Tandis que les partisans de la thérapie de choc prônent l’idée d’une nécessaire transformation rapide des structures économiques des systèmes centralement planifiés, les « gradualistes » défendent l’hypothèse du temps long. Pour les premiers, il faut stabiliser rapidement, libéraliser aussitôt et privatiser sans attendre. Pour les seconds, il est important de procéder graduellement en mesurant pour chaque étape les coûts sociaux et les risques politiques.
Pour les partisans du démantèlement radical et immédiat des systèmes centralement planifiés, la thérapie de choc est une nécessité stratégique en raison de nombreux avantages qu’elle recèle. Elle permet l’irréversibilité du processus de transition, l’adaptation rapide et simultanée des agents économiques aux nouvelles règles de jeu et enfin une réduction des coûts de la transition.
En ce qui concerne l’irréversibilité du processus de changement, les partisans de la thérapie de choc avancent qu’il est nécessaire d’avoir conscience du fait que, malgré leur défaite « historique », les promoteurs de la planification centralisée et leurs clientèles gardent un potentiel important de résurgence. Une transition, forcément impopulaire en raison de ses coûts sociaux quand elle se prolonge dans le temps, pourrait offrir l’occasion aux partis populistes de mobiliser la population pour bloquer les réformes. Afin éviter ce risque, la thérapie de choc se propose de pousser le plus vite et au maximum possible les frontières de la réforme pour atteindre le seuil critique qui empêcherait tout retour en arrière.
En outre, les concepteurs du « modèle hard de transition » arguent que plus la transition est rapide plus les agents adoptent et s’adaptent aux nouvelles règles de jeu. Une libéralisation simultanée des prix et des transactions internes et externes, accompagnées d’un démantèlement du secteur public par les privatisations, feraient émerger rapidement une nouvelle couche d’entrepreneurs qui sera la force sociale garante de l’avenir de la transition.
Par ailleurs, les partisans du changement rapide soutiennent qu’il est plus judicieux de subir un fort coût en peu de temps dans le sillage des transformations qu’implique la transition, qu’un coût modéré mais long.
Inversement, pour les gradualistes, le changement brutal est porteur de plusieurs périls. En sous-estimant l’héritage du passé dans la détermination du comportement des agents économiques, le radicalisme que prône la thérapie de choc risque de compromettre la transition et, par conséquent, cette dernière devient plus risquée politiquement et plus coûteuse socialement.
Les partisans du gradualisme accusent leurs adversaires de procéder avec le même volontarisme dont les communistes ont usé lors de l’instauration du socialisme. Pour eux, la prise en considération du facteur temps est primordiale dans les périodes de transition. C’est la raison pour laquelle ils proposent un démantèlement progressif du système de planification centralisée, et l’instauration progressive des institutions devant assurer le fonctionnement du système d’économie de marché. Ils n’hésitent pas à affirmer que les réformes structurelles, telles que les privatisations, sont par nature des processus lents et que, par conséquent, il faut les mener par étapes. Pour certains gradualistes, même la libéralisation des prix et du commerce extérieur devraient s’échelonner dans le temps312. En résumé, les gradualistes s’éloignent du modèle standard de transition et proposent des réformes graduelles dont la temporalité est déterminée au cas par cas.
W. Andreff, L’Economie de la transition .Op.cit. p51.