Chapitre 6. De l’ajustement structurel au gel de la transition (1994- 2010)

De 1986 à 1993, le discours politique et les actions économiques de l’Etat algérien étaient dominés par les antagonismes entre les partisans de la réforme économique aboutissant à une économie de marché, et ceux d’une restructuration contrôlée afin de conserver les équilibres des pouvoirs préexistants. L’expérience des réformateurs, arrêtée prématurément, a certes, contribué fortement à la mise en place de l’arsenal juridique nécessaire au passage vers le marché, mais le modèle d’économie rentière, hérité des décennies précédentes, subsistait toujours. Il se manifestait à travers le développement des rentes spéculatives, la dépendance de la rente pétrolière, le recours systématique à l’endettement extérieur, le contrôle étatique des secteurs clefs de l’économie par les nominations à tous les niveaux, etc. Cependant, le gouvernement, ayant atteint un point de non-retour, tenta la fuite en avant ; il gela certaines réformes, renforça le contrôle étatique sur les secteurs stratégiques et tenta de rétablir la confiance avec les milieux financiers en « miroitant » la possibilité d’augmenter les ventes des hydrocarbures à travers la réactivation du plan Valhyd, etc. Les actions des gouvernements de S. Ghozali et de B. Abdeslam étaient, à ce propos, significatives, mais les tentatives de « réformer les réformes » se soldèrent par un échec car elles n’ont abouti qu’à l’aggravation de la situation politique et à la dégradation des conditions socio-économiques de la population.

Après plusieurs mois de tergiversations politiques et économiques (changement de plusieurs gouvernements, tentatives de réactivation de l’économie administrée, prolongement de la durée de vie du HCE et désignation d’un militaire à sa tête, L. Zeroual, etc.), l’Algérie tomba en cessation de paiement et dut négocier avec le FMI. Elle consentit à rééchelonner sa dette extérieure en contrepartie de la mise en œuvre du Plan d’Ajustement Structurel. Le FMI imposa son consensus et les rivalités au sein du pouvoir d’Etat entre partisans de l’ouverture et ceux du statut-quo cessèrent momentanément. Mais les divergences demeuraient latentes et ressurgissaient dès l’amélioration de la situation financière du pays.

D’une durée de quatre ans, le P.A.S était constitué d'un ensemble de mesures réformatrices visant trois objectifs : la stabilisation macro-économique, la libéralisation des marchés et enfin la privatisation ; en somme, la transformation de l’économie centralement palifiée en économie de marché.

Les résultats de cette nouvelle expérience de réforme sont contrastés. Si sur le plan macroéconomique le pays enregistrait des améliorations appréciables, sur le plan microéconomique les conséquences ont été désastreuses ; désindustrialisation, dépendance alimentaire, chômage, baisse du pouvoir d’achat…

A partir de 1998 - année de la fin du Plan d’Ajustement Structurel - l’Algérie entama une nouvelle étape dans son histoire. L’augmentation importante et durable des prix internationaux des hydrocarbures a doté le pays de moyens financiers colossaux. Profitant de cette manne financière, le pouvoir changea de stratégie et d’approche : aux réformes structurelles approfondissant le passage vers l’économie de marché, les dirigeants algériens préférèrent l’investissement dans les infrastructures à travers les plans de relance économique de type keynésien, comme si l’économie algérienne n’était pas en crise structurelle mais en récession conjoncturelle. C’est là tout le « non sens » de la politique économique adoptée par les autorités algérienne en cette première décennie des années 2000.

Aujourd’hui, après trois décennies de réformes et de contre-réformes, la sphère marchande algérienne n’est certes plus soumise à la planification centralisée, mais elle n’est pas régulée par le marché. Elle demeure, comme elle a toujours été, rentière et distributive des richesses dont l’essentiel provient de ses ventes d’hydrocarbures. Quelles sont les raisons de cette évolution paradoxale ? Ça sera l’objet du prochain chapitre.

A présent, il s’agit de restituer les faits marquants ces deux périodes, par ailleurs riches en évènements (1994-1998 et 1999-2010) et d’analyser les tenants et aboutissants des différents acteurs impliqués dans la mise en œuvre des actions engagées. Enfin de dresser, en fonction des données dont nous disposons, un bilan quantitatif et qualitatif pour chacune de ces périodes.