennie

Le programme, tel qu’analysé au long de ce chapitre, est, malgré ses imperfections (absence d’une politique industrielle, hésitation à privatiser les entreprises déficitaires…) cohérent. Cependant, il semble que le gouvernement, tout en sous-estimant le degré d’opposition que ses réformes pouvaient susciter, surestimait le niveau d’adhésion de la population à son projet.

En ce qui concerne le premier point, il est important de rappeler que, lors de sa désignation, le gouvernement de M.Hamrouche avait le soutien du Président, et il avait négocié et obtenu les pleins pouvoirs, mais n’a pas profité de la faiblesse du régime pour imposer des institutions de transition. Il a continué à fonctionner avec la même assemblée détenue par le parti unique et avec le même personnel administratif, notamment au sein des directions centrales, des institutions économiques et des entreprises publiques. Les seuls changements visibles qu’il a apportés concernaient le choix de son équipe. Ce qui s’est avéré largement insuffisant eu égard l’ampleur des changements qu’il voulait mettre en œuvre. Résultat : les plus importants blocages des réformes étaient le fait du personnel administratif en place (banquiers, chefs d’entreprises…), ceux là même qui devaient impulser la dynamique de réformes au niveau méso et micro-économiques.

D’autre part, il nous semble que le gouvernement avait surestimé sa capacité à susciter l’adhésion de la population à son projet. Les réformateurs semblaient ignorer l’ampleur de la défiance de la population, et son rejet pour tout ce qui provient du régime politique en place, que Hamrouche incarnait malgré lui. Plus de trois décennies de fausses promesses et de duperies, de la part d’un personnel politique ayant privatisé l’Etat dans l’unique objectif d’accumuler les richesses économiques, avaient suffit pour que la population s’inscrive dans la dissidence, la rébellion ou l’apathie. C’est la raison pour laquelle le gouvernement réformateur n’a pas suscité l’engouement, ni la dynamique populaire qu’il souhaitait afin de contrecarrer ses adversaires au sein du pouvoir d’Etat.

Le prochain chapitre est consacré à l’analyse de deux périodes importante dans l’histoire de l’Algérie indépendante : la première correspond aux années d’application du Plan d’Ajustement Structurel, la seconde, du XXIème siècle.