2.3.4. Evolution du commerce extérieur 1998-2008

Depuis 1999, les « efforts » de l’Etat en direction de la réanimation de la croissance ont été soutenus par un niveau d’accumulation, qui s’est accru grâce au raffermissement des cours de pétrole. La consolidation des équilibres macroéconomiques et les retombées attendues du Plan de Soutien à la Relance Economique (PSRE) et du Plan National de Développement Agricole (PNDA), en termes de croissance économique, devaient en priorité sortir l’Algérie de sa dépendance chronique et dangereuse vis-à-vis des importations, notamment des biens de consommation et alimentaires, et diversifier les sources de ses rentrées en devises hors hydrocarbures. Ces résultats « très espérés » devaient traduire les efforts des pouvoirs publics depuis 1999 à vouloir relancer une machine anémiée par une longue période de sevrage.

La forte dépendance de l’économie algérienne à l’égard d’une ressource unique était en soi assez grave. La situation était plus grave encore lorsqu’il apparaît que rien de consistant et de porteur n’était fait pour réduire cette dépendance structurelle, qui a pour arrière fond une stratégie unique de maximisation de cette ressource pour financer des flux d’importation, sans cesse croissants, tout en assistant impuissants à une déliquescence de l’appareil de production hors hydrocarbures survivant qui, par ailleurs et en général, ne doit sa survie, lui aussi, qu’à son caractère rentier et/ou informel.

C’est la persistance de ce cycle -exporter des hydrocarbures pour importer quasiment tout- que nous tenterons de montrer dans ce point, afin d’étayer notre affirmation de non efficacité de « la stratégie » de relance et de développement économiques prônée par A. Bouteflika depuis plus d’une décennie. La démonstration s’effectuera, au travers de l’analyse du commerce extérieur algérien entre 1998 et 2008, qui en principe, devait enregistrer des exportations hors hydrocarbures plus diversifiées et importantes en valeur et en volume.

Selon les chiffres rendus publics par les douanes algériennes, la période 1998-2008 a été marquée par une envolée des importations après la période précédente des restrictions drastiques et d’effet du P.A.S. Cette explosion des importations est observée à partir de 2001, avec des pics de croissance en 2004 (+ 46,7 %) et en 2008 (+ 33,0 %). La croissance des exportations, fulgurante entre 1998 et 2008, a entamé un ralentissement en 2005 (+ 9,2 % en 2007 contre + 18,7 % et + 47,0 % en 2006 et 2005) pour enregistrer un nouveau bond en 2008 de + 33,0 %, bien que cette dernière reste en deçà des croissances record de 2005 et 2006. (Graphique 6.3).

Graphique 6.3 Evolution des importations et exportations algériennes entre 1998 et 2008

Source. Construit par nos soins à partir des statistiques des douanes algériennes www.douane.gov.dz .

Ainsi, ces évolutions aléatoires des rentrées générées par les ventes de pétrole font que sous l’effet du ralentissement des exportations et de l’essor des importations depuis 2005, le solde commercial a marqué une baisse et est retombé en dessous du seuil de 30 Milliards de $ à 29,7 Milliards $ en 2007 contre 33,1 Milliards $ en 2006, après avoir enregistré trois excédents commerciaux record, consécutivement depuis 2004. Le solde commercial est reparti, tout aussi aléatoirement, à la hausse pour frôler les 40 milliards $ à la faveur d’une nouvelle augmentation des cours du pétrole en 2008.

Graphique 6.4 Volume du Solde du commerce extérieur algérien entre 1998 et 2008.

Source. Construit par nos soins à partir des statistiques des douanes algériennes www.douane.gov.dz

Aussi, il est à noter que, malgré le solde commercial record de 2008, le taux de couverture des importations par les exportations s’est établi pour cette même année à 200 % contre 255 % en 2006, 226 % en 2005. L’état de ces indicateurs s'est détérioré davantage, sous l’effet du retournement de la conjoncture pétrolière internationale du fait de la crise économique mondiale qui, rien qu’à ses débuts, s’est faite ressentir extrêmement virulente dans le sillage de la crise financière.

Graphique 6.5 Evolution, par types, des exportations algériennes entre 1998 et 2008.

Source. Construit par nos soins à partir des statistiques des douanes algériennes www. douane.gov.dz .

La figure 6.6, illustre le poids écrasant des hydrocarbures dans les exportations algériennes (77,3 Milliards $) atteignait 98 % en 2008 (97 % des exportations totales entre 1998 et 2008). Cette situation perdure rappelons-le depuis le milieu des années 1970.

Graphique 6.6 Répartition des Exportations algériennes entre 1998 et 2008.

Source. Construit par nos soins à partir des statistiques des douanes algériennes www. douane.gov.dz .

Bien que la valeur des exportations hors hydrocarbures ait évolué positivement depuis 1998, passant progressivement de 372 millions de $ à 1,9 milliards de $ en 2008, leur part dans les exportations totales s’est par contre progressivement détériorée ; Ainsi, entre 1998 et 2008, seulement 3 % des exportations algériennes constituaient des ventes hors hydrocarbures. En moyenne, 72 % de ces exportations consistaient en des demi-produits (huiles et autres produits issus de la distillation, des dérivés minéraux et produits chimiques).

Graphique 6.7 Evolution, par types et parts, des exportations algériennes entre 1998 et 2008.

Source. Construit par nos soins à partir des statistiques des douanes algériennes www.douane.gov.dz

Côté importations, la répartition par groupes de produits fait ressortir une hausse généralisée de + 319,1 % des importations entre 1998 et 2008. La valeur totale des importations passe de 9,4 Milliards $ à 39,4 Milliards $. Les biens de consommation enregistrent le taux de croissance le plus important avec + 476,9 %, passant de 1,3 milliard $ en 1998 à 7,5 Milliards $ en 2008. Pour les biens d’équipement (premier poste d’importation), comprenant les véhicules de transport toutes catégories confondues, il était en hausse de 387 % entre 1998 et 2008, et est passé de 3,1 milliards $ à 15,1 milliards $ (dont 4,2 Milliards $ d’automobiles, soit 27,8 % de la structure des biens d’équipement). Les biens de consommation intermédiaire occupaient le 3ème poste avec 10 milliards $.

Graphique 6.8 Evolution, par types, des importations algériennes entre 1998 et 2008.

Source. Construit par nos soins à partir des statistiques des douanes algériennes www.douane.gov.dz .

On peut considérer que ces deux derniers groupes de produits bénéficient des effets liés aux programmes d’investissement publics, nécessitant des quantités importantes aussi bien de machines que de matériaux de construction. Dans le cas des biens de consommation intermédiaire, la forte augmentation constatée depuis 2004 peut également s’expliquer par la hausse des cours des matières premières liée à la demande croissante des pays émergents.

Il est à noter que ces trois types de produits, en sus des produits alimentaires (7,8 milliards $ en 2008, en hausse de 212,0 % depuis 1998) constituaient 94 % des importations algériennes. Cela revient à dire que la dépendance de l’Algérie à l’égard des importations, tous types de produits confondus, s’est encore plus accentuée durant la période considérée.

Graphique 6.9 Répartition, par type, des importations algériennes entre 1998 et 2008.

Source. Construit par nos soins à partir des statistiques des douanes algériennes www.douane.gov.dz .

En guise de conclusion, nous dirons que le raffermissement des cours du pétrole a renforcé l’aisance financière du pays via les exportations de brut. La majeure partie de cette manne, à défaut de pouvoir se transformer en capital générant de la richesse par l’investissement interne, est venue inonder les canaux de « l’import/import » à des fins de consommation finale, rembourser la dette par anticipation, « dormir » dans les banques publiques et autre fonds de régulation des recettes comme ressources/épargne oisives, ou financer le déficit américain, sous forme de Bons du Trésor américain contre une très faible rémunération. Si la conjoncture financière que vit l’Algérie n’a jamais été aussi faste, la question cruciale et perpétuelle est celle de la fructification et de la reproductibilité de ces ressources.

En effet, si l’impulsion de croissance reste surtout le fait quasi-exclusif des finances publiques, le secteur réel et l’investissement privé tardent à se positionner, autrement l’Algérie aurait au moins réduit sa facture alimentaire, au bout de près d’une décennie de mise en œuvre du PSRE et du PNDA. Pour résumer, nous dirons que l’Algérie donne l’impression paradoxale non pas de « ne pas avoir les moyens de sa politique » comme c’est le plus commun, mais plutôt de « ne pas avoir la politique de ses moyens ».