2.1.1 La remise en cause de l’autonomie du secteur public économique

En ce qui concerne la gestion étatique du secteur public économique, nous avons souligné dans le chapitre 5 du présent travail que l’objectif recherché par les réformateurs à travers le projet d’autonomie des entreprises publiques était de dissocier l’Etat propriétaire de l’Etat gestionnaire. La création des fonds de participation était un moyen de doter les entreprises publiques d'une personnalité juridique octroyant aux gestionnaires l’autonomie nécessaire à l’exercice de leurs fonctions. Rappelons, à ce propos, que les fonds de participation n’avaient pas le droit d’ingérence directe dans la gestion des Entreprises Publiques Economiques.Dans le sillage du Plan d’Ajustement Structurel, les fonds de participation ont été remplacés par des holdings dotés de pouvoirs plus étendus : le tabou de la privatisation étant tombé, les holdings pouvaient, par exemple, se prononcer sur un projet de partenariat avec une entreprise étrangère, et même sur la dissolution d’entreprises publiques « irrécupérables ». Les holdings avaient même réussi, entre 1996 et 1999, à signer plusieurs accords de partenariat entre les entreprises publiques économiques et des entreprises étrangères, ainsi que la dissolution de nombreuses entreprises publiques insolvables. Au-delà des critiques que l’on peut émettre sur la formule et la qualité des entreprises privatisées292, les holdings ont réussi à casser le tabou de la privatisation du secteur public déficitaire maintenu en vie par les subventions étatiques depuis les années 1970.

Cependant et contre toute attente, l’Etat décida de mettre fin à ce processus. En juin 2000, une première tentative de centralisation s’opéra. Les 11 holdings publiques nationales furent regroupées en 5 holdings et, une année après, l’Etat abrogea l’ordonnance 95-25 relative à la gestion des capitaux marchands de l’Etat et à la privatisation. Il promulgua, en août 2001, l’ordonnance 01-04 portant sur « l’organisation, la gestion et la privatisation des EPE ». Dans le cadre de ce nouveau dispositif, le CNPE devint le Conseil de Participation de l’Etat (CPE), composé de 5 membres choisis parmi les ministres et présidé par le chef du gouvernement qui nomma les représentants de l’Etat aux conseils d’administration des EPE, détermina les politiques générales de privatisation et donna son accord sur les dossiers de privatisation (Article 9). Les holdings ont été dissous et remplacés par 28 Sociétés de Gestion de Participations (SGP) chargées de la gestion, pour le compte de l’Etat, des titres détenus sur les entreprises publiques. Mais à la différence des holdings, les SGP n’ont désormais plus le droit de propriété sur les capitaux qu’elles doivent gérer.

En outre, une Commission de contrôle des opérations de privatisation et un Comité de suivi ont été institués (article 30). À la faveur de cette nouvelle législation, une centralisation supplémentaire du processus de privatisation s’opéra car, désormais, c’est le ministre chargé des participations de l’Etat et de l’investissement qui fut investi du rôle de superviseur central chargé d’élaborer les stratégies de privatisation à soumettre au Conseil des ministres pour validation. Cette centralisation extrême du processus de privatisation, le retrait du statut de propriétaire aux SGP, et le retour de l’administration centrale à la gestion directe du secteur public avec l’omniprésence des membres de l’exécutif dans tous les organes dirigeants des EPE, tranchent radicalement avec l’esprit de toutes les politiques de réformes mises en œuvre depuis 1988.

C’est dans ce contexte qu’émergea, au sein du pouvoir, l’idée de lancer un nouveau processus d’industrialisation sous le patronage de l’Etat, à travers l’investissement public, appelé officiellement la Nouvelle Stratégie Industrielle (NSI). Cette nouvelle version du volontarisme économique des années 1970 fut notamment défendue par la Présidence de la république à travers le Ministère de l’Industrie, des Participations et de la Promotion des investissements (MIPPI) dirigé par A. Temmar.

Cette nouvelle Stratégie industrielle, qui n’est en réalité qu’une copie de celle des années 1970 en termes de choix de secteurs et de lieux de leurs implantations293, a visé, selon ses promoteurs, « la relance et le développement de l’activité industrielle » 294 afin de permettre à la fois la substitution des importations et l’augmentation des exportations hors hydrocarbures. Pour mettre en place la NSI, des Assises nationales de l’industrie (ANI) sous le thème «  Stratégie et politique de relance industrielle » ont été organisées au palais de la nation à Alger295. Elles regroupèrent quelques 600 personnes d’horizons divers pendant deux jours (du 26 au 28 février 2007) pour dessiner « les bases de la stratégie industrielle de l’Algérie pour les 15 années qui viennent » 296 .Selon les déclarations du Ministre en charge de la NSI, A. Temmar, faites à la presse au lendemain des assises, les recommandations des différents ateliers devaient être soumises au Conseil du gouvernement sous dix jours et au Conseil des ministres afin que la NSI soit entérinée politiquement. Mais ce projet, qui était considéré comme une des premières priorités de l’Etat, n’a jamais vu le jour. Il a été ignoré par le nouveau chef de gouvernement A. Ouyahia. Encore une fois l’inscription des projets de développement dans l’agenda politique a obéi plus aux rapports de forces entre les différents clans du régime qu’aux impératifs économiques proprement dits. Cette tendance au retour de l’Etat à la gestion directe de la sphère économique, qui s’est exprimée à travers la remise en cause de l’autonomie des entreprises publiques et la relance de l’investissement public à travers ce que le discours officiel appelle « la Nouvelle Stratégie Industrielle », fut également perceptible au niveau de la gestion de la sphère monétaire. En effet, la monnaie et le crédit ont connu, à leur tour, l’effet de la centralisation et de la gestion « présidentielle » des affaires économiques. Ainsi, la Loi sur la Monnaie et le Crédit (LMC) fut battue en brèche et le secteur bancaire fut rattaché à l’Exécutif.

Notes
292.

Il est légitime en effet d’assimiler ces privatisations à un bradage du patrimoine public, car la plupart des opérations de privatisation ont été opaques. Aussi, les entreprises privatisées sont en grande majorité rentables comme les hôtels, les supermarchés d’Etat etc. En tout cas, les projets de partenariat et de privatisation ont épargné- mis à part Sider EL Hadjar et l’entreprise des détergents l’Enad- les grosses entreprises déficitaires pourtant à plusieurs fois assainies.Egalement, on peut suggérer que ces « privatisation au rabais » ont été « tolérées » plus pour satisfaire les conditions du FMI que pour s’engager dans un véritable processus de privatisation…

293.

Comme dans les années 1970, les secteurs prioritaires sélectionnés sont les industries de la sidérurgie, de la mécanique, de la métallurgie, de l’électrique et de l’électronique (ISMMEE), quelques secteurs ont été rajoutés en raison de leurs dynamismes comme l’agroalimentaire, l’électromécanique, la pétrochimie et la pharmacie.

294.

Ministère de l’Industrie et de la Promotion des Investissements, News bimensuelle interne du MIPI n° 26, 17 juin 2007.

295.

Voir le site des Assises de l’industrie, « Etape d’élaboration de la stratégie industrielle »,http://www.assisesdelindustrie.dz.

296.

Idem, pour ce qui est de la qualité des participants aux assises, on note la présence des représentants d’associations professionnelles, des Banques publiques , des chambres de commerce et d’industrie, des bureaux d’études, des directeurs de plusieurs entreprises publiques et privés, de l’ensemble des ministères et institutions de l’Etat (présidence, chefferies…), des sociétés de gestion et de participations (SGP), des organisations patronales, de l’UGTA (syndicat officiel), des consultants et experts, le CNES , des représentants des organisations internationales comme le PNUD, la Banque Mondiale…