Avant d’étudier les conditions d’avènement du P.A.S en Algérie, il est important de rappeler que le rétablissement de la « confiance » entre l’Algérie et les Institutions Financières Internationales n’était pas une option délibérée. Elle était dictée par la situation extrêmement contraignante dans laquelle se trouvait l’Etat algérien au milieu des années 1990. Cette remarque est doublement importante : d’une part, elle permet de comprendre la gestion par les autorités algériennes des recommandations qu’imposait habituellement le FMI, d’autre part, elle explique, par ricochet, l’échec de la seconde transition algérienne vers le marché.
En effet, aussitôt que les prix internationaux des hydrocarbures commencèrent à remonter et le « contrat » avec le FMI arrivé à terme, l’Etat algérien retourna à la gestion permissive et rentière de ses rapports économiques avec la société, conformément aux principes d’économie rentière et distributive en œuvre depuis l’indépendance du pays en 1962. Nous reviendrons en détail sur ce point dans les développements prochains. A présent, analysons les conditions d’avènement du P.A.S en Algérie et ses principaux résultats socio-économiques.
L’acceptation « forcée » par les autorités algériennes du rééchelonnement de la dette et du Plan d’Ajustement Structurel est intervenue dans un contexte politique, économique et social extrêmement tendu. En effet, tandis que l’arrêt du processus électoral, en 1992, précipita le pays dans une violence de plus en plus extrême, la remise en cause des réformes économiques et institutionnelles initiées en 1989, et les tentatives de réhabilitation de l’économie administrée, n’ont fait qu’aggraver une situation déjà difficile, d'autant que les conditions sociales de la population se dégradaient à une vitesse accélérée.
Le secteur public était atteint d’immobilisme. Les réformes étaient gelées et les cadres du secteur public se contentaient d’assurer la gestion « minimale » des affaires courantes, plus précisément de « gérer » le paiement des salaires et d’honorer les rares commandes venant de l’Etat ou des autres entreprises publiques263. Pendant ce temps, les contraintes structurelles de l’économie algérienne s’aggravaient ; le déficit public se creusait264, la dépendance de l’économie des hydrocarbures, des importations alimentaires et de l’endettement extérieur s’aggravait tandis que le chômage s’accentuait. Selon les données du ministre des Finances de l’époque, A. Benbitour, 95% des recettes d’exportation provenaient des hydrocarbures, 75% des calories consommées par les Algériens étaient importées265 et le ratio du service de la dette était de 86% en 1993266. Sur ce dernier point, l’Algérie était carrément en situation de cessation de paiement. Un simple calcul arithmétique permet de le constater : les recettes annuelles de l’Algérie s’évaluaient à 12 milliards de $ dont 8 milliards de $ pour le remboursement de la dette, alors que les besoins incompressibles du marché intérieur étaient de 10 à 12 milliards, soit un déficit annuel permanent de 6 et 8 milliards de $ 267 .
Source. Construit par nos soins à partir des données extraites d’A.M. Djenane, Réformes économiques et agriculture en Algérie, Thèse de doctorat, Université F. Abbas, Sétif 1997. p.77
Fortement dépendante de ses exportations d’hydrocarbures, l’Algérie a dû affronter, à partir de 1986, la double contrainte de la baisse du prix du baril et du cours du dollar (monnaie d’exportation des hydrocarbures). Le résultat en était une croissance dangereuse de l’endettement. Le graphique 5.1 relatif à l’évolution de la structure de la dette extérieure de l’Algérie entre 1987 et 1992, montre clairement cette situation.
En effet, l’évolution de la dette commerciale à court terme était très prononcée ; plus de la moitié des crédits garantis et non garantis devaient être remboursés en l’espace de deux années. Ceci n’était évidemment pas sans répercussion sur le service de la dette. Ce dernier, tel qu’indiqué dans le graphique (6.2) ci-dessous, était en constante augmentation.
Source.Construit par nos soins à partir des données extraites d’A.M. Djenane, Réformes économiques et agriculture en Algérie, Thèse de doctorat, Université F. Abbas, Sétif 1997. p.78.
En cette première moitié des années 1990, les ressources financières du pays ne permettaient guère de faire face à l’endettement. La lecture des statistiques relatives à l’évolution des termes de l’échange, c'est-à-dire du pouvoir d’achat de l’Algérie, montre clairement qu’à la veille de la mise en œuvre du P.A.S, l’Algérie n’était pas en mesure d’honorer ses engagements extérieurs en termes d’endettement et d’assurer en même temps ses importations incompressibles.
Sur le plan social, la situation n’était guère reluisante. Entre 1985 et 1993, la population active s’est accrue de 1 980 000 personnes alors que les emplois créés ne dépassaient pas 800 000 postes, aggravant ainsi davantage le nombre de chômeurs évalué à 1 160 000 personnes à l'époque.
A cette situation se sont ajoutés les effets de l’inflation, des pénuries et autres phénomènes d’économie parallèle et de corruption généralisée. L’indice de consommation, pour ne prendre que cet exemple, passait de 10% en 1988 à 77% en 1993.
Sur le plan politique, l’Algérie a connu, à partir de 1992, une violence sans précédent dans son histoire depuis la guerre d'indépendance. Limitée au départ à l’assassinat des agents de l’ordre (policiers, gendarmes…), la violence s'est généralisée aux infrastructures économiques et aux civils. Des groupes désignés comme islamistes et autres groupes « non identifiés » se sont constitués partout en Algérie et semaient la terreur au sein de la population civile. En plus des militaires, ces groupes s’attaquaient aux journalistes, aux intellectuels, aux citoyens, saccageaient et détruisaient les infrastructures et les équipements industriels, etc. Une grande confusion régnai à tous les niveaux. L’Etat instaura, dès décembre 1992, le couvre feu dans sept wilaya autour d’Alger sans « grands » résultats. Des régions entières étaient sous contrôle de groupes armés non identifiés.
Au niveau institutionnel, aucune institution de l’Etat n'était fonctionnelle : l’Assemblée Populaire Nationale (APN) fut dissoute, le Président de la République fut « démissionné », les Assemblées communales fraîchement élues furent également dissoutes. Le pays a fonctionné pendant 3 ans sans aucune institution politique constitutionnelle. La Présidence fut substituée par le Haut Conseil d’Etat, l’Assemblée nationale remplacée par un Conseil National Consultatif (CNC) puis par un Conseil de Transition désigné et à la place des maires, l’Etat plaça des DEC (Délégués Exécutifs Communaux). Le champ politique a été complètement envahi par le tout sécuritaire, les partis politiques ont été marginalisés, la presse muselée et la situation était entièrement entre les mains des services de sécurité.
Les taux d’utilisation des capacités de production de l’industrie (hors hydrocarbures) ont connu une baisse importante atteignant 50,7% en 1992 après avoir été de 65,1% en 1988, pour ne prendre que cette année comme référence.
Le déficit budgétaire atteint 168,3 milliards en 1993.
. Pour 1993, les importations de produits de large consommation ont été de 3 milliards de $. L’Algérie est le premier importateur mondial du Blé dur en absorbant 40% des exportations mondiales…
A. Benbitour, L’Expérience algérienne de développement : 1962-1991 , leçons pour l'Algérie au troisième millénaire , défis et potentialités , Editions Marinoor, 1998. p.82.
CF, A.Dahmani, L’Algérie à l’épreuve…Op.cit.p. 180.