Contrairement à la situation macro-économique, l’impact des mesures « réformatrices » de l’Ajustement Structurel au plan micro-économique furent au mieux sans effets notables, sinon néfastes. A ce propos, il y a lieu de constater la persistance, sinon l’accroissement de la dépendance de l’économie algérienne à l’égard des hydrocarbures, la baisse de la production des secteurs industriel et agricole, la régression de la productivité des facteurs, etc.
En ce qui concerne les effets du P.A.S sur le système productif, il y a lieu de noter que malgré son évolution positive, la croissance du PIB demeura fragile, car tirée essentiellement par l’exportation des hydrocarbures comme nous l’avons souligné déjà dans les développements antérieurs. Rappelons en effet, que depuis 1977, la part des hydrocarbures dans les exportations a dépassé chaque année le seuil de 95 % et ce taux a été en moyenne de 97 % depuis 1998. Au lieu de relancer l’offre locale pour réduire la dépendance à la rente, le P.A.S l’a au contraire renforcée au nom de la spécialisation selon la théorie de l’avantage comparatif qui signifie, pour le cas de l’Algérie, l’intensification de l’exploitation de ces ressources naturelles et minières. Le tableau suivant (6.5), concernant la croissance du PIB par secteur d’activité, confirme largement ce constat déjà établi.
Années | 1990 | 1993 | 1994 | 1995 | 1996 | 1997 | 1998 | 1999 | 2000 |
Hydrocarbures | 4,30 | - | - | - | 6.3 | 6.0 | 4.0 | +7.8 | +5.5 |
Agriculture | -9.30 | -3.7 | -9.0 | 15.0 | 21.3 | -13.5 | 11.4 | 2.7 | +6.6 |
Industrie | 0.6 | -1.3 | -4.40 | -1.40 | -8.3 | -3.8 | +4.6 | +3.1 | +4.6 |
BTP | -1.0 | - | - | - | 4.5 | 2.5 | 2.5 | 2.5 | +4.8 |
Services | -5.0 | - | - | - | 2.4 | 2.4 | 5.8 | 3.2 | 4.1 |
La PIB | -1.3 | -2.2 | -0.10 | 4.10 | +3.8 | +1.1 | +5.1 | +4 | +5 |
Source : Banque Mondiale, Mémorandum économique, 1993.
On remarque, à la lecture de ces statistiques, qu’au niveau de l’offre locale et quelque soit le secteur d’activité, le recul est partout visible.
Première victime de l’Ajustement ; l’industrie publique sombra dans un marasme profond, à tel point qu’il n’est pas exagéré de parler de désindustrialisation. En effet, au cours des années 1990 l’investissement productif fut divisé par deux pour tomber à 7% du PIB, ce qui s’est traduit par une baisse sensible de la croissance nominale cumulée du secteur industriel. Cette dernière dépassait à peine 6% entre 1995 et 1998, ce qui est inférieur à l’inflation cumulée sur la même période. Cette dégradation des performances du secteur industriel s’explique par les mêmes facteurs ayant été à l’origine de l’échec de la tentative d’industrialisation pendant les années1970 : la sous utilisation des capacités de production. Selon R. Abdoune, l’utilisation des capacités de production du secteur industriel a reculé de 57,2 % en 1990 à 51,8 % en 1993, pour tomber par la suite à 48,5 % et à 46,7 % en 1994 et 1995 respectivement277. Pire, les excédents nets d’exploitation de l’industrie publique se sont réduit considérablement (-22% pour les matériaux de construction, -15,56% pour l’industrie chimique, - 267% pour les ISMME qui sont passé de 9 milliards d’excédents à 16 milliards de déficits). Pire encore, certaines branches ont vu leur déficit s’aggraver (+ 130% de déficit pour les textiles/confection et + 178% de déficit pour les cuirs et les chaussures). En somme, c’est l’ensemble du secteur industriel hors hydrocarbures qui a vu ses bénéfices nets d’exploitation diminuer de 4% en nominal278. Seules, l’industrie agro-alimentaire, les bois et papiers et les industries diverses sont parvenues à améliorer leurs excédents nets d’exploitation.
En ce qui concerne l’agriculture, il est à remarquer que son évolution a été aléatoire, elle est passée de -1,3 en 1993 à - 8,3 en 1996 pour atteindre subitement une croissance de 4,6 en 1998. Cette évolution aléatoire s’explique par la forte dépendance de l’agriculture algérienne des conditions climatiques. Pour ce qui est de l’industrie, l’on remarque qu’en l’espace de quatre ans, la production industrielle a perdu 4 points, elle est passée de -1,5% en 1992 à -8,6% en 1996.
De même pour ce qui est du découvert bancaire des industries publiques qui, après avoir été seulement de 10 milliards de DA en 1994, a atteint 94 milliards de DA fin 1995 pour monter en 1996 à 109 milliards de DA, soit 54% de leur chiffre d’affaires279. Ces résultats se confirment largement lorsque l’on prend en considération la part de l’appareil industriel dans l’exportation. Celle-ci était marginale, elle était de l’ordre de 3 % en 1994 et 1995, contrairement aux importations d’intrants et d’équipements industriels qui ont progressé de 57% en 1995280.
Cette similitude des facteurs, à l’origine de la faible rentabilité du secteur public, est une preuve de l’échec des entreprises réformatrices engagées jusque-là, notamment le P.A.S dont les promoteurs se sont focalisés plus sur le rétablissement des équilibres macro-économiques que sur l’amélioration de l’offre locale.
Pourtant, l’Etat a continué même sous l’égide du P.A.S à consacrer une part importante de son budget à la restructuration et à l’assainissement financier du secteur public. En termes d’assainissement financier du secteur public - hors secteur bancaire - le Trésor public a déboursé, en moins d’une décennie (1991 à 1999), 800 milliards de dinars, soit 30% du PIB de 1998. Cette somme était répartie comme suit : 130 milliards de dinars sous forme d’annulation des dettes à la BAD, 542 milliards de dinars sous forme d’achat de créances bancaires et 121 milliards de dinars sous forme de dotation en argent frais. Aussi, le dispositif Banque/ entreprise, mis en place en 1997 pour contrôler les entreprises assainies, coûta à l’Etat 160 milliards de dinars consacrés au financement des plans de redressement industriel de 206 entreprises. Mais malgré ces efforts, plusieurs entreprises importantes du secteur industriel public demeuraient déficitaires en 1998 ; les ISMM affichaient 16 milliards de dinars de déficit net d’exploitation, les textiles/confection 4,5 milliards de dinars et les cuirs et chaussures 751millions de dinars281 de déficit.
En fait, l’opération de privatisation, pourtant lancée par les pouvoirs publics en 1994, s’est soldée par un échec cuisant.
La bourse de valeurs mobilières (BVM), instituée en 1993, et qui était considérée comme mode de privatisation, ne gérait, en 1999 que 3 titres et le capital social cédé par entreprise n’excédait pas les 20%.
La dissolution des 959 entreprises publiques, dont 696 entreprises locales, et la cession de leurs actifs aux salariés n’a rapporté au trésor public que 21,8 milliards de dinars sur 20 ans, plus une dizaine de milliards sous forme d’enchères publiques, soit 47 % des coûts d’assainissement. Notons que cette opération de cession des actifs d’entreprises publiques aux travailleurs s’est soldée par un échec quasi-total « planifié », car l’administration refusait de délivrer les actes de propriété aux salariés acquéreurs. Ce qui a empêché leur immatriculation au registre de commerce, condamnant ainsi les 1774 sociétés de salariés à la disparition ou à la reconversion dans le marché informel282. Enfin, notons qu’aucun des appels d’offre nationaux et internationaux lancés en 1998 (89 des 240 entreprises privatisables) n’a été concluant283.
Les seuls résultats positifs qu’on peut énumérer concernant le secteur industriel public sont : l’ouverture du capital de SIDER et de l’ENAD qui ont cédé respectivement 70% et 60% de leur capital social à des firmes étrangères ; ainsi que les différents contrats d’association signés par SONATRACH avec les firmes étrangères.
S’agissant du secteur privé, il y a lieu de souligner qu’il a connu une évolution importante comparativement aux périodes précédentes. Il a gagné des parts de marché dans pratiquement tous les secteurs contrairement au secteur public. Celles-ci sont évalués à titre d’exemple, pour la période allant de 1995 à 1998, à + 109% dans les matériaux de construction pour atteindre 18% de la Valeur Ajoutée produite, + 105% dans les textiles confections pour atteindre 65,05% de la VA produite, + 95% dans les cuirs et chaussures pour atteindre 48% de la VA produite284… Le secteur privé a fait également une entrée spectaculaire dans le secteur des hydrocarbures où il a augmenté son chiffre d’affaires de 1172% entre 1995 et 1998, passant de 2,2 milliards de dinars à 28 milliards de dinars, produisant ainsi 4,40% de la valeur ajoutée du secteur. Mais à ce propos, une remarque s’impose : le privé dominant le secteur des hydrocarbures était constitué en majorité des filiales de firmes étrangères, et le secteur dans sa globalité fonctionnait depuis des décennies comme une sphère autonome du reste de l’économie. Dès lors, on ne peut conclure que cette ascension du secteur privé dans le domaine des hydrocarbures est seulement un résultat des mesures incitatives prises dans le cadre du P.A.S. On peut supposer qu’elle répondait plutôt à la volonté des pouvoirs publics d’augmenter immédiatement les recettes de l’Etat qui faisait face à une crise importante de moyens de paiements. Aussi, de part sa spécificité (faible création d’emplois comparée à la valeur ajoutée produite, la vente en état brut du produit extrait du sous-sol…), le développement du secteur des hydrocarbures a été peu entraînant pour les autres secteurs d’activité.
Par ailleurs, il y a lieu de remarquer que, globalement, le privé algérien était faiblement enraciné dans les secteurs proprement productifs. Les données disponibles indiquent que les principaux secteurs dominés par le privé sont les services et les travaux publics, dans lesquelles il a produit une valeur ajouté respectivement de 88% et 68 %.
En revanche, il y a lieu de noter que, malgré sa faible participation à la création de la valeur ajoutée industrielle totale (environs 30%), le secteur privé a dépassé le secteur public en termes d’excédents nets d’exploitation cumulés entre 1995 et 1998. Ces derniers ont progressé en effet de 21,3 milliards de dinars à 44,8 milliards, tandis que le secteur public a régressé de 30,1 milliards de dinars à 28, 6 milliards de dinars. Cette performance du secteur privé est-elle due à une plus grande maîtrise des combinaisons productives ou bien à la nature des activités choisies (sous-traitance, créneaux rentables et monopoles assurés par la complicité de l’administration, revente en l’état des produits importées …) ? Aucune étude, à notre connaissance, n’est consacrée à ce sujet.
Par ailleurs, l’ouverture du commerce intérieur et extérieur a provoqué une multiplication de commerçants et d'opérateurs privés spécialisés dans l’importation285. Sur ce plan, la mutation à été très rapide. En effet, pour la seule année 1995, la croissance du nombre de registres de commerce délivrés était de 15% pour les personnes physiques et de 1118% pour les sociétés. À la fin de l’année 1996 on recensait quelques 25 700 importateurs privés contre seulement 300 entreprises publiques, pour un volume d’importation évalué à 10 milliards de $. Quant aux exportations hors hydrocarbures qui demeuraient tragiquement faibles (861 millions de $), elles étaient couvertes à 94% par les entreprises privés. Cette situation a fait dire à certains économistes que « l’économie de marché en Algérie avant d’être un modèle d’organisation économique, s’est d’abord imposée à travers le secteur commercial » 286 . Cette situation a-t-elle évolué ? Les fortunes colossales amassées par le privé algérien à travers le commerce et la spéculation se sont-elles transformées en investissements productifs ? Ou au contraire, se sont-elles orientées vers le marché informel ou la fuite de capitaux à l’étranger ? Tout dépend des orientations de la politique économique « post P.A.S. ». La seconde section du présent chapitre, qui sera consacrée à l’analyse des mutations de l’économie algérienne durant cette première décennie des années 2000, est susceptible de nous apporter les éclaircissements nécessaires. À présent, complétons cette présentation du bilan du P.A.S par l’étude de ses conséquences sociales.
R. Abdoune, «Un bilan du programme de stabilisation de l’Algérie (1994-1998) » in, les cahiers du CREAD n° 46/47, Alger 1999. p. 33.
Statistiques de l’ONS « Compte de production et compte d’exploitation par secteur d’activité et secteur juridique » reprises et comparées par Antoine Chigner, les politiques industrielles de l’Algérie contemporaine, le développement en faillite, Mémoire de 4ième année, affaires internationales, séminaire économie internationale du monde arabe, IEP de Lyon 2008/2009.
A. Bouyacoub, « L'économie algérienne et le programme d'ajustement structurel », in Confluences, Printemps 1997, p.80. Selon l’auteur, ce découvert bancaire sera fatalement comblé par la planche à billets, car les entreprises publiques ne pourraient en aucun cas remboursée notamment l’orsqu’on sait que les taux d’intérêts de ces découverts, étaient d’environs 23,5% au début de l’année 1996. Comme dans les années 1970 et 1980, les entreprises publiques algérienne provoquent la création monétaire et l’inflation qui ronge le pouvoir d’achat de la majorité de la population, au lieu de jouer le rôle inverse, c’est-dire créer de la richesse.
R. Abdoune, «Un bilan du programme de stabilisation de l’Algérie (1994-1998) » Op.cit. p. 33.
ONS, Compte de production et compte d’exploitation par secteur d’activité et secteur juridique, 1998.
Le poids du marché informel est estimé par certaines sources à 40% du PIB, ce qui entraîne un manque à gagner pour l’administration fiscale 60 milliards de dinars en impôts en 1999. Voir, N.Grim, l’économie algérienne otage du politique, Alger Casbah éditions 2004, p. 103.
CF, A. Chigner, Les politiques industrielles de l’Algérie contemporaine, le développement en faillite mémoire de 4ième année, affaires internationales séminaire économie internationale du monde arabe, IEP de Lyon 2008/2009.p.49.
CF, Antoine Chigner, Les politiques industrielles de l’Algérie contemporaine, le développement en faillite Op.cit. p. 51.
Entreprises spécialisées dans « l’import-import » comme le souligne fort bien l’humour populaire. Cette expression est utilisée par la presse aussi.
A. Bouyacoub, « L'économie algérienne et le programme d'ajustement structurel », in Confluences, Printemps 1997, p.81.