Nous avons abordé précédemment l’analyse des avancées considérables apportées par la Loi sur la Monnaie et le Crédit d’avril 1990 qui avait pour objectif de mettre fin à l’assujettissement du pouvoir monétaire au pouvoir politique. En effet, la LMC consacra l’autonomie de la Banque Centrale, érigée au rang d’autorité monétaire affranchie des contingences politiques. Comparée aux lois promulguées précédemment, la LMC est considérée, par plusieurs observateurs, comme révolutionnaire s’agissant des mœurs de gestion du secteur monétaire et financier en Algérie. Mais, cette avancée fut radicalement remise en cause à partir de 2001 en redonnant à l’Exécutif les pleins pouvoirs de gestion par la manipulation monétaire.
La nature et l’ampleur des remises en cause du pouvoir monétaire instituées par l’Etat, durant cette dernière décennie, seront mieux appréciées en comparant la LMC aux ordonnances 2001 et 2003. Tandis que la LMC opéra un transfert de compétences au profit du Conseil de la Monnaie et du Crédit qui se substitua au pouvoir exécutif dans le domaine de l’activité bancaire et du crédit, les ordonnances de 2001 et 2003 réinstaurèrent la primauté du gouvernement dans la conception et la conduite de la politique monétaire.
Dans le souci d’assurer à la Banque d’Algérie l’autonomie nécessaire pour l’exercice effectif de son autorité monétaire, la LMC a prévu un certain nombre de dispositions juridiques qui furent toutes remises en cause par la suite. Ces dispositions assuraient la double indépendance des structures chargées de la monnaie et du crédit aux plans organique et fonctionnel.
Au plan organique, la Loi d’avril 1990 instaura ce que l’on appelle « la technique du mandat » par lequel les personnes en charge de la gestion des organes dirigeants de la Banque d’Algérie et du CMC étaient à l’abri des pressions de l’exécutif. Ainsi, la LMC prévoyait, dans son article 22, que le Gouverneur de la Banque d’Algérie et ses vices gouverneurs étaient nommés par décret présidentiel pour un mandat durant lequel ils ne pouvaient être relevés de leurs fonctions qu’en cas d’incapacité dûment constatée ou de faute lourde. La durée de ce mandat, renouvelable qu’une fois, était de 6 ans pour le gouverneur et de 5 ans pour les vices gouverneurs. Mais à partir de la promulgation de l’ordonnance de 2001 amendant la LMC, cette notion du mandat « immunisant » le Gouverneur de la Banque d’Algérie et ses adjoints fut annulée. L’article 22 de la LMC fut abrogé. L’ordonnance de 2003, complétant celle de 2001, entérina cette décision297. Ainsi, la nomination des personnes en charge de la gestion des structures et des institutions censées assurer l’indépendance du pouvoir monétaire est désormais laissée à l’appréciation de l’exécutif.
En plus de l’annulation du principe de mandat des membres du CMC, les ordonnances 2001 et 2003 modifièrent la composition des membres du CMC, dans le sens du renforcement du nombre de représentants du gouvernement. Ainsi, le CMC passa de 7 membres, dont seulement 3 désignés par le gouvernement, à 10 membres en 2001 puis à 9 en 2003. Le CMC fut divisé, à la faveur de ces amendements, en deux organes : le Conseil d’administration, composé désormais d’un Gouverneur et de trois vices Gouverneurs ainsi que trois fonctionnaires, et le CMC regroupant les membres du Conseil d’administration et 2 personnalités choisies pour leurs compétences. Cette nouvelle organisation a rendu minoritaire le nombre de représentants de la Banque d’Algérie (4 contre 5).
Cette remise en cause du pouvoir monétaire au plan organique fut renouvelée, s’agissant des règles de fonctionnement interne des organes chargés de la monnaie et du crédit. Rappelons à ce propos que la LMC assurait aux autorités monétaires de larges pouvoirs, à la fois pour leur fonctionnement interne et pour leurs prérogatives externes. Ainsi, le CMC, en vertu de la loi de 1990, était la seule autorité de régulation qui est habilitée par une loi (non pas un décret exécutif) à établir son règlement intérieur. Aussi, en termes d’étendue du champ de compétences du CMC, l’article 63 de loi précitée (1990) stipule que les décisions et règlements du CMC ont valeur de loi, et le ministère des Finances ne disposait que du droit de recours qu’il devait formuler dans un délai ne dépassant pas les 10 jours. En cas de litige, le recours en annulation formulé par le ministère était présenté devant la juridiction administrative. Mais avec les modifications de la composition du CMC instaurées par les ordonnances 2001 et 2003, le CMC ne dispose plus de ce pouvoir de légiférer, dans le sens où le gouvernement dispose de plus de poids quant à la remise en cause des décisions du CMC. Premièrement, le gouvernement dispose de la possibilité de formuler un recours provoquant ainsi une deuxième délibération du CMC. Ensuite, et comme on l’avait souligné auparavant, le nombre de représentants de l’exécutif est supérieur aux nombre de fonctionnaires de la Banque d’Algérie. Dès lors, le gouvernement peut imposer ses choix en délibération.
Par ailleurs, le secteur bancaire, qui devait accéder lui aussi aux règles d’autonomie et de commercialité, subit, à l’instar des entreprises publiques économiques, les conséquences de la « néo- vocation» dirigiste de l’Etat. Le processus de modernisation du système bancaire algérien à travers la libéralisation et la mise en concurrence interbancaire fut nettement stoppé par les pouvoirs publics. Au nom de la recapitalisation préalable des banques publiques, l’Etat mit fin à tout espoir de voir émerger un secteur bancaire autonome, performant et concurrentiel298. Il en est de même pour le marché de change que la Banque d’Algérie, sous l’impulsion de la LMC et des recommandations du FMI, commençait à promouvoir avec la mise en place des instruments permettant la convertibilité commerciale du Dinar Algérien à travers un marché interbancaire de change -en promulguant la réglementation régissant les agents de change et le marché à terme de la devise.
Ainsi l’Algérie, après 2 décennies de réformes, est encore sans marché de change. Elle se contente d’un marché interbancaire de change, qui n’est qu’un espace virtuel dépendant de la Banque d’Algérie détentrice du monopole de la devise dont elle fixe la parité sur la base des impératifs politiques de l’Etat, et non ceux de l’économie. La valeur de la monnaie nationale, étant fixée administrativement, ne reflète toujours pas le niveau réel du développement économique et financier du pays. Une simple analyse du taux de change de ces 15 dernières années permet de rendre compte de cette réalité. Autrement, comment peut-on expliquer que le Dinar Algérien était mieux côté dans les années 1990 que dans les années 2000, alors que la situation financière des deux périodes plaide pour l’inverse. En effet, bien que dans les années 1990 l’économie algérienne vivait une grave crise de trésorerie et d’endettement, 1 Dollar valait à peine 60 DA (1997), en 2010 le même Dollar vaut 82 DA, alors que le pays dispose de réserves de change évaluées à 149 milliards de Dollars. Ce maintien du Dinar à un niveau bas par manipulation administrative du taux de change s’explique par l’endettement colossal du Trésor Public vis-à-vis de la Banque d’Algérie (2 000 milliards de DA en 2002) qu’une réévaluation risquait d’alourdir, d’autant plus que l’Etat continue à financer le déficit des entreprises publiques qu’il ne veut pas privatiser. Et ce pour des raisons politiques essentiellement liées à la nécessité de maintenir les canaux de redistribution de la rente qui assure, au régime politique, la clientèle nécessaire auprès des travailleurs. Cependant, cette sous évaluation de la monnaie locale pénalise les détenteurs des revenus fixes tout en étouffant la production nationale. Cette dernière est en effet doublement pénalisée : d’abord elle ne trouve pas de demande effective importante, ensuite, elle subit la cherté des inputs importés.
A l’instar des décisions relatives à la remise en cause du principe d’autonomie des entreprises publiques économiques et celui de la privatisation, le changement de la réglementation mettant la Banque d’Algérie sous l’autorité de l’Exécutif démontre une volonté politique de réappropriation de la gestion des affaires monétaires, ce qui conduisit à la mise à mort du processus de réformes économiques engagées auparavant.
Mais contrairement à cette centralisation au plan interne, l’Algérie s’engagea, depuis 2000, dans un démantèlement soutenu des barrières douanières tarifaires et non tarifaires, suite à la signature de l’Accord d’association avec l’Union Européenne. De plus, elle ouvrit pratiquement tous les secteurs à l’investissement étranger, comme les télécommunications, le transport aérien, etc. Ce qui n’est pas sans coût économique et social pour la collectivité.
Voir, l’Ordonnance N° 2001-01 du 27 février 2001 modifiant et complétant la loi 90-10 du 14 avril 1990. Egalement, l’ordonnance N° 03-11 du 26 août 2003 relative à la monnaie et au crédit.
A propos de cette question de la nécessaire recapitalisation des banques publiques, l’Etat injecte comme à l’accoutumé 500 milliards de DA en sus des 700 milliards de DA qui ont été déjà consacrés à la même raison tout au long des années 1990. Un effacement d’ardoise gratuit et perpétuel. Pourquoi ? En réalité, l’Etat est pris dans un double piège : s’il n’effaçait pas les créances douteuses des banques publiques, les entreprises publiques devraient rembourser, mais ces dernières sont déjà déficitaires ; par conséquent, il faudrait les privatiser mais l’Etat ne veut pas - pour des raisons politiques qu’on expliquera en détail dans les pages qui suivent - s’en passer d’un secteur public qui assure sa base sociale. Dès lors, il préfère prendre lui-même en charge les dettes impayées par les entreprises publiques en recapitalisant les banques publiques pour sauver tout le système sur lequel il s’adosse. Comme les années précédentes, la rente pétrolière est là pour « cacher » les travers du système.